François Lefort

Question écrite déposée par François Lefort en mars 2021

Texte complet et réponse du Conseil d’Etat: Q 3853 A

Exposé de la question:

Vous vous souvenez que la LPol fut fortement contestée et ensuite
adoptée à très peu de voix près.

Cette loi, dès son application, a rapidement confirmé les craintes de ses
opposants initiaux et a nourri des interrogations dans les camps qui l’avaient
initialement acceptée.

Les critiques sont multiples : multiplication de silos et d’états-majors
coûteux, diminution dangereuse des effectifs sur le terrain, difficultés de
recrutement, nivellement vers le bas à l’engagement, formation inadéquate et
lacunaire à Savatan, confusion des cahiers des charges. Les conséquences
relevées par les corps intéressés sont une perte du sens des missions et une
démotivation des personnels. Le résultat serait une police plus chère, une
police moins efficace, et ceci finalement au détriment de la population.

Ces critiques relèvent des dysfonctionnements constatés tant par les
policiers, toutes strates confondues, que par des journalistes, des élus, des
gens de loi, et malheureusement par les justiciables.

Soucieux d’améliorer la situation et de rendre aux citoyens la police de
qualité à laquelle ils avaient droit, des gens de bonne volonté et animés d’un
esprit constructif, députés, avocats, et policiers, de toutes couleurs politiques, travaillèrent sur un projet de loi visant à amender les articles de la LPol qui
posaient problème, le PL 12521, toujours en suspens devant la commission
judiciaire et de la police depuis le 6 juin 2019.

Les députés, à l’origine de la suspension des travaux sur ce projet de loi,
proposèrent alors une étude sur les effets de la LPol.

A la surprise de tous, M. Alexandre Vautravers fut seul désigné pour
mener cette « analyse ». Nombreux furent celles et ceux qui s’étonnèrent et
s’inquiétèrent de ce choix pour le moins singulier : comment pouvaient-ils
être certains que M. Vautravers – proche et soutien du conseiller d’Etat en
charge à l’époque, membre de son cabinet au DSES, actif dans la LPol et plus
particulièrement dans le conseil consultatif de sécurité institué par cette
dernière – allait rendre un rapport impartial sur la LPol ?

Ce choix portait déjà le soupçon de constats subjectifs et de conclusions
tronquées.

Mais ces interrogations et objections légitimes n’y changèrent rien.
Une fois achevé, le rapport resta secret des mois durant, jusqu’au dépôt
récent de ses conclusions aberrantes devant le Grand Conseil, relayées par la
Tribune de Genève. Aujourd’hui, force est de constater que les conclusions
complaisantes de M. Vautravers à l’égard de la LPol viennent confirmer les
craintes d’alors.

Le 15 mars 2021, un article de la Tribune de Genève nous apprenait que
le conseiller d’Etat Mauro Poggia confirmait que M. Vautravers est
actuellement toujours secrétaire du conseil consultatif de sécurité mis en
place par la LPol, et qu’au sein de ce conseil il a déjà été question à trois reprises du bilan de cette dernière. En d’autres termes, M. Vautravers a été
salarié pour mener une étude sur la LPol et son bilan, ce alors qu’il a été
employé de l’ex-DSES, qu’il a participé à la rédaction de la LPol, qu’il est
membre du conseil consultatif de la sécurité notamment visé par les
amendements déposés devant le Grand Conseil, et qu’il est à ce titre
également salarié grâce à la LPol, et que ce conseil fait en particulier le
même travail pour lequel M. Vautravers a été missionné.

Ceci est un conflit d’intérêts patent des plus surprenants et des plus
troublants.

Pour cette raison, ce rapport ne peut être évidemment considéré ni comme
objectif, ni comme valide.

Les faits relatés ci-dessus suggèrent donc les questions suivantes :

  • Pourquoi M. Vautravers a-t-il été choisi pour ce rapport ?
  • Pourquoi lui seul et personne d’autre ?
  • Pourquoi ne pas avoir tenu compte des inquiétudes des journalistes,
    élus et syndicats, émises en septembre 2019 ?
  • Pourquoi le conflit d’intérêts patent n’a-t-il pas été évalué par le
    Conseil d’Etat ?
  • Le Conseil d’Etat ignorait-il le rôle actif de M. Vautravers dans la LPol
    ainsi que dans le conseil consultatif de sécurité ?
  • Quelle et la méthodologie de l’analyse qui a été menée ?
  • Quelles sont les parties et les personnes qui ont été auditionnées ?
  • Les procès-verbaux peuvent-ils être communiqués au Grand Conseil,
    sous couvert de la LIPAD ?
  • M. Vautravers a-t-il été payé en sus de son salaire de fonctionnaire pour
    ce rapport qui n’a guère de validité aujourd’hui ?
  • Si oui, combien ?
  • Combien M. Vautravers a-t-il été payé pour son activité au sein du
    conseil consultatif de sécurité, en sus de sa fonction ?
  • Quand le rapport a-t-il été rendu au Conseil d’Etat par M. Vautravers ?
  • Le rapport du DSES ne serait qu’un résumé qui synthétise de façon
    drastique le travail effectué et rendu par M. Vautravers, lequel aurait
    traité de bien plus de points. Le Conseil d’Etat peut-il communiquer au
    Grand Conseil le rapport initial complet, ayant servi de base à sa brève
    synthèse ?
  • Sans ce rapport initial complet, comment le public et le Grand Conseil peuvent-ils être certains que des points cruciaux n’ont pas été écartés ou filtrés par le DSES lors de sa synthèse ?
  • Enfin le Conseil d’Etat a-t-il l’intention d’utiliser comme base de travail un rapport dont l’objectivité est légitimement mise en doute ?

Réponse du Conseil d’Etat

– Pourquoi M. Vautravers a-t-il été choisi pour ce rapport ?
L’expérience de M. Vautravers dans le domaine de la sécurité, son cursus
universitaire et ses compétences pour établir le bilan d’une transformation au
sein d’une organisation complexe, dans des délais très courts, sont autant de
qualités qui ont présidé à sa désignation pour mener à bien ce projet.

– Pourquoi lui seul et personne d’autre ?
Le chef du département compétent a décidé de disposer d’une personne à
même de lui rapporter régulièrement l’état des travaux, qui sont le fruit d’un
travail de consultation de différentes instances.

– Pourquoi ne pas avoir tenu compte des inquiétudes des journalistes,
élus et syndicats, émises en septembre 2019 ?
Les inquiétudes ont été entendues, si bien que le chef du DSPS s’est exprimé
sur ce sujet devant la commission judiciaire et de la police, afin de démontrer
qu’elles n’étaient pas fondées.
– Pourquoi le conflit d’intérêts patent n’a-t-il pas été évalué par le
Conseil d’Etat ?
Aucun conflit d’intérêt n’a été identifié.

– Le Conseil d’Etat ignorait-il le rôle actif de M. Vautravers dans la LPol
ainsi que dans le conseil consultatif de sécurité ?
M. Vautravers, ayant intégré le département le 1er septembre 2015, n’a
jamais pris part à l’élaboration de la loi sur la police. Quant au conseil
consultatif de sécurité, M. Vautravers n’a pas qualité de membre; il en assure le
secrétariat et est nommé par le chef du département.

– Quelle est la méthodologie de l’analyse qui a été menée ?
L’étude sur le bilan de la LPol, lancée en septembre 2019, a permis de
réaliser plus de 170 entretiens, dont plus de 100 ont été protocolés. A cela
s’ajoutent, au cours de la même période, une dizaine d’immersions au sein de
différents services de la police cantonale, mais aussi au sein des polices
municipales. Les questions et sujets de ces entretiens ont été groupés selon les thèmes
suivants :
– personnel et effectifs, conduite/gouvernance, structure/organisation,
formation, sécurité de proximité et contexte/tendances.
Les éléments des entretiens ont été traités en tant qu’énoncés, reflets des
perceptions et opinions au sujet de la réforme de la LPol, puis consolidés et
analysés selon la grille thématique évoquée plus haut. Il en est ressorti quatre
domaines d’intérêt et d’attention particuliers : le domaine de la structure et de
l’organisation, les questions de conduite et de gouvernance, les questions
liées à la formation et aux ressources humaines, et enfin les discussions
spécifiques liées à la question de la sécurité de proximité. Dans chacun de ces
domaines, des recommandations ont été formulées.

– Quelles sont les parties et les personnes qui ont été auditionnées ?
Les catégories de personnes auditionnées sont les suivantes : autorités
cantonales (comme le pouvoir judiciaire), spécialistes de la formation
policière, membres du concordat RBT (Confédération et polices romandes),
membres de l’état-major de la police, membres des ressources humaines de la
police, cadres et collaborateurs des services opérationnels de la police,
anciens policiers, représentants des syndicats, dirigeants d’entreprises de
sécurité privées, psychologues et représentants de la commission du
personnel, chercheurs universitaires, représentants et autorités des communes
genevoises.

– Les procès-verbaux peuvent-ils être communiqués au Grand Conseil,
sous couvert de la LIPAD ?
Les entretiens ont été réalisés sous le sceau de la confidentialité.

– M. Vautravers a-t-il été payé en sus de son salaire de fonctionnaire pour
ce rapport qui n’a guère de validité aujourd’hui ?
Non.

– Si oui, combien ?

– Combien M. Vautravers a-t-il été payé pour son activité au sein du
conseil consultatif de sécurité, en sus de sa fonction ?
Aucune rémunération n’est possible pour le personnel de l’Etat qui siège
dans une commission officielle et y représente l’Etat.

– Quand le rapport a-t-il été rendu au Conseil d’Etat par M. Vautravers ?
Le bilan sur la mise en oeuvre de la LPol a été achevé le 4 février 2021 et
présenté au Conseil d’Etat lors de sa séance du 24 février 2021.

– Le rapport du DSES ne serait qu’un résumé qui synthétise de façon
drastique le travail effectué et rendu par M. Vautravers, lequel aurait
traité de bien plus de points. Le Conseil d’Etat peut-il communiquer au
Grand Conseil le rapport initial complet, ayant servi de base à sa brève
synthèse ?
Plusieurs rapports intermédiaires et notes de travail ont été réalisés dans le
cadre de ce travail. Ces documents ont servi à des discussions internes et à
l’élaboration de solutions et de recommandations.

– Sans ce rapport initial complet, comment le public et le Grand Conseil
peuvent-ils être certains que des points cruciaux n’ont pas été écartés
ou filtrés par le DSES lors de sa synthèse ?
Le bilan de mise en oeuvre contient une synthèse du fruit des entretiens et
énoncés recueillis. Tous les thèmes et recommandations y sont développés.

– Enfin le Conseil d’Etat a-t-il l’intention d’utiliser comme base de travail
un rapport dont l’objectivité est légitimement mise en doute ?
A la suite de ce bilan, un comité de pilotage a été constitué afin d’évaluer les
recommandations formulées et de proposer des solutions pour leur mise en
oeuvre dans les 6 à 12 prochains mois. Les travaux ont d’ores et déjà débuté.