Par Afamia KADDOUR

Nous avons entendu aujourd’hui qu’à Genève, les personnes de plus de 65 ans représentent aujourd’hui environ 19 % de la population. D’ici 2050, elles pourraient atteindre 25 % voire davantage. Cette journée nous a appris aussi que cette transition démographique pose des défis importants : l’isolement social, la précarité financière, l’adaptation des logements, des espaces urbains, et des services médico-sociaux.

Ce vieillissement n’est pas qu’un phénomène démographique : c’est un changement sociétal, une transformation des conditions de vie, un appel à repenser nos systèmes d’accompagnement, de soins, de lien social.

Dans son dernier ouvrage, Cynthia Fleury écrit : « Face à cette menace d’un « devenir indigne » de nos sociétés, je pose les jalons d’une clinique de la dignité… » Elle souligne que la dignité n’est pas seulement un concept abstrait : « il s’agit de réfléchir concrètement aux “capabilités, aux dépendances choisies, égalitaires, réciproques” ».

Or, lorsque l’on regarde le vieillissement à Genève, les enjeux de dignité sont cruciaux : rester chez soi, rester actif, maintenir des liens sociaux, être entendu et respecté. Le risque est que la vieillesse se vive comme une période de « perte » – de mobilité, d’indépendance, de reconnaissance. Un tel devenir pourrait être vécu comme une « indignité » si les conditions ne sont pas adaptées.

Mais la dignité ne se limite pas à la reconnaissance sociale : elle s’enracine dans une expérience vivante de la santé. La santé, entendue au sens large, n’est pas seulement l’absence de maladie, mais une ressource pour vivre — une capacité dynamique d’agir, de désirer, de créer du lien, de se sentir vivant dans le monde. Elle est ce qui rend possible l’expérience de la vie elle-même : la faculté de se projeter, de participer, de donner et de recevoir. Dans cette perspective, promouvoir la santé des aînés, c’est leur permettre de continuer à habiter leur existence, à faire encore œuvre de vie, à exercer leur liberté d’être.

Le concept du care (l’acte de prendre soin) apporte une dimension essentielle. Le soin n’est pas seulement une prestation technique : c’est un engagement relationnel, la reconnaissance de l’autre, une attention portée à la personne dans sa singularité. Dans la perspective de Fleury, on pourrait dire que l’éthique du care est une réalisation concrète de la dignité.

À Genève, cette éthique du care s’incarne déjà dans un réseau dense et diversifié d’acteurs : services publics, institutions médico-sociales, associations, bénévoles, proches aidants, et professionnels de terrain œuvrent chaque jour à maintenir le lien, la santé et la dignité des personnes âgées. Les politiques cantonales et communales en faveur du vieillissement, les dispositifs de maintien à domicile, les logements adaptés, les programmes de participation citoyenne sont autant d’expressions concrètes de cette solidarité active.

Ce qui se joue aujourd’hui, c’est donc de “faire plus” de ce qui se fait déjà mais en même temps de faire ensemble, durablement et autrement :

  • Renforcer la coopération entre les institutions et la société civile, pour mieux relier les initiatives et éviter les silos.
  • Soutenir la continuité de vie : penser les parcours de santé, de logement et de lien social comme un tout cohérent.
  • Valoriser la participation des aînés : reconnaître leur rôle comme acteurs très actifs de la société, porteurs de savoirs et de liens.
  • Renforcer le système de soins et de soutien : non seulement pour la maladie, mais pour la prévention, pour l’autonomie, pour la continuité de vie.
  • Promouvoir une culture du care : faire du soin, au sens large, un bien commun et une responsabilité partagée. Valoriser les métiers de l’accompagnement, penser les modes de soutien non comme assistance passive mais comme « attention conjointe », pour reprendre Fleury.

En conclusion : vivre plus longtemps est une chance – mais pour que cette vie longue soit digne, elle doit s’appuyer sur des mécanismes qui relient, qui écoutent, qui prennent soin. Je cite une dernière fois Fleury qui dit : « La promesse de dignité que la modernité annonçait semble avoir été trahie… ».

Nous avons à Genève l’opportunité de rêver et de bâtir cette promesse renouvelée : celle d’une vie longue avec dignité, dans le lien, avec la santé comme puissance de vie et le care la colonne vertébrale de notre société.