La place financière suisse partenaire de la guerre ?
Par Delphine Klopfenstein Broggini, présidente des Vert.e.s genevois.e.s et conseillère nationale. Ce test est paru dans son blog du journal Le Temps le 26 octobre 2020.
La Suisse interdit le financement des armes nucléaires, des armes biologiques, des armes chimiques ou encore des mines anti-personnelles. C’est une évidence mais cela ne suffit pas. La Suisse doit aujourd’hui aussi interdire le financement des producteurs de matériel de guerre. Même si son influence dans le monde est restreinte, la Suisse peut donner un signal fort aux autres pays, elle peut servir de modèle et montrer l’exemple. Et ce message s’adresse en premier lieu à la place financière : ce secteur joue souvent un rôle contradictoire par rapport aux grandes orientations politiques que nous souhaitons mener en Suisse :
• sur la question climatique, la place financière suisse investit massivement dans les énergies fossiles alors que notre pays a l’ambition, même timide, d’en sortir (voir sur ce thème mon initiative parlementaire Les comptes de la Confédération sous le prisme du climat)
• sur la question des guerres à travers le monde, la place financière suisse accepte de financer des producteurs de matériel de guerre, alors que notre pays se dit neutre et joue sur ses bons offices et sa diplomatie de la paix.
Cette économie de la guerre et de la mort est d’ailleurs en pleine croissance à entendre le Secrétariat d’Etat à l’économie quand il annonçait fièrement que les ventes de matériel de guerre à l’étranger avaient augmenté de 43%. Comment comprendre, aujourd’hui, cette Suisse prête à financer des conflits, de manière indirecte parfois, tout en soutenant activement le réseau diplomatique ? Si on considère par ailleurs qu’une partie des grandes décisions diplomatiques dans le monde, ayant pour but la résolution des conflits, sont prises à Genève, l’investissement de la place financière suisse dans les guerres est non seulement contradictoire mais met à mal l’image de notre canton, de notre pays, et il est fort à parier que nous pourrions payer un jour le prix de ces contradictions, si rien n’est fait rapidement.
Aujourd’hui, l’Afghanistan, le Yémen, le Soudan du Sud, la République centrafricaine, la République démocratique du Congo, la Syrie, l’Irak, le Mali, le Nigeria ou encore la Somalie sont en guerre. Des guerres qui font des morts, des ravages dans la société et dont les premières victimes sont souvent des enfants. Un récent rapport de l’ONG Save the Children précisait qu’en 2017, 18% de tous les enfants du monde – c’est-à-dire près de 420 millions d’enfants – vivaient dans des zones touchées par des conflits, soit presque 1 enfant sur 5, qui souffre de la faim, du manque d’hygiène ou d’accès aux soins de santé, autant de conséquences directes de la guerre.
Le financement de matériel de guerre n’est pas digne d’un pays neutre qui dit œuvrer pour la paix. La Suisse doit exporter son aide et des solutions pacifistes et en aucun cas exporter la guerre. Je ne veux être ni témoin, ni complice. Je refuse, sous la pression de retombées négatives qui affecteraient dans une mesure excessive l’activité de la Banque nationale suisse, mais aussi celle des fondations, des caisses de pension et des fonds de compensation, de menacer des populations entières et, par là même, de favoriser la violation des droits humains. Pour toutes ces raisons, je soutiendrai l’initiative “pour une interdiction du financement des producteurs de matériel de guerre”