Plan d’action antiraciste : pour que l’Etat prenne des mesures concrètes pour lutter activement contre le racisme anti-noir
Katia Leonelli
Motion verte déposée par Katia Leonelli en octobre 2020
Texte complet: M 2688
Exposé des motifs:
En mai dernier, la mort de George Floyd a provoqué une vague
d’indignation dans le monde entier. Homme noir de 46 ans, il est tué par un
policier qui fait usage du plaquage ventral dans le cadre d’une interpellation.
Cet événement tragique a lieu à Minneapolis, dans le Minnesota et n’est pas
la première bavure policière que connaissent les Etats-Unis. La violence des
faits oblige l’urgence du rassemblement et du changement. Rapidement, la
population se mobilise, les médias réagissent et les réseaux sociaux
s’enflamment. Le message est clair : Black Lives Matter. Le mouvement
global et les manifestations qui s’enchaînent ne luttent pas seulement contre
les violences policières mais aussi et surtout contre le racisme anti-noir sous
toutes ses formes.
L’actualité est certes étatsunienne mais la situation est universelle. En
Suisse comme ailleurs, le racisme et les violences policières sont une réalité.
Mike Ben Peter, Lamin Fatty et Hervé Mandundu ont perdu la vie entre les
mains de la police vaudoise entre 2016 et 2018. S’il s’agit là de la forme la
plus brutale de racisme anti-noir, les discriminations et oppressions que
subissent les personnes noires et racisées en Suisse sont innombrables et la
violence de leur banalisation est parfois inouïe. Racisme à la douane, racisme
institutionnel, profilage racial, contrôles policiers dégradants et injustifiés,
discrimination à l’embauche, licenciements abusifs, abus d’autorité, mobbing
(collectif), impunité des abus,… la liste est longue et non exhaustive. Depuis
juin dernier, la population est descendue dans la rue et continuera à
manifester pour dire stop. Les mouvements citoyens sont essentiels pour voir
un changement de paradigme s’opérer, mais ne sont pas suffisants. L’Etat
doit répondre aux demandes exprimées par la population et prendre les
mesures que ses compétences lui permettent.
Cette motion a été rédigée avec la volonté de réduire le racisme structurel,
institutionnel et interpersonnel. Elle s’articule autour de quatre axes : plan
d’action anti-raciste, éducation, personnel de l’Etat (et bien-être en
entreprise), et sphère politique. La motion demande de mettre en place des
mesures concrètes à plusieurs niveaux et de rédiger un plan d’action
anti-raciste en y incluant toutes les recommandations de cette motion. Ces
mesures se veulent pérennes et toujours élaborées en concertation avec les
associations locales engagées dans une lutte anti-raciste.
Plan d’action anti-raciste
Les mouvements sociaux des derniers mois ont permis de remettre au
centre du débat des questions de discriminations raciales. Mais il est
important de ne pas réduire la problématique du racisme aux violences
policières. Le racisme est plus que cela. Il est omniprésent, il est quotidien. Il
est aussi banalisé et sournois. Or, le rôle de l’Etat est d’assurer que nul ne
subisse de discrimination en raison de son origine, de sa situation sociale, de
son orientation sexuelle1. La Suisse n’a pas la même histoire que les
Etats-Unis, mais elle est tout aussi coupable de faire subir des discriminations
raciales aux personnes noires. Ce phénomène doit faire l’objet de réflexions,
d’engagement politique et de mesures institutionnelles concrètes. Les
associations locales ont joué et jouent un rôle important dans la
sensibilisation et l’éducation du public aux questions de racisme en Suisse.
Qu’il s’agisse de posts Instagram, d’ateliers ou d’articles en ligne, les
associations ont permis à tout un chacun d’avoir accès à des ressources, que
l’Etat a été incapable de mettre à disposition jusqu’ici. Ces associations
doivent être soutenues, car le travail qu’elles effectuent est d’utilité publique.
Etant expertes en la matière et composées de personnes concernées par les
discriminations racistes, les associations doivent aussi être consultées pour
toute mesures entreprise par l’Etat. Cette motion demande notamment que
l’Etat travaille en collaboration avec ces associations pour mettre en place du
matériel de sensibilisation pour la lutte antiraciste. Cette démarche est
nécessaire, mais n’est pas suffisante. Pour respecter la Constitution, l’Etat
doit prendre des mesures pour être activement anti-raciste et non passivement
neutre. Par le biais de cette motion, nous demandons que des mesures
pérennes soient prises dans le cadre d’un large plan d’action anti-raciste, qui
serait lui aussi élaboré en collaboration avec les associations locales
concernées. Ce plan d’action peut être rendu public à l’aide de campagnes de
sensibilisation sur le long terme.
Education
Le département de l’instruction publique occupe selon les auteurices de
cette motion une place particulière puisqu’elle est le lieu de changements
structurels sur le long terme. La Suisse et Genève en tant qu’Etats n’ont pas
été engagées dans l’entreprise coloniale, mais en ont indirectement bénéficié.
Certain.e.x.s de leurs ressortissant.e.x.s ont été impliqué.e.x.s en tant
qu’individus dans les colonies, dans le commerce d’esclaves africain.e.x.s ou
ont contribué à l’essor de théories racistes et eugénistes. Parmi elleux, on peut retenir le Genevois François-Auguste Sautter de Beauregard, qui en
1853 constitue la Compagnie genevoise des Colonies suisses de Sétif. Le but
de ce projet consiste à établir une colonie composée de ressortissant.e.x.s
suisses en Algérie. Henri Dunant, futur fondateur de la Croix-Rouge, fait
partie des recruteurs de la Compagnie2. Carl Vogt, médecin et naturaliste, a
contribué à légitimer scientifiquement la supériorité de la race blanche et la
nécessité de ne pas la diluer par le mélange3. Il se trouve que ces derniers
sont célébrés dans l’espace public et que leur histoire est rendue tellement
opaque que leur place n’est que marginalement remise en question. Cette
situation est aberrante et démontre la nécessité d’éduquer les jeunes de notre
canton à un pan de l’histoire resté caché jusqu’ici. Quelle tristesse d’avoir
grandi à Genève, été à l’école publique, d’être passé.e.x par le boulevard
Carl-Vogt des milliers de fois pour finalement découvrir son histoire par une
vidéo Instagram plutôt que par son cours d’histoire. Eduquer les élèves du
canton à cet aspect de l’histoire suisse est nécessaire mais n’est pas suffisant.
Nous demandons que des cours de sensibilisation à la question du racisme
soient également dispensés dans les écoles et ce par des des intervenant.e.x.s
externes faisant partie d’associations compétentes locales.
L’instruction publique genevoise invisibilise l’histoire coloniale de la
Suisse mais invisibilise aussi et surtout les personnes noires. On constate la
même tendance au sein des crèches. Lorsque l’on regarde de près le matériel
pédagogique utilisé dans les crèches et les écoles primaires, on peine à
trouver des représentations d’enfants noir.e.x.s ou racisé.e.x.s dans lesquels
les enfants non blancs peuvent se reconnaître et se projeter. Ce manque de
représentation crée la fausse idée que le fait d’être blanc.he.x correspond à la
normalité. Il est temps que les enfants blancs aient l’habitude de voir des
héros qui soient à l’image de la diversité qui existe dans nos sociétés. Cette
motion propose de collaborer avec les communes, compétentes en matière de
petite enfance, afin que le matériel pédagogique utilisé dans les crèches soit
totalement inclusif, également du point de vue des diversités ethniques et
religieuses et à faire de même avec le matériel pédagogique dans l’école
primaire genevoise.
Le racisme est un fléau qui touche de nombreux.se.x.s élèves de
l’instruction publique. Les élèves qui font face à des discriminations ou des commentaires racistes, souvent banalisés, toujours douloureux, de la part
d’enseignant.e.x.s ou de camarades ne savent pas toujours à qui s’adresser
pour dénoncer ces comportements problématiques. Rapidement oubliés, ces
événements n’engendrent souvent aucune sanction. Cette motion demande
que des mesures soient prises dans les établissements scolaires pour protéger
les collaborateurices et les élèves victimes de racismes. Une solution pourrait
être de mettre en place une cellule d’écoute externe efficace, connue par les
personnes concernées et facilement accessible. Pour que les mesures soient
uniformes sur l’ensemble du canton, nous proposons par la présente motion
qu’une directive claire et publique soit élaborée par le DIP, incluant
notamment des mesures de soutien à la victime et aux éventuelles personnes
qui seraient témoins de ces actes de racisme, ainsi que des sanctions contre
les auteurices de ces actes.
Personnel de l’Etat
Le centre national de recherche « nccr – on the move » de l’Université de
Neuchâtel a récemment mené une étude sur la discrimination à l’embauche
basée sur la couleur de peau. L’expérience consiste à répondre à des offres
d’embauches à compétences égales, avec pour seule différence entre les
dossiers la couleur de peau du/de la candidat.e.x. Les résultats démontrent
que, à compétence égale, une personne de couleur devra envoyer 30% plus de
dossiers de candidatures avant de recevoir une réponse positive qu’une
personne blanche4. Cette motion demande que, au sein des ressources
humaines de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des
établissements publics médicaux, une véritable politique visant à promouvoir
les diversités ethniques soit mise en place.
Le racisme ne s’arrêtant pas aux portes de l’entretien d’embauche, il est
aussi important de protéger les collaborateurices au sein des administrations.
Il est important que, en tant qu’employeur, l’Etat mette en place des mesures
concrètes. Celles-ci peuvent prendre la forme d’une marche à suivre, d’une
directive publique, comme celle proposée ci-dessus au sein du département
de l’instruction publique. Au sein de ses administrations, l’Etat doit s’assurer
que, lorsque des comportements racistes sont avérés, les sanctions prévues
par le code pénal soient appliquées. L’Etat doit être un exemple, mais doit
aussi encourager tout dispositif permettant de prévenir les discriminations,
notamment raciales, dans le secteur privé. Un autre levier au sein de l’administration publique, du pouvoir judiciaire
et des établissements publics médicaux est bien sûr la sensibilisation. Il n’y a
pas de raison que la sensibilisation s’arrête après l’école. Cette motion
propose l’introduction de cours de sensibilisation contre le racisme pour les
employés de l’Etat donnés par des intervenant.e.x.s d’associations locales
compétentes. Ceux-ci doivent être plus nombreux, plus réguliers et plus
approfondis qu’ailleurs afin de lutter contre le profilage racial. Cette motion
propose que ces cours soient également dispensés par des intervenant.e.s
d’associations locales compétentes.
Sphère politique
La Suisse a beau se vanter de sa démocratie presque parfaite, elle peine à
satisfaire la représentation de la diversité qui existe au sein de sa population.
Pour comprendre la situation, il suffit de regarder le parlement dans lequel
nous siégeons. A droite comme à gauche, on ne dénombre pas une seule
personne noire au Grand Conseil. Les dernières élections l’ont démontré, il
suffit de listes plus égalitaires pour des élections plus égalitaires. Ainsi, cette
motion propose d’encourager chaque parti politique qui présente des listes
électorales à inclure des personnes noires et racisées.