Par Marcellin Barthassat, responsable du GT aménagement & urbanisme des Vert.e.s genevois.es

Et si c’était le végétal qui ordonnait l’urbanisation ? Si c’était le jardin qui ordonnait la ville, et lui permettait de fonctionner ? Ce questionnement, emprunté à Caroline Stefulsco, auteur d’un ouvrage scientifique et pertinent, nous entraine dans un univers sur la manière de qualifier l’urbanisme (1) . Alignement, allée, mail, square boisé, treille, palissage, noues paysagères, etc. Une typologie pour verdir intensément l’espace public. Pendant que Paris lance un vaste programme de « forêt urbaine », Genève s’inscrit aujourd’hui dans une planification cantonale à l’horizon 2035, où sont débattues les questions du logement et de la mobilité, mais aussi de la place de l’arbre dans la ville, en lien avec à un contexte climatique préoccupant.

Soucieux d’une économie du sol et de la protection des paysages, le « renouvellement urbain » préconisé par LaLAT est issu d’un compromis politique suite à l’initiative de 2017 sur le paysage : « De l’espace pour l’homme et la nature ». Celle-ci demandait un moratoire de vingt ans, sur tous les déclassements d’espaces naturels et agricoles. Outre les enjeux environnementaux, rappelons que le projet d’agglomération du Grand Genève, traduit à l’échelle cantonale par le Plan directeur, nous place dans de nouveaux défis avec leurs lots de difficultés et de paradoxes.

Apparu durant cette dernière décennie, le paradigme de densification à l’intérieur des zones constructibles impacte principalement les tissus existants de faible densité. Plusieurs Plans localisés de quartier (PLQ) sont alors confrontés à la sauvegarde du patrimoine arboré et bâti. Tiraillés entre une demande sociale et culturelle, une stabilité des formes et des paysages, et bien entendu à la nécessité de répondre aux besoins de la population, à savoir se loger, travailler, se déplacer et se nourrir. Après les Allières, la rue Hoffmann et bien d’autres abattages planifiés par des PLQ, la population s’interroge à juste titre, et nous avec !

La coupe d’une trentaine de chênes séculaires, qui devrait être envisagée sur le chemin de Pinchat – voie historique attestée par l’Atlas du territoire genevois (2) -, afin de réaliser une infrastructure des transports publics à haut niveau de service (BHNS), suscite l’incompréhension chez les résidents et plus largement. Une tension entre nature/paysage et mobilité reposant sur l’échelle d’évaluation prise en compte vis-à-vis du patrimoine arboré. Le cas de Pinchat semble céder principalement à l’addition d’exigences techniques et administratives, que relever de la protection d’arbres centenaires (3). Bien que la nécessité d’optimiser les transports publics (TP) ne soit pas contestable, c’est le choix des solutions qui font de l’arbre le parent pauvre à sacrifier, et qui sont difficilement acceptable. C’est à croire qu’il existe un obstacle intellectuel insurmontable entre la survie de l’écosystème et les besoins liés à la modernité ?

A contrario, tenter de sauvegarder trente chênes implique de revisiter le projet, et évaluer l’opportunité d’un tracé nécessitant une telle vitesse donnant la priorité au BHNS. Mais encore envisager une modification du statut de cette voirie, en atténuant le trafic individuel motorisé (TIM), et en ajoutant 3-4 mètres de mobilité douce piétons-cycles. Certes, cette problématique relève de la gouvernance, mais aussi des acteurs de projet. Il s’agit de trouver la juste mesure en reconciliant protection et développement.

A l’heure de l’urgence climatique, les choix de projets nécessitent une articulation des disciplines, tels que l’urbanisme, la mobilité, le patrimoine, l’agriculture, l’environnement et le paysage. Comment s’étonner que les arbres soient traités comme des choses, questionne Peter Wohlleben, même si personne n’ignore que ce sont des organismes vivants (4) ? Autrement dit, faire-avec et non pas contre, pour introduire un nouveau paradigme autour de la biodiversité en milieu urbain (5). Il s’agit de dépasser l’arborisation conventionnelle, dans les anciens et nouveaux quartiers, et redessiner une intensité arborée au sens d’un « urbanisme végétal ». 

[1]    Caroline Stefulesco, architecte paysagiste DPLG, « L’urbanisme végétal », éditions Institut pour le développement forestier, Paris, 1993. L’auteure est issue de l’Ecole du paysage de Versailles.

[2]    Atlas du territoire genevois, sous la direction de Alain Léveillé, Marie-Paule Mayor et Yves Casanni, éditions EAUG et Département du Territoire, Genève 1993

[3]   Tout dernièrement Antonio Hodgers a demandé au Département des infrastructures a revoir l’arbitrage (cf. Tribune de Genève du 24 septembre 2019).

[4]    Peter Wohlleben, ingénieur forestier : « La vie secrète des arbres », éditions les Arènes, Paris 2017

[5]              En 1936 Albert Bodmer, Maurice Braillard et leur équipe élaborent le premier plan de zones. Il s’agit d’un projet d’extension de la ville, structuré sur un concept de « maillage vert ». En 1952 Genève classe ses espaces naturels et agricoles, en 1983 la première LaLAT est adoptée. En 2008 le Grand Genève produit le premier « plan paysage » de Suisse, devenu en 2012 le Projet de paysage II. 

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Voir également le « Plan stratégique de végétalisation en ville » élaboré sous la direction du SEVE de la Ville de Genève et publié en juillet 2019. Un recensement de l’arborisation en milieu urbain et une réflexion interessante sur le concept de maillage vert, un concept qui ambitionne la continuité du plan Braillard-Bodmer de 1936, intensifié dans ce plan végétal aujourd’hui.

Pour prolonger la réflexion et le débat : réécouter Pourquoi Genève coupe ses arbres ? Emission Prise de Terre de Lucile Solari du 28 septembre 2019, accès à l’émission