Marjorie de Chastonay

Motion déposée par Marjorie de Chastonay en mars 2023

Texte complet: R 1014

Exposé des motifs:

Créée en 1987, l’admission provisoire devait initialement garantir une protection à court terme avant un renvoi. Le permis F est, désormais, appliqué bien au-delà de cet objectif à un éventail toujours plus large de personnes ayant besoin de protection.

Selon le Haut-Commissariat aux Réfugiés de l’ONU[1], l’interprétation très restrictive de la définition de réfugié en Suisse pose problème. En effet, la Suisse ne reconnaît que la persécution individuelle par un acteur étatique. De ce fait certains groupes, comme les personnes fuyant une guerre civile, en sont le plus souvent exclus et n’obtiennent pas le statut de réfugié.

Aujourd’hui, près de 50’000 personnes ont un permis F en Suisse. Il existe 2 types de permis F, tous deux provisoires : réfugié et étranger. Le second est plus restrictif que le premier en termes de droits. Les deux sont renouvelables tous les 12 mois. Le 1er reconnaît que la personne est réfugiée mais ne lui accorde pas l’asile, le 2ème reconnaît que l’exécution du renvoi se révélerait illicite (violation du droit international public), inexigible (mise en danger concrète de l’étranger) ou matériellement impossible (pour des motifs techniques d’exécution)[2].

Contrairement à d’autres pays européens, les personnes admises à titre provisoire en Suisse ne jouissent pas des mêmes droits que les réfugiés (permis B). Ainsi leur accès à l’emploi, à un logement, est rendu difficile par cette notion de provisoire. En effet, selon le Secrétariat d’Etat à l’économie, «les employeurs ne savent absolument pas qu’ils peuvent engager des personnes admises à titre provisoire»[3].

Sans emploi difficile de trouver un logement et impossible de faire venir sa famille. De plus, la recherche d’un travail dans un autre canton était autrefois interdite rendant encore plus limitée l’obtention d’un emploi.

Or, la Suisse « manque cruellement de bras et de cerveaux »[4], les difficultés de recrutement touchent aussi bien le secteur secondaire que tertiaire. Selon une étude publiée par Employés suisses[5], « la pénurie actuelle n’est qu’un avant-goût des difficultés que rencontreront les employeurs helvétiques pour recruter du personnel à l’avenir ».

On constate donc que les enjeux du marché du travail doivent nous conduire à former, valoriser les compétences, savoir-faire des habitants et habitantes de ce pays soit, en l’occurrence, les personnes détentrices d’un permis F dont une majorité de jeunes qui resteront durablement en Suisse.

Mais selon une recherche récente de l’Université de Genève[6], ce statut constitue en soi un frein à l’accès aux études et à la formation post-obligatoire.

Par conséquent le niveau socio-économique de ces personnes en est affecté à long terme, même pour la seconde génération[7]. C’est donc une perte pour la société dans son ensemble.

Ne pas octroyer un permis stable, permettant de se projeter, d’étudier et de se former, aux personnes en âge de travailler, désireuses de s’intégrer, représente un coût humain et financier excessifs pour les individus, du fait des souffrances engendrées, de la dépendance à l’aide sociale et de la difficulté à contribuer à la société d’accueil; et pour la collectivité qui doit assumer les coûts générés par les obstacles mis à leur intégration et perd des revenus pour les cotisations sociales et en terme de fiscalité.

De plus, des droits fondamentaux sont limités tels que :

  • Ne pas pouvoir être rejoint par sa famille nucléaire, ce qui génère également des problèmes de santé. Les conditions requises sont difficiles à remplir avec ce permis[8]. Ce sont ainsi des années de vie en famille qui sont perdues. Et lorsque les obstacles ont réussi à être levés cela représente une perte pour notre société, car des années d’intégration (apprentissage de la langue, formation, sociabilité) ont été perdues sans compter le coût des ravages psychologiques éventuels du fait de la durée de la séparation qui peut atteindre de longues années.
  • La liberté d’établissement en Suisse (choix du canton) est limitée[9]. Ainsi, si on veut se rapprocher d’une parenté déjà établie cela est quasi impossible, et donc l’intégration par sa famille, voire sa prise en charge, est impossible et revient à l’État qui doit engager plus de frais que si un parent ou une parente s’en chargeait. De plus, même avec un travail dans un autre canton, s’établir dans ce dernier est soumis à autorisation[10].
  • La mobilité: voyager est interdit en-dehors de la Suisse[11], comment s’intégrer sereinement (apprentissage de la langue, des usages, d’un nouveau métier, participation à des associations, etc.) si on est empêché de revoir sa famille, ses amis proches, si on ne peut participer à des sorties scolaires, à des tournois, etc.

Sachant que 84% des Permis F se transforment en Permis B[12], ce sont des années de difficultés, d’obstacles à l’intégration, de dépenses et de souffrances inutiles qui pourraient être évitées en octroyant directement le permis stable.

Que ce soit par humanité et/ou par intérêt, la Suisse doit prendre acte de la réalité de cette population qui vit durablement en Suisse, dont le besoin de protection a été reconnu, et favoriser son intégration et mettre fin à une situation d’instabilité en abolissant le permis F qui n’a rien de provisoire. Cela a été démontré par 26 ans de pratique.

[1] https://www.unhcr.org/dach/ch-fr/71285-une-convention-globalement-respectee-en-suisse-malgre-une-interpretation-tres-restrictive-de-la-definition-de-refugie.html

[2] https://www.sem.admin.ch/sem/fr/home/themen/aufenthalt/nicht_eu_efta/ausweis_f__vorlaeufig.html

[3] https://www.sem.admin.ch/dam/sem/fr/data/integration/berichte/va-flue/info-va-arbeitsmarkt-f.pdf.download.pdf/info-va-arbeitsmarkt-f.pdf

[4] https://www.swissinfo.ch/fre/economie/les-entreprises-suisses-manquent-cruellement-de-bras-et-de-cerveaux/47646130

[5] https://www.blick.ch/fr/news/une-menace-pour-la-prosperite-economique-la-suisse-manque-de-main-d-uvre-et-cela-ne-vas-pas-sameliorer-id17132726.html

[6] https://archive-ouverte.unige.ch/unige:166533

[7] https://asile.ch/2022/12/13/formation-legalite-des-chances-a-lepreuve-du-statut-dasile/

[8] https://www.osar.ch/themes/asile-en-suisse/les-personnes-avec-des-droits-particuliers/les-familles-dans-la-procedure-dasile

[9] https://www.osar.ch/themes/asile-en-suisse/les-personnes-avec-des-droits-particuliers/les-familles-dans-la-procedure-dasile

[10] https://www.sem.admin.ch/sem/fr/home/themen/arbeit/erwerbstaetige_asylbereich/faq.html

[11] https://www.unhcr.org/dach/ch-fr/71845-le-hcr-deplore-linterdiction-stricte-de-voyager-pour-les-personnes-admises-a-titre-provisoire.html

[12] https://www.ge.ch/document/9677/telecharger