Marjorie de Chastonay

Question urgente écrite déposée par Marjorie de Chastonay en août 2022

Texte complet et réponse du Conseil d’Etat: QUE 1783 A

Exposé de la question:

Dans son communiqué du 14 juin 2022, l’OCEV, sous l’égide du DT,
constate :

« Poussières du Sahara

Caractérisé par une étrange lumière orangée, le passage fin février 2021
d’un nuage de poussières du Sahara avait marqué les esprits. Noté durant
plusieurs jours par les appareils de mesures genevois, ce phénomène
spectaculaire avait alors pu être observé sur une bonne part de notre pays.
Ces poussières naturelles issues du sable sont en réalité bien connues :
transportées par le vent sur de longues distances, elles peuvent avoir des
effets comparables à ceux des pollens ; elles sont cependant bien moins
problématiques pour la santé que les poussières issues de la combustion,
nettement plus fines. Compte tenu de la nature du phénomène, les dispositifs
anti-pollution demeurent impuissants à l’encontre du passage d’un nuage de
sable et ne sont donc en principe pas activés. Observé à nouveau durant
l’hiver dernier, ce type de nuages de poussières du Sahara, qui affole
momentanément les compteurs, pourrait être amené à être recensé
régulièrement à l’avenir, à la faveur des remontées d’air venant du Sud. »

Ces constats concernant l’effet des poussières sur la santé ne
correspondent néanmoins pas à la réalité scientifique. Voici quelques
citations et recommandations issues d’études scientifiques :

« Les PM10 provenant du désert étaient positivement associées à la
mortalité et aux hospitalisations en Sicile. Les politiques devraient viser à réduire les émissions anthropogéniques même dans les zones où la
contribution des sources désertiques est importante. »

Puis, « Les résultats in vitro suggèrent que les quantités importantes de
poussière du désert en suspension pendant les périodes de tempête peuvent se
mélanger avec des produits chimiques sur ses surfaces, augmentant ainsi la
bioréactivité des PM2,5 pendant les épisodes de tempête de poussière, et que
les réactions de surface de la poussière minérale sont une source non
reconnue de produits chimiques organiques toxiques dans l’atmosphère,
augmentant la toxicité des aérosols dans les environnements urbains. »

Et enfin, « les preuves épidémiologiques fournissent une base de preuves
raisonnable pour inclure les effets de la poussière sur la mortalité (et la
morbidité) dans les estimations quantitatives de la charge mondiale de
morbidité due à la pollution de l’air. De plus, les preuves à ce jour
confirment les estimations du risque (c’est-à-dire le changement en
pourcentage du résultat de la mortalité ou de la morbidité par microgramme par mètre cube) pour des poussières généralement similaires à celle des P2.5
en général. »

Tenant compte de ces constats scientifiques, les effets des poussières du
Sahara ne sont pas moins problématiques pour la santé que les poussières
issues de la combustion. Les auteurs des articles scientifiques recommandent
d’ailleurs de réduire les émissions de poussières fines issues d’autres sources
pendant les périodes de pollution par les sables du Sahara. Les dispositifs
anti-pollution devraient dès lors être activés pendant les passages des nuages
de poussières du Sahara en ville de Genève comme ailleurs dans le monde.

Le règlement régissant le dispositif d’urgence en cas de pics de pollution
atmosphérique (K 1 70.09) stipule dans la section 2, Art. 11 Particules fines –
PM10 :
1 Le niveau d’alerte 1 est activé lorsque les prévisions indiquent un
dépassement de 50 μg/m3 dans les jours suivants.
2 Le niveau d’alerte 2 est activé lorsque les mesurages indiquent un
dépassement de 50 μg/m3 dans 1 station du réseau d’observation pendant
24 heures.
3 Le niveau d’alerte 3 est activé lorsque les mesurages indiquent un
dépassement de :
a) 50 μg/m3 dans 2 stations du réseau d’observation pendant 4 jours
consécutifs, ou
b) 75 μg/m3 dans 2 stations du réseau d’observation pendant 2 jours
consécutifs, ou
c) 75 μg/m3 dans 3 stations de mesure dans 2 cantons romands différents.

Il n’y a pas de distinction entre poussières fines issues de combustion et
d’autres poussières dans ce règlement.

Ma question est donc la suivante :

  • Combien de fois, pendant combien de jours, et avec quelles valeurs
    exactement ces seuils ont-ils été dépassés lors du passage des poussières du
    Sahara et qui a décidé de ne pas activer le dispositif d’urgence ?

Réponse du Conseil d’Etat

provenant du Sahara. Ce phénomène a une origine naturelle : les tempêtes de sable et de poussières surviennent lorsque la basse atmosphère au-dessus du désert est rendue instable par de l’air extrêmement chaud, ce qui engendre des vents violents capables de soulever d’énormes quantités de sable. Ces dernières peuvent alors, via les courants atmosphériques, parcourir des milliers de kilomètres et sont détectables par les réseaux d’observation de la pollution atmosphérique dans les mesures des poussières fines (de type PM2.5 et PM10).

Les provenances des particules mesurées par les instruments de mesure du ROPAG (réseau d’observation de la pollution atmosphérique à Genève) peuvent être d’origines très différentes – naturelles (pollens, feux de forêts, émissions volcaniques, sable du Sahara, etc.) ou anthropiques (trafic routier, chauffage, incinération des déchets, procédés industriels, usure des freins, etc.). Lorsqu’ils parviennent dans les basses couches de l’atmosphère, les nuages de poussières désertiques ajoutent à la pollution existante aux particules fines une contribution d’origine naturelle qui a pour effet d’augmenter les concentrations de particules mesurées, et notamment celles des poussières de taille grossière (PM10). Cette augmentation peut être d’amplitude très variable, notamment en fonction de l’altitude à laquelle se trouvent ces nuages et des conditions météorologiques.

D’un point de vue technique, il est nécessaire de distinguer les concentrations mesurées de façon quasiment instantanée par les appareils du ROPAG utilisant des méthodes optiques de celles qui sont mesurées par des méthodes gravimétriques. Ces dernières constituent la référence de mesure au niveau suisse mais ont l’inconvénient de ne pas permettre d’avoir les données en continu (elles nécessitent des opérations de pesées qui se font périodiquement – tous les 14 jours – dans un laboratoire). Pour cette raison, ce sont les valeurs instantanées retournées par les instruments optiques qui sont utilisées pour objectiver la nécessité de déclencher ou non le dispositif d’urgence en cas de pics de pollution atmosphérique.

Il est également important de rappeler que, suite à une décision de justice, le seuil d’activation du dispositif Stick’AIR pour les PM10 est depuis le 18 novembre 2020 de 75 μg/m3 (art. 11 du règlement régissant le dispositif d’urgence en cas de pics de pollution atmosphérique, du 6 novembre 2019 (RPics; rs/GE K 1 70.09)), et non plus de 50 μg/m3 comme mentionné dans la présente question écrite urgente.

La semaine du 22 février 2021, des concentrations instantanées ont dépassé le seuil de 75 μg/m3, pour la concentration journalière des PM10, aux dates suivantes : le 24.02.2021 à la station de Passeiry (82 μg/m3), le 25.02.2021 à Passeiry (98 μg/m3), Necker (87 μg/m3), Meyrin (90 μg/m3) et Foron (90 μg/m3), et le 26.02.2021 à Passeiry (91 μg/m3), Necker (82 μg/m3), Meyrin (82 μg/m3) et Foron (84 μg/m3).

Malgré ces valeurs élevées, le département du territoire (DT) a pris la décision de ne pas déclencher le dispositif Stick’Air, mais de publier un communiqué de presse pour informer, prévenir et rassurer la population au regard des concentrations très élevées qui pouvaient sembler alarmantes, tout en donnant des recommandations sanitaires à destination des personnes les plus vulnérables (publication du 25 février 2021).

La décision de ne pas déclencher le dispositif Stick’AIR s’appuie sur les raisons suivantes :
– L’article 10A RPics n’était pas respecté : en effet la prévision météorologique indiquait un changement de masse d’air pour le vendredi 26 février 2021 au soir, et le dispositif Stick’AIR aurait été mis en place à la fin de l’épisode de poussières, ce qui aurait été inutile et n’aurait par ailleurs pas été compréhensible par la population.
– L’apport de poussières en provenance du Sahara ne pouvait pas être qualifié de « pic de pollution » et ce phénomène n’était pas lié à l’émission de sources polluantes sur lesquelles il est possible d’avoir un contrôle.

– Les mesures du dispositif Stick’Air n’auraient eu qu’un impact très limité sur les concentrations de PM10 qui n’étaient majoritairement pas d’origine anthropique et qui étaient essentiellement de taille grossière (rapport mesuré PM2.5/PM10 plus faible que lors de pics de pollution d’origine anthropique).
– Etant donné leur taille grossière, les poussières désertiques sont moins problématiques pour la santé que celles provenant de processus de combustion, même si elles peuvent avoir des conséquences sur la santé (essentiellement d’ordre respiratoire).

Au niveau romand, les autres cantons ont décidé de communiquer dans la même ligne que celle du canton de Genève, en insistant sur les recommandations en lien avec des mesures de protection individuelle et en ne déclenchant pas de mesures autres que des actions d’information. La Confédération, via l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), a par ailleurs fait parvenir un message dans le même sens par le comité de Cercl’Air (Société suisse des responsables de l’hygiène de l’air) aux chefs de service cantonaux de l’air au sujet de la charge actuelle en poussières (« Ce phénomène naturel ne constitue pas un danger pour la santé et il n’y a pas de mesures particulières de protection à recommander à la population. Il n’est pas non plus possible d’entreprendre des mesures pour diminuer ce « nuage de sable » dans le cadre du concept intercantonal de la DTAP. Seul l’arrivée de précipitations (de faibles pluies sont annoncées pour vendredi) ou un changement de la direction du vent provoqueront une diminution des concentrations de poussières sur notre pays. »).

Il est à noter qu’en utilisant a posteriori les données gravimétriques, selon les recommandations de la Confédération pour le mesurage des immissions de polluants atmosphériques, il ressort que les concentrations de PM10 n’ont jamais dépassé la valeur de seuil de 75 μg/m3 pour cette période – les valeurs corrigées sont les suivantes : le 24.02.2021 à la station de Passeiry (61 μg/m3), le 25.02.2021 à Passeiry (70 μg/m3), Necker (73 μg/m3), Meyrin (72 μg/m3) et Foron (72 μg/m3), et le 26.02.2021 à Passeiry (64 μg/m3), Necker (69 μg/m3), Meyrin (63 μg/m3) et Foron (67 μg/m3). Il apparaît donc que d’un point de vue formel, les conditions de déclenchement de l’article 11 RPics n’étaient pas remplies. Il faut par ailleurs noter que le seuil de 75 μg/m3 n’a pas été dépassé sur le canton de Genève depuis le mois de janvier 2017.

En conclusion, la valeur du seuil de 75 μg/m3 n’a jamais été dépassée dans le canton de Genève depuis janvier 2017, le dispositif d’urgence n’a pas été déclenché en février 2021 pour les raisons évoquées plus haut et, conformément aux dispositions du RPics, la nécessité de déclencher le dispositif d’urgence en cas de pic de poussières de sable continue d’être évaluée au cas par cas par le service chargé de la protection de l’air, tout en prenant en compte l’impact sanitaire de ce type de poussières sur la population et sans le minimiser.