Discours de François Lefort aux Bains des Pâquis (06.08.2015), invité par l’organisme ICAN Switzerland à l’occasion du 70è anniversaire des bombardements atomiques sur Hiroshima et Nagasaki.
Dans cette intervention est décrite l’horreur de l’après-bombardements, et le besoin perpétuel de raconter pour ne jamais oublier. La nécessité aussi, de s’engager aujourd’hui pour assurer un futur serein et pacifique.

« Hiroshima, 6 août 1945, il y a septante ans, c’est un lundi, au Japon, 8h15, la ville s’anime, une population traumatisée par 8 ans de guerre, des réfugiés par milliers, vivre pour beaucoup est une angoisse, pourtant certains doivent prendre tranquillement leur thé, d’autres se demander où trouver de la nourriture, certains sont déjà passés au temple shinto de leur quartier, les enfants sont à l’école, tous se demandent quand finira cette guerre et puis soudain ils ont dû voir comme Kekemi Masuda s’en rappelle« dans le ciel bleu trois avions qui se dirigeaient vers l’ouest »  et puis plus rien n’existe, l’enfer a pulvérisé la ville.

Nagasaki, 9 août 1945, il y a septante ans, c’est un jeudi,  il est 11h01, à cette heure tout le monde s’active, dans les foyers, les usines, les écoles et à l’université. Et soudain plus rien n’existe, l’enfer a pulvérisé la ville.

Tout le monde connaît ces dates des premiers bombardements atomiques et nous sommes réunis ici aujourd’hui, comme des milliers de personnes dans le monde dans des centaines d’endroits,  pour célébrer le 70ème anniversaire de ces funestes bombardements, par devoir de mémoire, mais surtout pour exorciser le danger toujours présent que cela se reproduise. 

Nous disons plus jamais ça ! Parce que nous avons peur que cela arrive encore. N’ayons pas honte d’avoir peur car cette peur est réaliste parce qu’il y a un risque.

Tout le monde connaît ces dates mais peu savent ce qui s’est passé après, à Nagasaki, les heures et les jours après la bombe. Un rare témoin Takashi Paul Nagaï, un survivant parlera pour les victimes et les survivants dans un livre intitulé Les cloches de Nagasaki, avant de mourir en 1951 des suites de l’exposition aux radiations.

Parle ici un professeur sauvé parce qu’il était occupé à creuser un abri :

« … il laissa tomber la houe qu’il avait gardée en main, et stupéfié de ce qu’il voyait, s’arrêta, bouche bée… les bâtiments de l’institut pharmaceutique avaient disparu, tout comme ceux de la biochimie et ceux de la pharmacopée. La clôture n’existait plus, ni les maisons au-delà. Tout ce qu’il pouvait apercevoir, c’était une mer de flammes. Même ce physicien, spécialiste de l’énergie nucléaire, n’eut pas l’idée qu’il s’agissait d’une bombe atomique; il ne s’imaginait pas que la science américaine eût progressé à ce point. et les étudiants ? se demandait-il. Il se pencha vers le sol, et un frisson le parcourut tout entier : était-il possible que toutes ces formes inanimées, étendues par terre, fussent ses étudiants… il crut qu’il n’avait pas encore recouvré la conscience. C’est un cauchemar, un cauchemar, se répétait-il. Même en temps de guerre, des choses pareilles n’arrivent pas !… Il se pinça, se prit le pouls. Mais non ! Il vivait; c’était vrai. Il secoua un corps tout proche de lui allons, levez-vous, cria-t-il. Nulle réponse ! Alors, il saisit le gisant par les deux bras, s’efforça de le soulever. Sous ses doigts, la peau s’en alla par lambeaux, comme d’une pêche mûre. Okamoto était bien mort…Comme le suivant, gémissant, se retournait, le professeur courut vers lui, le saisit dans ses bras Murayama, Murayama, cria-t-il, tandis qu’il mettait sur ses genoux le garçon écorché. Reprenez-vous ! Monsieur le professeur… ah… monsieur le professeur, dit le malheureux, et sa tête retomba sur le côté. Il était mort…. puis, il passa au suivant, Araki. Le visage d’Araki était gonflé comme une citrouille; la peau s’en allait par plaques. …des oreilles, du nez des cadavres, le sang souvent filtrait; évidemment, ils étaient morts le cerveau écrasé. Chez certains, avec le sang, une écume aussi sortait de la bouche. Au moins leur agonie avait été courte : ils avaient été jetés au sol et assommés avec une force terrible……Le professeur se mit à crier de toutes ses forces, vers les quatre points cardinaux : à l’aide, y a-t-il quelqu’un ? Il écoutait, l’oreille tendue, mais ce que le vent lui apporta, par instants, ce furent seulement d’autres cris d’appels. Ceux-ci sortaient de dessous les maisons écrasées; ils étaient désespérés, terribles : sauvez-moi ! Au secours, j’étouffe ! Quelqu’un de grâce ! Je brûle, vite un peu d’eau ! Maman, maman ! »

Voilà ce qui se passait quelque part à Nagasaki vers 11h25 le 9 août 1945. Voilà ce qui se passait partout à Nagasaki, et dans ses campagnes environnantes ravagées par les flammes, ce 9 août comme cela s’était produit 3 jours avant à Hiroshima.

Mais personne ne l’a su.

Hiroshima,  Nagasaki plus de deux cent mille morts, des centaines de milliers de blessés, pratiquement tous des civils

Mais personne ne l’a su tout de suite.

Le premier étranger qui pénétra à Nagasaki fut un attaché de l’ambassade suisse Markus Weidenmann qui envoya un télégramme à Tokyo au délégué du CICR le médecin genevois Marcel Junod.

Quelques mots extrait de ce télégramme : « j’ai visité Hiroshima le trente – conditions épouvantables – ville oblitérée – quatre-vingt pour cent tous hôpitaux détruits ou sérieusement endommagés – inspecté deux hôpitaux d’urgence conditions indescriptibles – ef
fet bombe mystérieusement sérieux – à présent meurent en grands nombres – estimation est que plus cent mille blessés encore dans hôpitaux d’urgence – manquant cruellement pansements médicaments »

Voilà la réalité des bombardements atomiques ! Une destruction hallucinante ! Une souffrance indescriptible ! Et pourtant on sait peu de choses, parce qu’on ne montre que peu de choses malgré les dizaines de kilomètres de pellicules tournées à Hiroshima et Nagasaki par l’armée américaine, il faudra attendre 1954 pour pouvoir lire en français le témoignage de Paul Nagaï, il faudra attendre  même le début des années 60 pour voir quelques images, minuscules extraits de ces dizaines de kilomètres de films encore classés au secret aujourd’hui.

Ce secret nécessaire pour que la guerre atomique ne reste qu’une menace indicible, et non un crime de guerre ! Ce secret nécessaire à la guerre psychologique qui perdure encore aujourd’hui

Le 10 août 1945, après les bombardements il restait une bombe atomique, la quatrième  dans l’ordre de la création.

Depuis cette date a commencé une course à l’armement nucléaire. plus de 2000 essais atomiques ont été réalisés.

Ces essais atomiques cumulent aujourd’hui à 510 000 kt de TNT c’est à dire plus de 25 000 fois la puissance de la bombe de Nagasaki et ont englouti des sommes astronomiques pour nourrir cette menace permanente. Aujourd’hui neuf états se partagent environ 4.400 armes nucléaires opérationnelles, dont près de 2.000 sont maintenues en état d’alerte opérationnelle élevée.

Cela semble beaucoup mais si l’on compte toutes les armes et ogives nucléaires encore intactes qui  devaient être démantelées dans le cadre des accords de réduction et limitation des armes nucléaires, le stock total est encore de plus de  17.000  armes nucléaires, principalement en mains russes et américaines.

Plus de 17 000 bombes atomiques ! Un chiffre faramineux ! Pratiquement autant qu’à la fin de la guerre froide !

Un chiffre ahurissant ! Des investissements militaires colossaux !

Une puissance pouvant détruire plusieurs fois cette planète !

Et alors aujourd’hui que se passe-t-il ?

Les cinq grandes puissances du club nucléaire déploient de nouveaux missiles porteurs et semblent déterminés à conserver indéfiniment leurs arsenaux.

A côté, la Chine, l’Inde et le Pakistan  augmentent leurs stocks d’armes nucléaires et leurs capacités de lancement de missiles.

Voilà la situation !

Aucun de ces pays ne montre une volonté sincère de réduire et d’abandonner l’arme nucléaire, parce que ces armes sont une marque de statut international et de puissance, de menace pour le contrôle des ressources.

Aucun de ces pays ne montre une volonté sincère d’abandonner l’arme nucléaire, et tous les signaux nous montrent le contraire.

Certes les négociations continuent. A Lausanne récemment un accord aurait été obtenu avec l’Iran pour son renoncement à l’arme atomique. Mais hier Obama avertissait que si le congrès rejetait l’accord avec l’Iran, alors la seule solution pour empêcher l’Iran de se doter d’une arme nucléaire serait la guerre.  Quelle drôle de méthode !

Certes les négociations continuent mais à quoi servent-elles quand des pays comme la Russie consacrent 21% de leur budget à la modernisation de leur  arsenal.

Plus grave ! Les stratèges de ce pays sont convaincus que la Russie sera attaquée à l’arme nucléaire et se prépare à une guerre totale pour les ressources.

La guerre psychologique !  La guerre des nerfs continue et s’aggrave mais il y a un risque que Dr Folamour ne soit à la fin pas seulement une comédie morbide.

Il y a un risque et le risque augmente qu’une catastrophe nucléaire se produise.

L’échec du désarmement augmente le risque que d’autres pays se  procurent des armes nucléaires. C’est ce que nous voyons et pourtant les conséquences de l’explosion d’une seule arme nucléaire sont connues et seraient catastrophiques, étendues et durables.

La seule garantie contre l’utilisation des armes nucléaires est de les éliminer sans tarder.

Cette course à l’armement continue de consommer des ressources financières considérables, inimaginables, des centaines de milliards de dollars, alors que le réchauffement climatique s’aggrave et nécessite des investissements à la hauteur des risques encourus par la population humaine, et tout cela se fait en prévision d’une guerre totale pour les ressources d’énergie fossile.

Les Verts, vous le savez, sont des pacifistes, les Verts sont des antinucléaires, les Verts proposent la fin du nucléaire civil comme du nucléaire militaire.

Proposer cela c’est proposer la paix contre la menace ! C’est
proposer la vie contre la peur ! C’est proposer un autre monde ! C’est la sortie du nucléaire, c’est la transition énergétique des énergies fossiles vers les énergies renouvelables !

Ces propositions sont le chemin vers un monde plus sûr sans nucléaire ni civil, ni militaire !

Voilà l’autre chemin alternatif à la guerre totale pour les ressources fossiles.

Voilà le seul autre chemin. !

Pacifistes, nous sommes aux côtés de tous les pacifistes qui peuvent compter sur nous comme nous comptons sur eux pour que nos sociétés prennent ce chemin plus sûr.

Ce soir nous sommes réunis pour nous souvenir de  ces bombardements et nous remercions tous les pacifistes de se mobiliser tous les jours pour un monde plus sûr sans nucléaire ni civil, ni militaire.

Nous sommes reconnaissants à cette coalition pacifiste mondiale de la campagne internationale pour le désarmement nucléaire de s’investir tous les jours, et pas seulement les jours anniversaires,  pour ce monde plus sûr, qui s’appelle la paix

Par la colombe et l’olivier

Peut-être viendra-t-elle demain

La paix

Comme le chantait Georges Moustaki pour Hiroshima »