Par Léo Kaneman, fondateur/président d’honneur du FIFDH et membre des Vert.e.s genevois.e.s. Ce texte est paru dans l’édition du 28 février du journal Le Temps. 

9 février 2020, sur France Inter : « En Syrie, un papa a inventé un jeu pour sa petite fille de trois ans ». Et sur toutes les chaînes et sur les réseaux sociaux une video qui tourne en boucle où on voit la petite perchée sur l’épaule de son père qui  éclate de rire au moment où une bombe explose. Le rire contre la peur !  Elle s’appelle Salva, et son père Abdulllah Al-Mohammad. C’est une vidéo qui a fait « le buzz » comme on dit ». A l’évidence pas suffisamment pour arrêter ce massacre de masse perpétré par Poutine et Bachar El Assad .

Les Russes appliquent une stratégie impitoyable qu’ils ont expérimentée avec succès dans le reste de la Syrie. «  Il s’agit, selon Raphaël Pitti, médecin humanitaire interviewé sur France 5,  premièrement d’encercler, deuxièmement de bombarder de manière extrême; tous les hôpitaux ont été bombardés dans cette région, 67 structures médicales ont été bombardées, un certain nombre de camps de réfugiés ont été bombardés et finalement, on affame les populations pour les faire céder » . La Chine et la Russie ont refusé la résolution qui permettait de prolonger l’approvisionnement transfrontalier. Environ 900 000 personnes, en  majorité des femmes et des enfants, a rapporté l’ONU, ont fui depuis début décembre l’offensive menée par le régime Assad et Moscou dans la grande région d’Idleb. 

Ce désastre se fait au nom de la raison d’Etat; des responsables de politique étrangère relativisent et dénoncent de manière méprisante les défenseurs des droits humains. « Une posture de repli » selon Hubert Vedrine qui qualifie ces défenseurs de partisans des « droits de l’hommisme »  (Le Temps, 24.05.2007), alors que ce sont ces derniers et les ONG qui souvent, au risque de leur vie, continuent à alerter l’opinion  sur le non respect des droits fondamentaux tant en Syrie que dans bien d’autres pays. Ces diplomates « réalistes » à l’instar d’Hubert Vedrine prônaient le dialogue politique sur la Syrie avec la Russie sans pour autant écarter Bachar El-Assad. Cette réal politique censée être plus efficace s’est avérée un échec mortifère et catastrophique. Le régime syrien a pris la décision avec les Russes de récupérer ces dernières zones de manière à être en position de dire qu’ils ont gagné la guerre et repris 100% du territoire syrien.

Les dirigeants du monde entier ont oublié les valeurs humaines et ont fait passer l’intérêt de leur Etat avant la vie du peuple syrien . Cette « real politique » est devenue un préjudice pour tous les peuples victimes des violations des droits humains. De nos jours, nous faisons face à un reflux général de l’esprit de résistance et à un recul des démocraties. « La plus grande tragédie humanitaire du XXIe siècle ne sera évitée que si les membres du Conseil de sécurité (…) dépassent leurs intérêts individuels » (Le Monde le 19 02 20) a fait valoir le secrétaire général  de l’ONU pour les affaires humanitaires. Il vient d’être entendu, (« Le Monde » du 27 02) vient de publier une tribune qui sauve l’honneur. 14 pays européens demandent  aux régimes syrien et russe de cesser immédiatement les hostilités. Un espoir ténu d’une mobilisation internationale.

Mobilisation qui peut s’appuyer sur des témoignages, des images du quotidien horrible de la guerre en Syrie. Donc personne ne peut ignorer la réalité du terrain. La Russie et la Syrie doivent arrêter ce carnage maintenant. 

La communauté internationale ne remplit pas son devoir à l’égard des victimes des violations  perpétrées par la Russie non seulement en Syrie mais dans son propre pays. Les droits à la liberté d’expression, d’associations et de réunions pacifiques y ont fait l’objet de restrictions supplémentaires (Amnesty international). Quatre contestataires russes ont été condamnés à des peines allant jusqu’à trois ans et demi de prison pour avoir participé à des «troubles massifs» lors d’une manifestation anti-Poutine. La torture et les autres mauvais traitements n’ont pas cessé : les personnes LGBTI demeurent victimes de discriminations et de violences, en Tchétchénie, les hommes gays ont été la cible d’une campagne concertée d’enlèvements, de torture et d’homicides de la part des autorités locales.

Un étrange assemblage politico-médiatique de toutes opinions politiques confondues a allègrement et lâchement passé sous silence la réalité de la guerre d’extermination entreprise à Idleb et les violations des droits humains en Russie. AU FIFDH, j’avais invité Anna Politkoskaia et les Pussy Riot et dénonçais régulièrement la répression russe. Il faut continuer. Plus que jamais les festivals comme le FIFDH, les ONG, les partis et les citoyens doivent crier leur indignation: « Stop aux crimes et aux forfaits perpétrés par la Russie ».