Par Esther Um, Clarisse di Rosa, Emilie Fernandez, Omar Azzabi et Yves de Matteis

“C’est la toute première fois que des candidat-e-s d’origine africaine accèdent au Grand conseil”. Faites cette déclaration et vous aurez certainement comme réaction des “Euh… Ah oui ?” avec en prime la mine sceptique de l’interlocuteur-ice qui peine à imaginer Genève, siège de nombreuses organisations internationales, avec une population à 40% “non suisse”, sans aucun-e élu-e afrodescendant-e au parlement. Angèle-Marie Habiyakare (Vert-e-s), Jacklean Kalibala (PS) et Jean-Pierre Tombola (PS) élu-es le 2 avril, ont prêté serment vendredi dernier. Une première historique que le GT antiracismes et le GT égalité des Vert-e-s saluent avec enthousiasme. Mais l’histoire ne fait que commencer.

Un événement

Lors du Cinévert autour du film “Je suis Noires“ de Rachel Mbon et Juliana Fanjul, des participant-es posaient avec inquiétude la question de savoir si cette élection serait celle où des Noir-es feraient enfin partie du parlement, si Genève était enfin prête. Prête à quoi précisément ? A ce que des personnes racisées représentent la “république et canton de Genève”, disons-le sans détour.

En effet, les personnes issues de l’immigration « extra européennes” sont rares ou absentes des hauts lieux de pouvoir. Cette absence n’est pas due à un défaut de désir, de compétence ou de candidature mais à différentes barrières politiques et sociales constituant un vrai plafond de verre. Ce n’est que récemment que des citoyen-nes d’origine extra européenne de confession ou de culture musulmane ont rejoint le parlement. De même, il est rare d’y entendre des accents étrangers alors que c’est désormais un peu le cas dans les délibératifs municipaux genevois, surtout dans les villes. La prépondérance des noms à consonnance extra européenne parmi les noms les plus biffés sur les listes électorales, la pétition demandant des mesures contre la glottophobie au sein du conseil municipal de Vernier, la reconnaissance toute récente du racisme systémique en Suisse par le Conseil fédéral ne viennent que confirmer l’évidence des faits que nous exposons ici. L’absence, la rareté signalent donc l’exclusion. Dans un tel panorama, l’élection récente de plusieurs personnes racisées constitue un événement.

La diversité comme outil

La non-représentativité des minorités genevoises au parlement n’est pas une fatalité. Elle se fabrique à l’aide de pratiques diverses allant des catégorisations aux traitements différenciés jusqu’au biffage pur et simple. Les statistiques électorales en témoignent : les noms à consonnance étrangère sont plus biffés que d’autres. Ils sont peu rajoutés sur les listes concurrentes. Les groupes politiques ont un rôle clé pour parer à cet obstacle. Il leur revient d’adopter des pratiques proactives : poser l’inclusion comme un principe fondamental ; recruter des personnes de tous horizons pour s’assurer que la diversité soit bien représentée ; empoigner les problématiques propres aux catégories vulnérabilisées ; prendre position fortement et ouvertement contre les discriminations à l’égard des minorités dont les personnes d’origine extra européenne ; mettre en place des dispositifs pour lutter contre toute forme de pratique discriminante ; promouvoir les groupes minorisés et intégrer les populations étrangères par le biais du renforcement des droits civils et politiques comme le droit de vote et d’éligibilité tant au niveau communal que cantonal.

Pour la diversité comme pour l’égalité

La lutte pour la diversité doit s’inspirer des acquis dans le domaine de l’égalité. Le parti écologiste est le seul à avoir intégré la parité de candidature dans ses statuts, la rendant ainsi incontournable. La mesure porte aujourd’hui ses fruits : sur 15 élu-es, 9 sont des femmes. Un tel résultat n’aurait pas été possible en se contentant d’un banal « la candidature est ouverte à tout le monde ». Le recours aux politiques volontaristes est nécessaire à la correction des inégalités historiques. Dans une société inégalitaire, la diversité, comme l’égalité, ne va pas de soi. Il faut les rechercher, les promouvoir, les défendre avec vigueur et constance. Notre parti doit s’engager pour la diversité comme il l’a fait pour l’égalité. La diversité n’est pas une option mais une nécessité surtout pour un canton et un pays comme les nôtres construits par l’identité internationaliste : les humains sont divers, nos institutions doivent refléter cette réalité. Les politiques se doivent de proposer des rôles modèles à l’ensemble de la société, ouvrant le champ des possibles aux générations futures.

Une lutte éminemment Verte

Il est encore courant d’entendre s’étonner que les Vert-e-s s’occupent d’égalité, de diversité, de justice de genre, de justice sociale, comme si ces luttes étaient étrangères à la démarche écologiste, ou que l’environnement avait la priorité sur le social. C’est bien le contraire qui se vérifie : le problème de l’environnement, c’est la société. C’est clairement une vision du monde produite en société qui détruit l’environnement : celle qui justifie l’exploitation sans limite du vivant, non-humains et humains, et que dénoncent les écoféministes. C’est donc au niveau social qu’on peut s’attaquer aux causes du problème en refusant toute forme de domination, soit-elle de genre, de classe, de race, de condition physique, etc. Toute pratique conduisant à maintenir des personnes dans la subordination et d’autres dans des privilèges, l’habiter colonial dont parle Malcom Ferdinand, constitue la véritable lutte à mener. On ne peut préserver l’environnement sans assurer l’égalité entre les êtres, puisque leur subordination procède de la même logique d’exploitation problématique. Eviter de questionner les bases sociales de la dégradation de l’environnement encourage à croire aux solutions technicistes. Et on ne nous fera pas de cadeau de rejeter ce raccourci pour pointer le système, car comme le relevait Gunter Anders (considéré comme le père de l’écologie politique) dans “L’Obsolescence de l’homme”:

« L’homme de masse est traité comme un veau, et il est surveillé comme doit l’être le troupeau. Tout ce qui permet d’endormir sa lucidité est bon socialement, ce qui menacerait de l’éveiller doit être ridiculisé, étouffé, combattu. Toute doctrine mettant en cause le système soit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutiennent devront ensuite être traités comme tels. »

Par ailleurs, les inégalités sociales et sociétales vulnérabilisent une partie de la population dans sa situation économique : plus on est pauvre, plus on est loin de l’égalité, moins on a de ressources pour s’adapter au changement climatique. La juste répartition des ressources est donc le meilleur moyen de garantir une bonne gestion des problèmes liés au climat. Préservation de l’environnement et justice sociale sont inséparables et interdépendants.

 “La diversité est la grande gagnante de ces élections”

Tel a été le commentaire d’un membre du GT Antiracismes après la réception des résultats définitifs des élections au Grand Conseil le 2 avril dernier. En effet, il a fallu du temps pour traverser le choc d’un nouveau parlement penchant dangereusement vers le populisme, puis réaliser qu’une victoire s’était produite ailleurs, en termes d’inclusion et de représentativité de la population genevoise. La contribution des Vert-e-s à cette évolution est incontestable, grâce à une liste assurant dès le départ la diversité de genre, d’origine, d’orientation sexuelle, de religion, de profession, de statut social, pour ne citer que les catégories les plus courantes. Célébrons ce succès et redoublons d’effort en ayant pour objectif de briser le plafond de verre, de remettre en cause les comportements nuisibles tels que les biffages sur les listes électorales, de défendre la seule réalité qui caractérise le vivant : la diversité.