[Projet de loi] pour un renforcement de la prévention et de la promotion de la santé dans la loi
Léo Peterschmitt
Louise Trottet
Projet de loi déposé par Léo Peterschmitt et Louise Trottet en mai 2024
Texte complet: PL Prévention et promotion de la santé
Exposé des motifs:
Face à l’explosion des coûts de la santé et alors que le système semble difficilement réformable tant l’ensemble des acteurs semble se rejeter la faute, il semble important de renforcer une approche qui viserait à prévenir les maladies plutôt qu’à les guérir. Cette modification de la loi sur la santé vise à mettre dans la loi, la majorité des concepts développés dans le Plan cantonal de promotion de la santé et de prévention 2024-2028[1]. Cette modification de la loi vise également à faire de l’Etat un véritable acteur de mise en œuvre avec un devoir de responsabilité vis-à-vis des résultats obtenus.
La promotion de la santé, qu’est-ce que c’est ?
Selon l’Organisation mondiale de la santé OMS, la promotion de la santé vise à donner aux individus davantage de maitrise de leur propre santé et davantage de moyens de l’améliorer. La santé représente donc un concept positif soulignant à la fois l’importance des ressources sociales et individuelles et celle des capacités physiques.[2]
La promotion de la santé implique un changement de paradigme, le concept de santé passant d’un modèle biomédical reposant sur l’absence de maladie à un modèle socio-écologique visant à renforcer la résilience et les atouts pour la santé, en particulier en abordant la question des déterminants sociaux de la santé et les comportements favorables à cette dernière.[3]
Principales modifications de la loi sur la santé :
Renforcer l’action de l’Etat (art. 6, al. 2 ; art. 17, al 1 ; art. 18, al. 1 ; art. 20 ; art. 21, al. 1 ; art. 22 ; art. 23 ; art. 24, al. 1 ; art. 25, al. 1 ; art. 26, al. 1 & 2) et l’évaluation des mesures (art. 4, al. 2 ; art. 16, al. 2)
Des modifications de forme sont proposées, afin de renforcer l’action de l’Etat dans les différents domaines d’action mentionnés dans la loi. Ces modifications permettent également de renforcer la réelle prise en compte d’une approche multisectorielle de la santé.
Enfin, au vu du manque du manque de suivi de certains indicateurs, il paraît important de renforcer la dimension évaluative de l’action de l’Etat. De ce fait, des moyens et des délais doivent être plus clairement fixés pour l’atteinte des objectifs définis (p.ex. dans le Plan cantonal de promotion de la santé et de prévention).
Les déterminants de la santé (art. 16, al. 1 lettre k) )
Comme mentionné plus haut, la promotion de la santé doit s’attacher à agir sur les différents déterminants de la santé qui ont un effet sur l’état de santé de la population. Ils peuvent être distingués en deux catégories différentes[4]:
Les caractéristiques individuelles (dont la plupart sont influencées par les déterminants environnementaux).
- Les caractéristiques biologiques et génétiques (âge, sexe, prédispositions biologiques ou génétiques…) ;
- Les compétences personnelles et sociales (connaissances, compétences et attitudes) ;
- Les habitudes de vie et les comportements (activité physique pratiquée, consommation d’alcool…) ;
- Les caractéristiques socioéconomiques (formation, occupation, type d’emploi, revenu).
Les déterminants environnementaux de la santé qui recoupent les milieux de vie, les systèmes et le contexte global. Dans ce modèle, les déterminants environnementaux sont définis en trois paliers, classés du micro au macro-environnement :
- Les milieux de vie, dans lesquels les individus interagissent avec d’autres et sont exposés à des conditions matérielles et socioéconomiques particulières (quartier, milieu familial, milieu scolaire, lieu de travail…) ;
- Les principaux systèmes administrés par l’Etat et ses partenaires, tels que le système éducatif, l’aménagement du territoire ou le système de santé ;
- Le contexte global, formé d’ensemble macroscopiques qui influencent fortement la vie en société (contexte politique, économique, démographique, scientifique, etc).
Maladies non-transmissibles (et lutte contre les addictions) (art. 9, al. 1)
En Suisse, où au moins 40% de la population adulte est en surpoids, quatre personnes sur cinq meurent des maladies telles que le diabète, les maladies cardiovasculaires et le cancer. Les coûts des soins de santé associés sont estimés à plus de 50 milliards de francs (55 milliards de dollars) par an, soit 80% des coûts totaux des soins de santé[5].
Selon l’Office fédéral de la santé publique, les cinq maladies non-transmissibles les plus répandues sont le cancer, les maladies cardio-vasculaires, les affections chroniques des voies respiratoires, le diabète et les maladies musculo-squelettiques. Un mode de vie sain permettrait d’éviter, ou du moins de retarder, plus de la moitié de ces maladies. Il vaut particulièrement la peine d’investir dans la promotion de la santé et la prévention dès les premières phases de la vie[6].
Quels sont les coûts pour l’économie et le système de santé de ces maladies non-transmissibles?
Toujours selon l’OFSP, 80 % des coûts de la santé sont dus à ces maladies. En 2011, ces dépenses se sont élevées à près de 52 milliards de francs[7].
Avec 25,6 milliards de francs (état en 2011), le traitement des cinq maladies non-transmissibles les plus répandues (maladies cardio-vasculaires, diabète, cancer, affections chroniques des voies respiratoires et troubles musculo-squelettiques) représente chaque année près de 40 % des coûts directs de la santé en Suisse. Si l’on ajoute les maladies psychiques et la démence, cette valeur s’élève à 51 % de l’ensemble des coûts de santé.
Au-delà des coûts directs pour le système de santé, si l’on ajoute les coûts indirects, p. ex. sous forme de pertes de productivité, les coûts pour l’économie atteignent 74,2 milliards de francs[8].
Or, on peut imaginer que ces coûts, en l’absence d’actions politiques, n’ont fait que s’accroître.
Ajouter la lutte contre les addictions
En matière de prévention et de promotion de la santé, il paraît également important de spécifier que l’Etat ne se limite pas à la lutte contre les abus de stupéfiants mais s’engage activement dans la lutte contre les addictions, de manière plus générale. La lutte contre les addictions englobe une approche plus large, notamment en matière d’actions de prévention et de promotion de la santé.
La prise en compte des limites planétaires comme facteurs déterminants de la santé (art. 16, al. 1 lettre k)
Limites planétaires
Les connaissances développées par plusieurs décennies de recherche en sciences de l’environnement ont permis d’identifier neuf domaines indispensables à la stabilité du fonctionnement de l’écosystème de notre planète, pour lesquels un seuil limite de perturbation a été défini, en dessous duquel les conditions de la vie humaine seraient préservées. Parmi ces neuf limites inextensibles, six sont déjà dépassées : en zone d’incertitude ou à haut risque, et menacent la pérennité des écosystèmes et de l’humanité : la dégradation de l’intégrité de la biosphère, la perturbation des cycles biogéochimiques du phosphore et de l’azote, l’accumulation de nouvelles entités, le changement climatique, la transformation des milieux terrestres, ainsi que l’eau verte (précipitations terrestres, évapotranspiration et humidité des sols). L’eau bleue (consommation d’eau douce), l’acidification des océans et la destruction de l’ozone stratosphérique sont considérées comme étant encore sous la limite. À ce jour, aucune limite n’a pu être quantifiée concernant le rôle fonctionnel de la diversité biologique et l’accumulation d’aérosols atmosphériques[9].
Or, les perturbations du système générées par l’activité de nos sociétés modernes ont un impact significatif sur la santé humaine. Elles menacent les déterminants les plus fondamentaux de la santé tels que l’accès à une température atmosphérique soutenable, un air sain, de l’eau propre et une alimentation saine et en quantité suffisante, ainsi qu’un cadre environnemental et social préservé et sécuritaire[10]. Selon l’OMS, le changement climatique est la plus grande menace pour la santé à laquelle l’humanité est confrontée.
Le rapport du Lancet Countdown 2020 en dresse un état des lieux. Il décrit une augmentation des vagues de chaleur, des feux de forêts, des sécheresses, des inondations, des phénomènes météorologiques extrêmes et les répercussions majeures que ceux-ci ont sur la santé des populations actuelles et futures[11]. D’un point de vue plus global, ce rapport rapporte une augmentation des stress thermiques et hydriques, des maladies cardiovasculaires et pulmonaires et encore l’augmentation de certaines maladies infectieuses.
Parmi les autres conséquences du dépassement des limites planétaires, le rapport du Lancet Countdown 2020 décrit encore l’augmentation des catastrophes naturelles, des conflits, des migrations et de leurs conséquences sur la santé physique et mentale[12].
Conjointement au changement climatique, le mode de vie moderne impacte la santé humaine par d’autres voies, notamment en raison de la sédentarisation, des habitudes alimentaires déséquilibrées et parmi d’autres des effets directs de la pollution. Cela a conduit à l’émergence et à l’expansion de nombreuses maladies non transmissibles (MNT), dont les maladies cardiovasculaires, l’obésité, le diabète, l’asthme et autres maladies pulmonaires chroniques, certaines maladies rénales ou encore de nombreux cancers et pathologies mentales. Les MNT sont responsables de 40,5 millions de morts prématurées par an, soit 71 % de la mortalité mondiale (2016), dont 42 % surviennent avant l’âge de 70 ans. En Suisse, 80 % du budget de la santé est alloué aux MNT, soit près de 50 milliards de francs suisses en 2013[13]. À elle seule, la pollution d’origine humaine est responsable d’environ 9 millions de morts prématurées par an (2015) au niveau mondial. La perte de biodiversité et l’affaiblissement des services écosystémiques nuisent aussi gravement à la santé humaine. Ils conduisent entre autres à la dégradation de la qualité de l’eau potable et à la baisse de production alimentaire, notamment par la perte des pollinisateurs, dont 75 % de l’agriculture dépend, par la dérégulation des ravageurs et par l’appauvrissement des sols en nutriments et en microfaune. L’érosion de la biodiversité contribue également à la diminution des puits de carbone, qui tamponnent les émissions anthropogéniques (d’origine humaine) de carbone à hauteur de 5,6 Gt, mais aussi à l’augmentation des maladies infectieuses émergentes et réémergentes, et encore à la perte de représentations identitaires, culturelles, récréationnelles et spirituelles[14].
L’exposition aux perturbateurs endocriniens, en particulier des fœtus et des jeunes enfants (art. 16, al. 1 lettre l) )
Les perturbateurs endocriniens constituent un enjeu de santé environnementale important. S’il est illusoire de viser leur élimination totale de nos environnements de vie, tant ils sont nombreux et omniprésents (jouets, meubles, emballages, vêtements, produits d’hygiène, de nettoyage, etc.), il est néanmoins possible d’agir à plusieurs niveaux pour limiter leur présence, et donc notre exposition.
Les enfants étant particulièrement vulnérables aux perturbateurs endocriniens, car ils sont à un âge où les organes se forment ce qui nécessite l’action de leurs hormones, il est essentiel de les préserver en priorité par un renforcement de la prévention et de la promotion de la santé auprès de certains publics-cibles[15].
Les cobénéfices santé-environnement (art. 16, al. 1 lettre m) )
Compte tenu du fait que certaines caractéristiques de nos modes de vie contemporains participent d’un côté au réchauffement climatique et à la dégradation des écosystèmes autour du monde, et de l’autre contribuent à l’accroissement de maladies dites « de civilisation », certains changements de comportements individuels ou sociétaux peuvent aussi bien bénéficier directement à la santé humaine qu’à la préservation de l’environnement. Ce lien est présenté dans la littérature sous le terme de « co-bénéfices ».
Témoins privilégiés des impacts délétères que les dégradations environnementales peuvent avoir sur la santé des individus et de la population, les médecins et les soignants peuvent contribuer à rendre plus concrets les enjeux environnementaux et ainsi encourager des changements de comportements des individus et des transformations structurelles au niveau des collectivités publiques[16].
Concrètement, un co-bénéfice peut se définir comme suit : « Une action présente un double bénéfice. Elle bénéficie à la santé humaine en même temps qu’à l’environnement. Et du fait de la dépendance de l’humain aux systèmes naturels, l’humain bénéficie doublement de l’action au travers de la préservation de l’environnement. »[17]
Le concept de co-bénéfice reconnait l’interdépendance de l’humain et de son environnement. Il lie des bénéfices à court et long-terme, ici ou ailleurs, découlant de la réduction de dégradations environnementales avec des effets tangibles et à court-terme en santé publique. Ce concept-outil pourrait ainsi encourager des changements de comportement individuels ou l’implémentation de mesures structurelles dans une optique de doubles bénéfices : améliorer la santé individuelle et populationnelle, et diminuer les dégradations environnementales[18].
Agir sur les conditions de vie et un environnement sain (étude d’impact sur la santé et approche multisectorielle) (art. 4 al. 2 ; art. 16, al. 3)
De nombreuses études montrent que la santé est fortement influencée par des facteurs liés au cadre social, économique et environnemental dans lequel les individus évoluent. Ainsi, la place de l’individu dans notre société, exprimée par son statut social, son niveau de formation ou sa situation sur le marché du travail, peut être déterminante pour son état de santé. La politique de promotion de la santé ne peut donc se limiter uniquement à une politique centrée sur les comportements de santé, mais se doit de considérer l’ensemble des déterminants de la santé dans une approche holistique[19].
De plus, le potentiel de réduction des coûts de la santé qui pourrait être réalisé à travers la constitution d’une telle politique a été reconnu par le Conseil Fédéral dans sa stratégie à l’horizon 2020 (OFSP 2013). Etant donné l’importance des facteurs environnementaux, économiques et sociaux pour la santé des individus, il apparaît donc nécessaire d’adopter une vision plus large de la politique de promotion de la santé. Pour ce faire, une collaboration intersectorielle doit être mise en place au niveau cantonal[20].
L’approche multisectorielle de la santé, ou santé dans toutes les politiques (Health in All Policies, HiAP, en anglais), est une approche prenant systématiquement en compte la santé et les implications en termes de santé de décisions de politiques publiques, tout en cherchant des synergies avec d’autres secteurs, afin d’améliorer l’état de santé général de la population et de promouvoir l’égalité devant la santé (Ollila et al., 2013). C’est donc une approche collaborative, adoptant une perspective globale des déterminants de l’état de santé individuel, afin de s’assurer que toutes les politiques publiques ont un effet positif ou, dans le pire des cas, neutre sur la santé individuelle et de la population et l’égalité devant la santé (Baum et al., 2014)[21].
Quant aux conséquences de l’industrialisation et de l’activité économique en termes de pollution environnementale, la communauté scientifique a déjà produit de nombreuses preuves empiriques de ses effets néfastes, à court et à long terme, sur la santé des individus. Une exposition dès le plus jeune âge à des polluants environnementaux a des conséquences dramatiques telles que des troubles périnatals, une augmentation la mortalité infantile, des troubles respiratoires, des allergies, des affections malignes, des troubles cardiovasculaires et mentaux, et bien d’autres effets négatifs sur la santé. En plus de ces effets à court terme, de nombreuses études ont démontré le lien entre l’exposition aux particules environnementales et le risque de morbidité et de mortalité résultant de perturbations du fonctionnement des organes, de cancers et d’autres maladies chroniques (Kelishadi, 2012)[22].
L’approche multisectorielle, en incluant les secteurs autres que celui de la santé dans le processus de décision, permet à ses décideurs politiques de prendre conscience de l’impact que beaucoup de politiques publiques peuvent avoir en termes de santé (Baum et al., 2014). L’approche multisectorielle permet d’établir une collaboration afin de concilier des intérêts divergents et de considérer de manière systématique la santé au niveau des décideurs politiques et de l’administration, ceci indépendamment du secteur concerné. Elle se base sur la constatation que la santé est influencée par une multitude de facteurs indépendants du champ d’action du secteur de la santé, d’où le besoin d’agir en coopération avec les autres secteurs (Kickbusch, 2010)[23].
L’évaluation d’impact sur la santé (EIS) est un instrument développé pour la mise en œuvre de la santé dans toutes les politiques (Health in All Policies) et le développement de processus transsectoriels. Il peut être utilisé pour évaluer les répercussions potentielles sur la santé de lois, de politiques, de stratégies ou de projets en attente d’une décision. Des études internationales attestent la valeur ajoutée de l’EIS dans la promotion de la santé de la population et l’égalité des chances en matière de santé, ainsi que le potentiel de renforcement de la qualité de la prise de décisions politiques. Certaines de ces études démontrent également la rentabilité de cette approche (Wismar, 2007)[24].
En Suisse, l’approche multisectorielle est définie dans les lignes directrices pour une politique multisectorielle de la santé publiées par l’OFSP en 2005. Celles-ci indiquent que la promotion de la santé doit « miser sur une assise politique très large, couvrant l’ensemble des politiques sectorielles, en veillant à ce que les aspects touchant à la santé soient pris en compte dans les projets et les décisions relevant d’autres secteurs politiques » (Stern et al., 2005). Les principes guidant cette approche multisectorielle sont fondés sur (Stern et al., 2005):
- l’égalité des chances, en particulier en prodiguant un effort dans le cas des groupes socialement défavorisés et en garantissant l’égalité des chances entre femmes et hommes;
- la capacité individuelle à améliorer son état de santé dans une logique de capacitation ou empowerment, offrant aux individus les opportunités de réaliser eux-mêmes ce bien-être optimal découlant de leur état de santé;
- la réalisation d’une collaboration, d’un partenariat, entre les différents secteurs et acteurs à même de jouer un rôle dans l’élaboration d’une politique multisectorielle.
Dans la pratique, ces lignes directrices définissent deux axes d’action ou deux étapes dans l’élaboration d’une politique multisectorielle de la santé (Stern et al., 2005):
- dans un premier temps la «mise en évidence des facteurs, faisant partie ou non du domaine de la santé publique, qui influencent la santé et le bienêtre»,
- dans un deuxième temps la «définition des champs d’action, des objectifs et des moyens d’action d’une politique multisectorielle de la santé».
Ces deux axes donnent lieu à deux objectifs principaux de la politique multisectorielle de la promotion de la santé en Suisse (Stern et al., 2005):
- bénéficier d’une politique multisectorielle permettant la réalisation d’une économie, d’une société et d’un environnement naturel et construit qui favorisent «la santé et le bien-être de tous les groupes de population ou du moins ne leur nuisent pas»;
- développer une démarche de politique multisectorielle, en garantissant que les responsables des différents secteurs politiques et des institutions connaissent les effets des décisions sur la santé et le bien-être.
En Suisse, 41,2% des personnes âgées de plus de 16 ans dont le revenu équivalent se situe dans le premier quintile de la distribution vivaient en 2013 avec un problème de santé ou une maladie de longue durée. Pour les personnes dont le revenu se situe en haut de la distribution, soit dans le cinquième quintile, en revanche, 31%, soit 10 points de pourcentage de moins, vivaient en 2013 avec un problème de santé ou une maladie de longue durée. Les inégalités en Suisse apparaissent certes moins importantes que dans d’autres pays comme les Pays-Bas ou l’Allemagne, mais dénotent néanmoins l’importance du contexte social dans la constitution de l’état de santé.[25]
Dans sa stratégie 2020, le Conseil Fédéral reconnaît l’importance des facteurs externes à la politique de la santé et l’utilité de l’approche multisectorielle: «Il ne faut toutefois pas oublier ici que l’état de santé de la population suisse dépend à 60% de facteurs externes à la politique de la santé, comme l’éducation, la sécurité sociale, la situation professionnelle et le revenu, l’environnement ou encore la situation en matière de transports et de logement. Il serait toutefois possible d’influer de manière ciblée, au niveau fédéral, sur ces déterminants sociaux et liés à l’environnement en renforçant la collaboration avec les départements concernés» (OFSP 2013)[26].
Dans le canton de Genève, le plan cantonal de promotion de la santé et de prévention est inscrit dans la loi genevoise sur la santé. Le canton développe par ailleurs un concept cantonal qui fixe les lignes directrices de la politique cantonale de promotion de la santé et de prévention pour les 15 prochaines années, en privilégiant une approche multisectorielle[27].
Protection des travailleurs et travailleuses face aux conditions climatiques extrêmes (art. 19, al. 3)
Dans son Plan cantonal de promotion de la santé et de prévention (action 1.15 Renforcer les mesures de prévention face aux évènements climatiques particuliers et persistants (canicule) dans le cadre de la protection de la santé au travail), l’Etat a déjà annoncé vouloir s’engager pour la protection de la santé des travailleurs et travailleuses. Ancrer ce principe dans la loi permet de renforcer la responsabilité de l’Etat quant aux mesures de protection des travailleurs et travailleuses face aux conditions climatiques extrêmes.
L’enjeu pour la protection des travailleurs et travailleuses sera de plus en plus de les prévenir et de limiter les effets des fortes chaleurs sur la santé de la population active, en particulier durant des canicules persistantes.
L’exposition à des fortes chaleurs peut avoir des effets néfastes sur la santé mais aussi sur la sécurité des travailleurs. Fatigue, maux de tête, nausées, vertiges, crampes sont des manifestations fréquentes liées à l’exposition à la chaleur intense, et parfois les signes précurseurs de troubles plus graves. Les risques les plus importants, voire mortels, de cette exposition sont la déshydratation, le coup de chaleur, ainsi que l’aggravation de maladies chroniques, sans oublier le risque augmenté d’accidents liés à l’altération des performances mentales et physiques. La combinaison de conditions de travail défavorables, impliquant notamment des efforts intenses et prolongés en plein soleil ou à proximité de sources de chaleur à l’extérieur et à l’intérieur des bâtiments en plus de facteurs individuels (maladies chroniques, absence d’acclimatation, mauvaise condition physique, entre autres) peut aggraver ces effets[28].
Selon l’Office fédéral de météorologie et climatologie, les scénarios climatiques actuels prévoient une augmentation de la fréquence et de l’intensité des périodes caniculaires ainsi que des records de chaleur, ce qui entraînera une augmentation des risques pour la santé et la sécurité des personnes les plus exposées à ces conditions au travail.
Dans le cadre d’une approche transversale et multisectorielle des enjeux sanitaires, la santé publique inclut également dans son champ la protection et la promotion de la santé au travail et considère les conditions de travail comme des déterminants essentiels de la santé. Ainsi, il est indispensable que la collaboration déjà existante entre les acteurs cantonaux de santé publique et de la santé au travail soit renforcée, permettant d’y intégrer les préoccupations relatives à la protection de la santé de la population active dans le canton contre les effets des fortes chaleurs[29].
Protection des personnes âgées (art. 20 al.2)
Le 9 avril 2024, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a rendu un verdict « statuant que la Suisse viole les droits humains des femmes âgées car le pays ne prend pas les mesures nécessaires pour lutter contre le réchauffement climatique »[30]. Selon l’association qui a porté le cas devant la CEDH, les personnes âgées est le groupe de population le plus fortement touché par l’augmentation des canicules, car les atteintes à leur santé et leur mortalité sont particulièrement élevées.
Une véritable politique de prévention et de promotion de la santé des personnes âgées doit également agir sur les facteurs environnementaux et, notamment, sur les effets du dérèglement climatique sur la santé. L’Etat, conformément au verdict de la CEDH, doit se fixer des objectifs climatiques suffisant pour limiter le réchauffement climatique à un niveau acceptable et, ainsi, minimiser ses effets sur la santé des personnes âgées.
Durabilité des soins (art. 28 al.1)
Dans le contexte actuel, le système de santé doit aussi s’inscrire dans une perspective de durabilité. Plusieurs initiatives visent à ancrer cette perspective dans les pratiques médicales[31]. Des réflexions sont, actuellement, menées par des professionnel-le-s de la santé pour améliorer la durabilité du système de santé[32]. L’académie Suisse des sciences médicales a organisé un Forum suisse pour la durabilité du système de santé[33] qui a permis d’établir une feuille de route « pour des services de santé suisses durables dans les limites planétaires »[34]. Cette feuille de route définit 7 propositions pour améliorer la durabilité du système de santé :
- Renforcer l’engagement citoyen, communautaire et institutionnel pour accélérer la transition écologique de la société
- Repenser le concept et la définition de la santé comme étant liée aux déterminants environnementaux
- Dé-(bio)médicaliser et resocialiser la santé
- Développer un nouveau paradigme pour une médecine et des soins durables
- Promouvoir d’autres pratiques de soins et intégrer des questions environnementales dans la pratique médicale
- Engager les institutions de soins dans une démarche de durabilité forte
- Former et sensibiliser des professionnel-le-s de la santé aux enjeux de durabilité environnementale
Maîtrise des coûts de la santé (art. 33, al. 3)
Au niveau mondial, l’espérance de vie est plus élevée dans les pays où l’on consacre d’importantes ressources à la santé. Ce lien n’est toutefois pas linéaire et on observe un palier pour tous les pays développés. Autrement dit, pour ces pays il n’existe pas de lien clair entre dépenses pour la santé et l’espérance de vie. Les coûts pour la santé diffèrent largement en Suisse selon les cantons, ceci évidemment sans aucun lien avec l’espérance de vie[35].
Le potentiel de réduction des coûts de la santé qui pourrait être réalisé à travers la constitution d’une politique [d’approche multisectorielle de la promotion de la santé] a été reconnu par le Conseil Fédéral dans sa stratégie à l’horizon 2020 (OFSP 2013)[36].
Promouvoir la santé et prévenir la maladie nécessite de comprendre ce qui détermine l’état de santé. Les déterminants de la santé les plus importants relèvent surtout de facteurs personnels et sociaux (40-50%), tels que les compétences en santé, les ressources personnelles, les réseaux de soutien, le niveau socio-économique. Les comportements et modes de vie font également partie des déterminants sociaux de la santé, de même que l’influence culturelle, par exemple en matière d’identité, de genre et de valeurs telle que la solidarité. Les facteurs environnementaux représentent quant à eux environ 20% de la détermination de notre état de santé. Evénements climatiques, qualité de l’air, du sol et de l’eau, aménagement du territoire et mobilité influencent notre état de santé. Au final, seuls 10 à 15% de notre état de santé dépend de l’accès aux soins et de la qualité du système de santé[37].
Pourtant, peu de moyens sont alloués sur ces facteurs importants alors qu’une grande partie des dépenses est concentrée sur le système des soins. Dans une perspective de maîtrise des coûts de la santé, il semble pertinent d’investir plus massivement dans la prévention et dans la promotion de la santé. Si l’Etat s’engage déjà, via son Plan cantonal de promotion de la santé et de prévention 2024-2028, un renforcement de la base légale permettrait d’ancrer plus fortement ces concepts dans la loi et d’accroître la responsabilité de l’Etat quant à l’atteinte des objectifs fixés.
[2] https://www.edi.admin.ch/edi/fr/home/themes/sante-et-promotion-de-la-sante.html
[3] Promotion Santé Suisse, « Les bases conceptuelles de la promotion de la santé et l’agenda du développement durable », 2010
[4] Centre universitaire de médecine générale et santé publique Unisanté, « Environnements favorables à la santé »
[5] swissinfo.ch, « La Suisse, eldorado de l’addiction au sucre » 21 juillet 2023
[6] https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/zahlen-und-statistiken/zahlen-fakten-nichtuebertragbare-krankheiten.html
[7] Wieser, S et al. (2014): Die Kosten der nichtübertragbaren Krankheiten in der Schweiz. Schlussbericht. Studie im Auftrag des Bundesamts für Gesundheit BAG. Zürcher Hochschule für Angewandte Wissenschaften (ZHAW), Winterthur
[8] Ibid.
[9] A. Tanner & al., « Les limites planétaires et la santé », dans « Santé et
Environnement :Vers une nouvelle approche globale » (N. Senn & al.), 2022
[10] Ibid.
[11] Ibid.
[12] Ibid.
[13] Office fédéral de la santé publique OFSP, « Faits et chiffres : maladies non transmissibles »
[14] A. Tanner & al., op. cit.
[15] Ville de Genève, « Guide pratique : Perturbateurs endocriniens, de la sensibilisation à l’action »,
[16] Gonzalez, Niwa, Senn, « Co-bénéfices : pourquoi introduire l’écologie dans la pratique clinique ? », Revue médicale suisse, 2020
[17] Ibid.
[18] Ibid.
[19] Promotion santé suisse, « Approche multisectorielle de la promotion de la santé: un guide pour la Suisse romande et le Tessin », Mai 2017
[20] Ibid.
[21] Ibid.
[22] Ibid.
[23] Ibid.
[24] Ibid.
[25] Ibid.
[26] Ibid.
[27] Ibid.
[28] Etat de Genève, « Plan cantonal de promotion de la santé et de prévention 2024-2028 », 2023
[29] Ibid.
[30] https://ainees-climat.ch/
[31] « Less is more », « Choosing wisely », « Smarter medicine »
[32] Faculté de biologie et de médecine (UNIL), « Les soins: un accès universel en Suisse sans blesser la planète ? », podcast publié le 16 novembre 2023
[33] Académie Suisse des Sciences Médicales, « Forum suisse pour la durabilité du système de santé », 8 juin 2023
[34] Académies suisses des sciences, « Pour des services de santé suisses durables dans les limites planétaires », 2022
[35] Swissinfo.ch, « L’argent rime-t-il forcément avec meilleure santé ? », 12 décembre 2016
[36] Promotion santé suisse, op. cit.
[37] Etat de Genève, « Stratégie du Canton : Concept cantonal PSP 2030 »