Yves de Matteis

Question urgente écrite déposée par Yves de Matteis en décembre 2022

Texte complet et réponse du Conseil d’Etat: QUE 1850 A

Exposé de la question:

La Cour des comptes du canton de Genève a publié, en 2016, soit il y a
plus de six ans, un document intitulé « Evaluation de politique publique en
matière de protection des mineurs : mesures liées au placement ». Les
recommandations de la Cour des comptes incluaient notamment le fait de
préconiser de « développer les prises en charge au sein des familles d’origine
et, lorsqu’un placement en foyer est nécessaire, d’accompagner davantage les
parents afin de favoriser le retour du mineur dans sa famille d’origine ».

Cette évaluation a été suivie de rapports de suivi publiés respectivement
en 2017, 2018 et 2019, puis plus rien. Ces rapports mentionnent le fait que, à
l’époque, des recommandations ont été suivies d’effets, mais, in fine,
seulement pour trois des six mesures préconisées, ce qui est regrettable.

Il faut noter que la pratique de la Cour des comptes, qui consiste,
aujourd’hui, à effectuer un tel suivi jusqu’à ce que toutes les
recommandations soient concrétisées par l’instance auditée, n’avait pas
encore cours, et ne se limitait qu’aux trois années suivant l’évaluation de la
politique publique en question.

Régulièrement interpellées par des parents se disant victimes avec leur(s)
enfant(s) d’abus et de violences institutionnelles légalisées – que cela soit
dans le cadre d’auditions ou en dehors de ce cadre –, la commission des
Droits de l’Homme (droits de la personne) a régulièrement déposé des textes
parlementaires sur la thématique, ceci jusqu’à aujourd’hui. Et ce travail n’est
pas encore terminé, certaines problématiques étant encore d’actualité et
nécessitant la vigilance des membres de cette commission, qui est l’une des seules à disposer du pouvoir de s’autosaisir, le cas échéant, de problèmes
dont elle peut avoir connaissance en matière de droits humains.

A la décharge du département concerné, il faut noter que ce dernier,
conscient de certaines problématiques concernant le placement des enfants,
et, de manière plus générale, la protection de l’enfance, a entrepris de mettre
sur pied un certain nombre de mesures et de dispositifs, dont le projet
stratégique du DIP intitulé Harpej (Harmonisation de la protection de
l’enfance et de la jeunesse).

Ces différentes mesures, si elles peuvent sembler appréciables – mais pas
toujours suffisantes ni même toutes en place, et même si certaines ont été
planifiées ou sont d’ores et déjà effectives –, sont pourtant la preuve claire
que certaines situations et certains dossiers auraient pu être traités de manière
différente, selon des critères revus et une approche prenant plus en compte
les droits humains et respectant notamment les recommandations de la Cour
des comptes, ainsi que le RD 1364.

Ainsi, pour citer le dernier suivi de la Cour des comptes de 2019, « La
recommandation no 2 émise par la Cour (non réalisée) visait à positionner les
parents au centre de l’intervention étatique en identifiant, dans le cadre d’une
convention d’objectifs, leurs capacités actuelles ainsi que les conditions
relatives au retour du mineur dans sa famille d’origine. La Cour persiste à
penser qu’un renforcement des mesures visant le développement des
capacités parentales est indispensable à une meilleure prise en compte des
intérêts des mineurs et de leur famille ainsi qu’au soulagement des
organismes d’accueil qui demeurent surchargés ».

Ainsi, la Cour des comptes, lors de ses divers rapports, est d’avis que le
« risque zéro », lequel semble être la priorité des instances de protection de
l’enfance, ce qui à première vue pourrait paraître louable, peut néanmoins
mener à des abus, et à des solutions qui se révèlent pire que le problème,
problème d’ailleurs parfois engendré par le système lui-même alors qu’il est
censé le pallier.

Pour être plus précis, si certains parents peuvent avoir des capacités
parentales qui ne sont pas optimales, alors que ce n’est pas le cas d’autres
parents victimes, la Cour des comptes est d’avis que, plutôt que de retirer
l’enfant à ses parents, acte d’une violence souvent extrême pour qui doit le
subir, pour le confier à des foyers (en l’éloignant de son environnement, de
son domicile, de ses parents et de ses proches), il serait bien évidemment plus
adéquat, et plus respectueux des droits de l’enfant concerné et de sa famille,
de chercher à le maintenir au sein de ladite famille, ceci en fournissant des
aides à la parentalité si nécessaire.

Certaines familles, par le passé et même encore actuellement, ont été
soumise à ce régime, qui les a vues, parfois à tort, selon l’opinion de la Cour
des comptes, séparées de leur enfant, ceci à leurs dépens et au détriment de
l’enfant concerné.

Ainsi, pour reprendre les termes mêmes de la Cour des comptes, il est
clair que les politiques de ces dernières années n’ont pas visé à « positionner
les parents au centre de l’intervention étatique en identifiant, dans le cadre
d’une convention d’objectifs, leurs capacités actuelles ainsi que les
conditions relatives au retour du mineur dans sa famille d’origine »
(nous soulignons).

Les politiques de ces dernières années n’ont que partiellement réussi à
renforcer les « mesures visant le développement des capacités parentales
est indispensable à une meilleure prise en compte des intérêts des
mineurs et de leur famille ainsi qu’au soulagement des organismes
d’accueil qui demeurent surchargés » (nous soulignons).

En cette période de vacances de Noël, certains parents vont continuer
d’être séparés de leurs enfants, qui vont continuer de rester, parfois après plus
d’un an de placement, dans un lieu qui n’a de foyer que le nom, étant donné
que leur foyer naturel est celui de leurs parents, voire de leur entourage
familial. Les souffrances totalement inutiles et injustes endurées du fait de
ces séparations douloureuses doivent impérativement être prises en compte,
tant dans le respect des droits des enfants (cf. Convention internationale des
droits de l’enfant du 20 novembre 1989) que du point de vue des droits des
parents.

L’actualité a malheureusement mis sous les feux des médias, très
récemment, le cas d’un père qui, désespéré et paralysé par ce qu’il a décrit
comme les difficultés ou obstacles bureaucratiques ou juridiques, a recouru à
cette dernière extrémité, tout en tentant de rassurer sur ses intentions,
extrémité qui a consisté à prendre lui-même le destin de ses enfants en main.

  • Sans sous-estimer les progrès effectués ces dernières années, quelles
    mesures urgentes le Conseil d’Etat entend-il prendre afin de reprendre
    contact avec certaines familles, en prenant en compte, le cas échéant, les
    deux parents concernés, et de faire une réévaluation rapide, humaine et
    plus empathique de la situation, ceci pour tenter de lever des restrictions ou
    des placements lorsqu’ils ne sont plus justifiés, ceci notamment pour
    prendre en compte les recommandations de la Cour des comptes et
    subsidiairement réduire les coûts dispendieux pour les familles touchées et
    l’Etat de Genève ?
  • Par ailleurs, le Conseil d’Etat pourrait-il également informer le Grand Conseil quant à savoir si des familles ont été consultées ou font partie du dispositif Harpej, et, si ce n’est pas encore le cas, s’il serait possible d’intégrer des familles afin d’apporter leur regard sur le dispositif ?