Louise Trottet

Pendant la crise du Covid-19, je suis comme beaucoup allée prêter main-forte à l’hôpital. Deux mois instructifs, passionnants, émouvants.

Durant ces deux mois, j’aurai passé du temps avec des patients Covid, positifs comme négatifs, des malades légers comme gravissimes.

Mais ceux qui m’auront le plus touchée sont une population dont on parle peu: les patients atteints d’une cirrhose avancée, après des années de dépendance à l’alcool.

En deux mois, j’en ai vu partir plusieurs, alors qu’une grande partie des HUG était encore remplie de patients hospitalisés pour une pneumonie.

On le mentionne trop rarement, mais il s’agit là d’une maladie extrêmement mortelle: les cirrhoses avancées ont une espérance de vie de 50% à un an. On en parle peu spontanément, mais il suffit d’ouvrir la discussion pour se rendre compte qu’il y a, çà et là, untel qui a perdu un oncle, une telle qui a perdu un grand-père à cause d’une cirrhose ou d’une autre maladie liée à l’alcool.

Accidents, violences, insuffisance hépatique, cancers, maladies cardiovasculaires, l’alcool est versatile dans ses manières de tuer. Ce sont principalement des hommes qu’il affectionne, même si la proportion de morts dues à l’alcool en général augmente maintenant chez les femmes, selon les données de l’Observatoire suisse de la santé.

Y a-t-il des déterminants sociaux derrière ces morts? Il est en effet prouvé que la mortalité due à l’alcool est inversement proportionnelle au revenu. Il semblerait aussi selon certaines études que la notion de ce qui constitue une consommation à risque diffère en fonction du degré de formation!

Or, pour rappel, l’OMS recommande de ne pas consommer plus de 14 verres standards par semaine pour les femmes, 21 pour les hommes. Toujours selon l’OMS, si l’on regarde l’ensemble des morts clairement causées par l’alcool, elles représenteraient plus de 3 millions par an. Et ce chiffre n’englobe pas les décès où l’alcool aura été un facteur s’additionnant à d’autres.

Ces données soulignent une nouvelle fois ce que nous savions déjà: nous ne sommes pas toutes et tous égales et égaux face à la santé, que ce soit parce que nous consultons moins, parce que nous avons moins accès à l’information, ou tout bonnement parce que notre environnement socio-économique favorise plus les comportements à risque.