Angèle-Marie Habiyakare

Motion déposée par Angèle-Marie Habiyakare en octobre 2024.

Texte complet: MO Garantissons un fonctionnement viable pour les médias locaux

Exposé de la question:

Introduction

La communication et l’information jouent un rôle crucial et central dans notre société. L’un des vecteurs qui permet de nous informer est le travail de synthèse, de vulgarisation et bien plus encore fait par un travail journalistique précieux.

Pourtant, ce droit à une information diversifiée et nécessaire, qui semble être un droit acquis dans notre société est menacé. Chaque année, des groupes comme Tamedia détenant des journaux locaux, annoncent des restructurations qui mènent à des suppressions de postes et une pression plus grande envers le personnel journalistique restant. La COFEM alertait en novembre 2019 que « les changements structurels que connaît le marché des médias exercent une pression croissante sur le journalisme. Les contenus dictés par des intérêts se mêlent de plus en plus aux contributions journalistiques et il est donc de plus en plus difficile pour les utilisateurs d’identifier correctement les formes de présentation et la source des textes. »6

La Suisse Romande, à la suite de l’annonce du 27 août 2024 par Tamedia de sa restructuration qui prévoit de supprimer 290 postes en Romandie, c’est-à-dire presque 10 fois plus qu’en 20231, a eu une vague de mobilisation syndicale, associative et politique afin de critiquer ce phénomène d’essorage de travail journalistique qui ne cesse de prendre de l’ampleur avec le temps. Dans notre contexte parlementaire, cette mobilisation a notamment été concrétisée à travers le dépôt de plusieurs résolutions parlementaires. Ces textes ont été votée afin de défendre les intérêts de Genève qui est notamment le siège de la Tribune de Genève. Les résolutions R 1041 et R 1043 ont été accepté le 29 août 2024 avec une grande majorité de notre Grand Conseil. Ces résolutions s’adressent à l’Etat de Genève afin qu’il réagisse à cette vague de licenciement qui menacent les rédactions et les centres d’impression. Voici quelques éléments de contextualisation de cette motion.

Quelques chiffres

Lorsque nous regardons les chiffres de 2021 sur l’évolution du lectorat de la presse appartenant à Tamedia, nous voyons que les lectures augmentent. L’Étude de TotalAudience sur l’utilisation des médias enregistre « une forte progression de +44% [pour la Tribune de Genève] (désormais 242’000) de son lectorat total par jour. Le Matin Dimanche compte désormais 942’000 lecteurs au total chaque semaine ce qui correspond à une croissance de +32,9% »3. Bien que ce phénomène s’explique également par la pandémie du covid, aucune baisse majeure de ce lectorat n’a été notifié. La demande n’est pas en diminution.

Le lectorat augmente, mais le bénéfice est notamment redistribué aux actionnaires. Presque aucune part de ce bénéfice est réinvesti dans les rédactions qui s’uniformisent en regroupant des rubriques pour plusieurs journaux appartenant au même groupe. Au contraire, des coupes sur des emplois sont faites afin de faire des économies. Par exemple, en 2023 une restructuration de Tamedia à supprimer 10% de son effectif rédactionnel, c’est-à-dire 28 postes pour économiser 3,5 millions CHF, alors que le dividende partagé entre les actionnaires était de 47,7 millions CHF1.

En novembre 2019, la commission fédérale des médias (COFEM) a mis en évidence dans son rapport intitulé « Défense du journalisme » qu’il y a un besoin d’un financement durable et solide du journalisme, ce qui a déjà été souligné dans de précédents rapports d’experts4. Elle souligne également qu’il faut plus d’interdépendance « entre un journalisme diversifié et pertinent et son importance pour l’ensemble de la société en termes d’échanges, de participation démocratique et de formation de l’opinion au-delà des différentes frontières économiques, culturelles, sociales et linguistiques. » Ce rapport mentionne également que « pour que ce service journalistique continue d’exister, de nouvelles formes de financement doivent être recherchées. Il est prouvé qu’à l’ère du numérique, le refinancement par le seul biais d’activités commerciales telles que la publicité et les taxes d’utilisation est devenu extrêmement difficile. En termes de crédibilité et d’indépendance, une dépendance excessive à l’égard des recettes publicitaires ne semble pas souhaitable. Comme la COFEM l’a répété à maintes reprises, ces nouvelles formes de financement incluent le financement public direct et indirect. »

Collection de textes parlementaires

Ce qu’il faut savoir est que notre parlement a déjà été saisi de plusieurs textes en réaction des précédentes crises qu’a subi la presse genevoise.

Pour n’en citer que quelques-uns, le projet de loi refusé PL 12307 pour « une fondation genevoise pour la diversité des médias écrits », les motions M 2411 pour « une presse locale forte et indépendante » , M 2444 pour « le maintien de l’emploi et des prestations de l’ATS », M 2513 pour « soutenir la présence de l’information citoyenne, locale et régionale dans la presse écrite » et plus récemment les résolutions R 1041 pour « le maintien des emplois et de la diversité de la presse locale, la Tribune de Genève doit survivre » et R 1043 pour « défendre la pluralité de la presse romande et assurer la pérennité d’un journalisme indépendant et de qualité à Genève ».

La motion verte 2513 a été acceptée avec une grande majorité du Grand Conseil. L’application de cette motion a donné un abonnement à un journal offert pendant une année pour les jeunes de 18 ans par l’Etat de Genève afin de sensibiliser et encourager les jeunes à s’informer5. Bien que cette action soit positive, elle n’est pas suffisante pour aider activement la presse locale. Dans le rapport de la M 2513-A la Chancellerie d’Etat ayant été auditionnée, parle d’un groupe de travail interdépartemental existant qui cherche des pistes afin d’élaborer des complémentarités cantonales de ce qu’offre la Confédération.

A l’époque, plusieurs offices cantonaux de l’Etat de Genève étaient abonnés à différent journaux genevois. L’Etat faisait également paraître des offres d’emploi qui finançait en partie les journaux à travers ces annonces.

Aides et exemples existants

Actuellement, l’Etat de Genève contribue à hauteur de 500’000 CHF d’aide à la presse. Si nous prenons l’exemple du canton de Vaud, nos homologues vaudois ont octroyé 6,2 millions CHF d’aide aux médias en 2021. Cette aide comporte plusieurs volets, le premier concerne l’ajout massif d’annonce dans la presse locale, le deuxième l’aide à l’innovation et le troisième la sensibilisation envers la jeunesse et finalement une aide envers la formation des journalistes auprès de la CFJM7. Ce coup de pouce a suscité des remerciements de la part de Vaud Presse qui est reconnaissant de la part d’aide apportée.

Il y a également d’autres exemples de journaux qui fonctionnent de manière autonome et alternative. Un exemple frappant est celui du Journal de Morges. Le Journal de Morges a été fondé le 3 octobre 1894 sous la direction de François Trabaud. Depuis 1966, le Journal de Morges a intégré différents journaux locaux dans sa rédaction. En 1999, 45% des parts du journal ont été vendu a Edipresse puis à Tamedia. En 2007, le rédacteur en chef Cédric Jotterand a négocié le rachat du titre du Journal de Morges, ce qui a été un succès, car en 2014 Tamedia a mis en vente des journaux locaux à petit tirage dont celui-ci. Depuis son indépendance, le Journal de Morges couvre très bien l’actualité locale avec une équipe soudée et très ancrée sur le terrain. Il y a d’autres alternatives de fonctionnement de journaux qui permet leur pérennité sans subir les conséquences de restructuration de grand groupe de presse. Il est important de travailler sur des alternatives pour aider nos médias locaux.

Demande de la présente motion

  • Invite 1 : à mener toutes les démarches afin de créer une fondation en faveur de la presse genevoise ouverte à d’autres contributeurs qui aura pour mission de soutenir la création et l’exploitation de sites d’information basés à Genève

Plusieurs demandes de notre parlement ont formulé l’envie et la nécessité de la création d’une fondation pour la presse locale. Dans la collection de texte parlementaire, j’ai cité le PL12307 et la R1043. Cette invite s’inscrit dans la continuité des demandes qui ont déjà été formulée.

  • Invite 2 : à soutenir financièrement la création de cette fondation ainsi que son maintien

Nous voyons que l’état de la presse actuel demande un soutien important de la part de l’Etat. Il faut que l’Etat, dans l’initiative d’une création d’une fondation, garantisse également un soutien régulier pour son fonctionnement. La COFEM maintient la position qu’il y a un besoin d’un financement durable et solide du journalisme et un financement publique4.

  • Invite 3 : à aider le rachat des titres de presse locaux à fond perdu au bénéfice de ce journal, afin d’assurer leur pérennité

      L’une des difficultés de certains médias locaux est les conséquences des décisions des groupes de presse qui détiennent les titres. Lorsque la pérennité de ces titres est menacée et que la meilleure solution est le rachat du titre, l’Etat peut encourager et intervenir dans la cession des droits de titre.

  • Invite 4 : à encourager la diversité dans le paysage médiatique genevois

Par équité des opinions et de moyen de communication, il faut encourager l’innovation et la pluralité journalistique.

  • Invite 5 : à développer davantage des contrats de prestations étatiques avec plusieurs médias locaux mené par une coordination interdépartementale, tout en garantissant l’indépendance des médias

Dans le cadre du traitement de la M2513, la Chancellerie d’Etat évoque l’existence d’un groupe de travail interdépartementale autour des thématiques d’aide à la presse. Il faut encourager la démarche en prenant davantage de mesure et évaluer le potentiel d’aide étatique sans prétériter à l’indépendance des médias. L’objectif n’est pas d’introduire un système de redevance genevois, mais de développer d’autres pistes alternatives.

  • Invite 6 : à soutenir et aider les rédactions dans le financement des formations des stagiaires dans les métiers lié au journalisme

La formation journalistique à la CFJM est majoritairement financée par les rédactions au bénéfice des stagiaires. L’envie d’entrer dans le monde journalistique n’est pas à la baisse. En prenant une partie ou la totalité du financement par l’Etat, les rédactions peuvent être encouragée à prendre davantage de stagiaires.

Conclusion

L’état général de la presse locale se dégrade d’année en année, les rédactions sont affaiblies ainsi que les centres d’impression. A contrario, les dividendes ne cessent d’augmenter aux bénéfices d’actionnaires sans réinvestissement. Les coupes se font sur le dos des employés. Au vu de l’importance de la qualité de l’information, il est important que l’Etat soutienne plus fortement nos journaux locaux.

Plusieurs recommandations de la COFEM encouragent un soutien public. Jusqu’à ce jour, il existe une forme de gêne d’aide à la presse par des ressources publics, il serait temps d’aller de l’avant !

Il est important de poser des conditions propices à la production de nouvelles locales, régionales et vérifiées par des journalistes travaillant à Genève. La population genevoise doit avoir accès à ce besoin essentiel, une information de qualité et à la portée de tous.