Une session presque uniquement consacrée (!!) à la laïcité
Par Yves de Matteis, député Vert
Cette session du Grand Conseil des 22 et 23 mars a presque entièrement été consacrée aux lois sur la laïcité, qui ont fait couler beaucoup d’encre. En effet, l’urgence sur ce point de l’ordre du jour (qui réunissait 4 projets de loi) a été acceptée de justesse…
En effet, lors du vote sur cette urgence, il y avait égalité des voix : 47 voix pour (PDC + PLR + UDC) contre 47 voix contre (Verts, PS, EAG et MCG). C’est donc la voix du Président, UDC, qui a fait la différence. Les Verts étaient contre le vote de cette urgence, car la préférence du groupe parlementaire allait à une séance extraordinaire pour traiter ces objets, à la fois pour répondre aux souhaits de la Commission des droits de l’homme et également pour ne pas obstruer l’ordre du jour, le sujet de laïcité – controversé même au sein des groupes politiques – étant bien parti pour donner lieu à des débats sans fin…
Avant d’aborder cette urgence, le Grand Conseil a également refusé une grâce à une très large majorité (75 oui 13 abst 0 non), a élu un préposé à la transparence à la protection des données et à la transparence (Stéphane Wehrli, élu par 73 voix) et une préposée adjointe sur les mêmes thèmes (Joséphine Boillat, par 61 voix). L’autre point, traité à l’ordre du jour, était le PL 11995 (accordant une aide financière annuelle de 2 109 000 F à la Fondation romande pour le cinéma pour les années 2017 à 2020). Le projet de loi a été accepté par 84 oui, 0 abstentions et 0 non.
Concernant le point de l’ordre du jour concernant la laïcité de l’Etat, il faut noter que, des 4 PL concernés (PL 11764-A PL 11766-A PL 11927-A PL 12191-A, réunis dans un seul rapport mais de 800 pages !), c’est surtout le projet de loi de l’Etat (PL 11764) qui a été débattu lors de cette session.
Après des prises de paroles relativement longues des partis, l’entrée en matière a été votée, en fin de séance jeudi soir, par les Verts (moins une abstention), l’entier du PDC, du PLR, une UDC très divisée et le MCG (moins les voix « dissidentes »). La grande majorité du PS et d’EAG ont voté contre l’entrée en matière, pensant qu’il n’était pas nécessaire de légiférer en matière de laïcité.
De la suite des débats, on peut retenir que les demandes de modifications visant à rendre le projet de loi de l’Etat plus strict en matière de laïcité ont été refusées, à une exception près : un amendement, présenté par le rapporteur de majorité (ce qui est déjà en soi étrange) visant à interdire aux membres du Grand Conseil et des conseils municipaux, lorsqu’ils siègent en séance plénière ou lors de représentations officielles, « de signaler leur appartenance religieuse par des signes extérieurs ». L’amendement a été accepté par une majorité de 53 voix (l’entier du PLR, de l’UDC et du MCG) et refusé par une minorité de 34 voix (l’entier du PDC, les Verts, et le PS et EAG moins quelques voix éparses) avec 2 abstentions.
Cet amendement pose de nombreux problèmes. Premièrement, il s’agit clairement d’une rupture avec la laïcité telle que le Canton l’a connue ces dernières années. En effet, les Verts avaient, il y a déjà plusieurs années, et à plusieurs reprises, autorisé plusieurs de ses représentantes à se présenter comme candidates et siéger en gardant leur voile dans des conseils municipaux, arguant du fait que des élu.e.s du peuple étaient libres de s’habiller selon leurs désirs, en exprimant ou non leurs appartenances particulières (culturelle ou religieuse y comprises). Si la loi sur la laïcité devait être adoptée avec cet amendement, une Conseillère municipale Verte siégeant actuellement devrait ôter son voile (également au Grand Conseil, si elle est élue à cette charge), alors qu’elle le porte en tout temps en public.
En plénière, lors de cette dernières session, plusieurs député.e.s ont d’ailleurs pris la parole afin de rappeler que si le Conseil d’Etat représente l’Etat, et les fonctionnaires représentent l’administration, les élu.e.s, en revanche, représentent la population, et ne sont pas des « agents de l’Etat ». Un.e. élu.e n’est jamais neutre, et peut justement, dans le cadre de son mandat, mettre en avant ses convictions politiques, ses croyances ou ses convictions philosophiques.
Si cet amendement devait être conservé dans la loi sur la laïcité, les Verts ne pourraient évidemment pas l’accepter. Par ailleurs, la question d’un recours se poserait, et cette partie de la loi pourrait être invalidée par une instance judiciaire (la chambre constitutionnelle, ou les tribunaux genevois, le Tribunal fédéral, puis la Cour européenne des droits de l’homme).
Après plus de 5 heures de débats souvent oiseux, le traitement de ces projets de loi sur la laïcité sera poursuivi lors des prochaines séances du Grand Conseil, et fera l’objet d’un deuxième compte rendu.