Macchiavelli Marta

Motion déposée par Marta Julia Macchiavelli en février 2022

Texte complet: M 2822

Exposé des motifs:

La violence à l’égard des femmes est l’une des violations des droits de l’homme les plus dégradantes qui soit. Pourtant, aujourd’hui, au XXIe siècle, elle n’a de cesse de croître. 

La Convention d’Istanbul stipule que « La violence à l’égard des femmes est une manifestation du déséquilibre historique entre les femmes et les hommes qui a conduit à la domination et à la discrimination des femmes par les hommes, privant ainsi les femmes de leur pleine émancipation ».

« En Suisse, toutes les deux semaines, une femme est tuée par son mari, son partenaire, son ex-partenaire, son frère ou son fils, parfois par un inconnu. »

Pour l’année en cours, le nombre de féminicides en Suisse s’élève à 25 à la fin du mois d’octobre 2021, dont deux victimes suisses tuées à l’étranger et onze femmes qui ont réchappé en 2021 à une tentative de féminicide.

En 2020, l’organisation de défense des droits des femmes, Terre des femmes, a relevé qu’au moins 14 viols sont commis par semaine et qu’un meurtre est perpétré toutes les deux semaines dans le cadre de violences domestiques. Ces chiffres représentent seulement les cas dénoncés à la Police en Suisse.  

Que ce soit dans la sphère privée ou professionnelle, et même dans la rue, la violence de genre n’épargne aucun pan de la société, aucun pays, aucune couche sociale. 

En Suisse, plus de 55 incidents de violence domestique sont rapportés chaque jour et, dans 70 % des cas, les victimes sont des femmes. Le caractère genré de ces violences dans le couple est une évidence.

Dans près de 50 % des cas, la mort d’une femme est la dernière étape d’une longue série de violences et fait suite à maintes menaces et agressions de la part d’un conjoint ou d’un ex-conjoint. Dans presque 39 % des cas, les incidents avaient été portés à la connaissance de la Police.

Selon les informations de la Police en matière de criminalité (publiées par l’Office fédéral de la statistique), durant la seule année 2020, le canton de Genève recensait 1881 infractions au Code pénal pour des violences domestiques. En outre, de nombreuses femmes ont été victimes de tentative d’homicide et/ou ont subi des lésions corporelles graves. Par ailleurs, 87 % des victimes majeures de violences de couple, avant ou après séparation, sont des femmes.

Nombreuses sont celles qui vivent un enfer à cause d’hommes qui n’ont pas compris qu’il est interdit de faire subir de la maltraitance physique et/ ou morale à quelqu’un.

A chaque situation de violation des droits des femmes dans le cadre domestique, les droits des enfants sont également bafoués. En effet, ces derniers sont tout autant victimes, directement ou indirectement, de la violence présente dans leur foyer et gardent des séquelles très souvent insurmontables.

La société actuelle, dans sa structure, est inégalitaire et relègue les femmes au rang de subordonnées : voilà l’une des causes de toutes les formes de violence faites aux femmes. Or, si l’État n’intensifie pas les mesures de prévention, de sensibilisation, d’information, de protection et de répression, des femmes continueront à mourir en Suisse sous les coups de leur conjoint/partenaire ou ex-conjoint/partenaire et des femmes subiront encore et encore des agressions physiques et psychologiques, souvent en silence, faute de pouvoir être entendues.

En sus des chiffres susmentionnés concernant les violences domestiques visibles et dénoncées, des violences sexuelles dans les espaces public et privé sont à prendre en considération. En 2020, ce sont 157 viols et contraintes sexuelles sur des femmes (y compris sur des mineures) ont été rapportés dans le canton de Genève en 2020 (chiffres donnés par le DSPS).

Dans le canton, « 71,7 % : c’est la proportion de femmes âgées de 15 à 34 ans qui déclarent avoir été la cible de harcèlement dans l’espace public au cours des cinq dernières années ».

Tous ces chiffres sont probablement incomplets car ils ne tiennent pas compte des victimes non visibles. En effet, de nombreuses femmes n’osent tout simplement pas signaler les agressions dont elles sont victimes, ni dénoncer leur agresseur et demeurent, de ce fait, en dehors des statistiques officielles. Selon l’étude d’Amnesty menée en Suisse, environ une femme sur deux qui a subi des violences sexuelles n’en parle à personne.

Par conséquent, ces femmes victimes de violences physiques et psychologiques continueront à se taire parce qu’elles ne peuvent pas être entendues.

L’entrée en vigueur, le 1er avril 2018, de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul) a permis au Canton de Genève de renforcer ses efforts pour la prévention et la prise en charge de la violence domestique.

Les dispositifs de lutte contre la violence à l’égard des femmes mis en place par le Canton, sous l’impulsion du Bureau de l’égalité et de prévention des violences et le réseau institutionnel et associatif genevois (AVVEC, F-information, Le CLAFG, SOS Femmes, Viol-secours, Face à Face, Vires, SPMI, Hospice Général, Centre LAVI, IMAD, etc.) permettent d’avoir une vision globale des sollicitations recensées par l’Observatoire des violences domestiques.

Par ailleurs, le Canton réalise depuis des années des campagnes de prévention visibles telles que « Stop violences domestiques ».

Cependant, les statistiques et les informations de la Police cantonale et de l’Observatoire des violences domestiques sont la preuve que la violence à l’égard des femmes est encore loin d’être éradiquée et que les efforts et les moyens mis à disposition doivent être augmentés pour renforcer la détection et le signalement des violences à l’égard des femmes.

La Suisse compte proportionnellement plus de féminicides que certains pays de l’Union européenne.

Pendant ce temps, d’autres pays ont pris une série de mesures en matière de prévention et de participation active de l’État qui ont permis de réduire le nombre de cas de violence.

Depuis plusieurs années, l’Espagne est la figure de proue en la matière, car les associations, les ministères de l’égalité et de la défense ainsi que la Police œuvrent de concert pour la prévention, l’information et la répression des violences à l’égard des femmes.

En 2004, les députés espagnols ont voté à l’unanimité la loi de protection intégrale contre les violences de genre, avec des mesures comme le bracelet électronique, les tribunaux spécialisés dans les violences conjugales et les agents protecteurs des victimes.

En France, pour faciliter le dépôt des plaintes par les femmes victimes de violences, il y a de nouveaux dispositifs tests, les plaintes « hors murs » : les policiers et gendarmes se déplacent pour recueillir les plaintes des victimes des violences conjugales hors des leurs locaux. Ce dispositif part du principe que beaucoup des femmes n’osent pas se rendre au commissariat ou dans une gendarmerie pour porter plainte pour des violences conjugales, en prenant en compte le fait que bon nombre de collectifs et d’associations dénoncent des difficultés à déposer une plainte face à l’accueil reçu dans certains commissariats et certaines gendarmeries et parlent même de double peine. Il est primordial d’examiner les mesures prises dans d’autres pays et leur impact sur les agressions contre les femmes car cette analyse est indispensable pour bien concevoir de nouvelles mesures et actions préventives contre les violences sexistes, domestiques et sexuelles, et pour intensifier de nouvelles mesures et actions mises en œuvre par l’État, par le biais de la Police et du Bureau de l’égalité.

Les victimes de violence de genre invisibles dans le canton de Genève

Le nombre élevé de victimes qui subissent ces violences sans pour autant les signaler est particulièrement préoccupant et digne d’attention. Il s’agit, notamment, des personnes âgées, des personnes en situation de handicap, des femmes suisses ou étrangères en situation de vulnérabilité. Il est important que toutes les femmes qui subissent un certain type de violence de genre signalent leur situation, afin qu’elles soient enregistrées et qu’elles puissent recevoir l’aide et l’attention nécessaires pour surmonter cette épreuve.

Il sera également déterminant de faire un bilan ex post de la période de crise sanitaire, afin de déterminer quels ont été les effets du confinement, de l’obligation du télétravail, des quarantaines et de la réduction des temps de travail sur les cas de violences domestiques et le nombre de plaintes déposées.

Pour encourager les victimes à sortir de l’ombre (et s’inspirant des diverses mesures d’ailleurs mais adaptées aux enjeux de notre canton), notre motion invite donc le Conseil d’Etat à créer ou contribuer à créer :

  • Des Unités de Services aux Femmes et aux Familles : pour sensibiliser, prévenir, écouter, informer les victimes de violence domestique et intrafamiliales et de harcèlement de rue ou accompagner à signaler des violences de genre et harcèlement dans l’espace publique ou privée à Genève avec la possibilité signaler leur situation et/ou de dénoncer leur agresseur directement sur place, avec notamment : Des espaces pour les femmes et les familles dotés d’un personnel suffisant et suffisamment bien formé pour informer, écouter et sensibiliser de manière ouverte, en concertation avec le réseau et les associations de femmes ;
  • Des lieux faciles d’accès et clairement identifiables qui disposeraient d’un personnel interdisciplinaire et spécialisé capable d’assister, d’écouter, d’informer et de comprendre toutes les victimes de violence domestique et intrafamiliale et de harcèlement de rue ;
  • Des points de relais vers les associations et structures de soins qui travaillent en coordination avec le reste des institutions (p. ex. services sociaux, services de santé, autres forces de police, bureaux d’aide aux victimes, Réseau Femmes, associations, ONGs, etc.) ;
  • Des unités chargées d’informer, de sensibiliser, d’écouter, d’orienter, de prévenir et/ou d’accompagner à signaler les violences à l’égard des femmes et les violences intrafamiliales et le harcèlement dans l’espace public ou privé avec la possibilité de signaler leur situation et/ou de dénoncer leur agresseur directement sur place et de fournir des informations sur le processus et les ressources qui peuvent les aider au cas où la personne n’est pas sûre de vouloir porter plainte ;
  • Un bureau séparé dédié à recueillir les plaintes des victimes de violences de genre doté d’agents spécifiquement formés et/ou d’un personnel désigné par la police cantonale et aussi d’agents responsables de la protection des victimes, avec des agents sur place en permanence ou qui se déplacent selon la demande de l’unité) ;
  • Des interprètes communautaires en langues des signes et en langues étrangères pour les personnes qui en ont besoin, avec également la prise en compte des besoins que peuvent avoir les personnes en situation de handicap ;
  • De formaliser le tout dans un Projet de loi et un Plan d’action permettant de concrétiser les intentions et en suivre la mise en œuvre.