Par François Lefort, député et candidat aux élections cantonales

Défendre son pays en détruisant 14 000 emplois, en privatisant télévisions et radios publiques, en offrant aux enchères le secteur de l’information au marché – qui sera le marché étranger, n’en doutons pas – c’est ce qu’ose nous proposer l’UDC, les soi-disant patriotes et quelques libertariens,
à ne pas confondre d’ailleurs avec les libertaires.

Les conséquences de l’Initiative No Billag, c’est une privatisation totale de l’information et de sa diffusion, c’est «tout pour le marché». Ces conséquences sont connues: une information parcellisée et orientée par les intérêts de ceux qui possèderont vraiment les médias. Et ces propriétaires ne seront vraisemblablement pas en Suisse.
A titre d’exemple, le scandale environnemental du gaz de schiste aux Etats-Unis, les terres contaminées, les nappes phréatiques polluées, les paysans ruinés, qui en parle aux Etats-Unis? Outre-Atlantique, c’est l’omertà, car cette réalité-là n’est pas compatible avec les intérêts du marché, tout-puissant chez l’Oncle Sam. Il ne faut pas déprimer l’actionnaire, ni freiner les affaires, comme on le voit à chaque fois qu’après une tuerie, le lobby américain des armes obtient qu’on ne prenne aucune mesure pour éviter que les ados perturbés disposent de mitraillettes…

On va s’amuser…
Avec No Billag, ce sera l’avènement total de la distraction et du divertissement, qui remplaceront peu à peu l’information et l’éducation. Des nouvelles inutiles, du buzz euphorisant qui succèdera à du buzz euphorisant, en cascade infinie. Les médias seront enfin au service total de la marchandise et toute critique sera impossible, car invisible. Ce sera le règne de la marchandise parlante.
Cette Initiative peut donc légitimement être qualifiée d’attaque directe contre la démocratie. Dans ces conséquences pratiques, les contenus des médias deviendront payants, puis plus chers. Le public ne verra plus que les contenus qui rempliront le tiroir-caisse. Et il est bien connu que les minorités politiques, les minorités culturelles, les minorités linguistiques ne remplissent pas le tiroir-caisse. L’information, l’éducation ne remplissent pas non plus le tiroir-caisse, donc: «raus!». Exeunt la philosophie, la critique littéraire, la musique classique et la science. Le citoyen deviendra un client «magnifique» et certains clients aux besoins particuliers seront oubliés: plus de langue des signes, plus de sous-titrage, car cela coûte. Les clients périphériques des campagnes et des montagnes, ça ne vous achète pas grand-chose, donc personne n’en entendra plus parler.

La science, c’est barbant
Sur l’éducation maintenant, les partisans de No Billag reprochent au service public de faire de l’éducation, mais pourquoi donc?  Serait-ce un quiproquo sur le sens du mot? Car l’éducation d’un individu est permanente, c’est le développement d’une formation globale. Et heureusement que le service public fait de l’éducation! Les Académies des sciences suisses ont d’ailleurs résumé les dangers que représentait la destruction du service public d’information, qui fait aussi de la vulgarisation de l’information scientifique vers la population, lui permettant de connaître et comprendre les avancées scientifiques et les enjeux de société.
Rappelons-nous la récente votation sur le diagnostic préimplantatoire, par exemple, ou la loi sur les épizooties. Le journalisme scientifique requiert des journalistes spécialisés, animant des émissions scientifiques de haut niveau, qui sont aujourd’hui absents des médias privés. Et pour cause: cela coûte! Les conséquences de moins d’information scientifique seront donc des citoyens moins informés et moins formés aux évolutions scientifiques, qui impactent pourtant leur vie quotidienne. On parlera moins de science, on s’y intéressera moins, on la comprendra moins et in fine moins d’étudiants se tourneront vers les sciences. L’information scientifique sera faite par des journalistes généralistes qui la distribueront, parmi d’autres informations, sans la comprendre. La critique de la science disparaîtra du paysage avec la science, car, somme toute, c’est trop compliqué et surtout ça ne rapporte pas un fifrelin.

La règle du produit
L’information sera orientée, rien ne devra déranger le marché global et sa marchandise. L’information sera réduite à ce qui plaît et à ce qui ne nuit pas aux intérêts des propriétaires actionnaires des médias, médias qui ne serviront que de haut-parleurs publicitaires aux nouvelles guildes régnantes. Cela ressemblera à de l’information, ce ne sera pas du mensonge total, mais du mensonge par omission ou de la déformation. Voilà le début du programme de l’UDC et de quelques libertariens, qui nous proposent, ni plus ni moins, le suicide collectif d’une démocratie, certainement la démocratie la plus avancée de la planète, où – luxe suprême – on peut proposer au peuple de la détruire, par votation!
Derrière No Billag, c’est donc un autre projet de société qui s’avance, masqué, aux antipodes d’une société de citoyens libres de conscience, informés et critiques, c’est le projet d’une société médiocre où la futilité sera la nouvelle culture dominante et intoxiquera définitivement la population.
Cette Initiative est certainement la plus pernicieuse attaque contre la démocratie suisse, alors tirons-en les conséquences! Voter un «non» clair et franc, c’est vous protéger de l’intoxication.