[M] pour trouver une alternative afin de répondre au manque financier de la HES-SO Genève
Angèle-Marie Habiyakare
Motion déposée par Angèle-Marie Habiyakare en décembre 2024
M 3086: Texte complet et rapport de commission
Exposé des motifs
Introduction
« Si vous trouvez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance. » Voici une citation empruntée à Abraham Lincoln. Une phrase qui expose bien l’étendue d’une problématique à laquelle font face les étudiantes et les étudiants de la HES-SO. Le 10 octobre 2024, un communiqué de la HES-SO a annoncé une « adaptation de la taxe semestrielle d’études de la HES-SO » [1] Cette adaptation n’est rien d’autre qu’une augmentation des taxes semestrielles et une différenciation des taxes en fonction de la provenance des étudiantes et étudiants. Voici le contexte général de cette proposition de motion.
Rapport Gaillard
En lisant le rapport Gaillard de la Confédération qui réexamine l’ensemble des subventions fédérales, nous trouvons ceci : «le groupe d’experts voit dans les hautes écoles un potentiel pour renforcer le financement par les utilisateurs, par exemple au moyen du doublement des taxes d’études pour les étudiants indigènes ou d’un quadruplement pour les étudiants étrangers. Il recommande de réduire les contributions aux EPF ainsi que les contributions de bases aux hautes écoles cantonales (conformément à la participation fédérale aux coûts de référence) en fonction des revenus supplémentaires réalisables par cette mesure. »[2] N’oublions pas que dans ce même rapport d’autres coupes sont recommandées à la Confédération : des subventions pour les trains nationaux, les trains internationaux, le MICR, la coopération internationale, la formation continue, la formation à l’environnement, la promotion du sport, l’encouragement des activités extrascolaires…
Ce potentiel auquel fait référence ce rapport de la Confédération, c’est tout simplement comme si nous considérions «les étudiants comme des « vaches à lait » plutôt que comme des facteurs de succès » [3], relèvent Martin Vetterli et Joël Mesot, respectivement présidents de l’ETHZ et l’EPFL.
(Non-)Justification
En lisant les justifications de la HES-SO, nous observons que ces recommandations suivent le rapport Gaillard (et donc les recommandations de la Confédération) sans le nommer. La première justification de cette hausse est que cela fait longtemps que la HES-SO n’a pas adapté sa taxe. La deuxième est l’uniformisation intercantonale des taxes. A la lecture de ces arguments, on peine à discerner quels besoins cette décision vise à combler, peut-être ceux dans lesquels la Confédération ne veut plus investir ?
L’argumentation autour de l’uniformisation notamment avec les cantons de Suisse alémanique n’est totalement pas justifiable dans un contexte où les coûts quotidiens et les bourses d’études ne sont pas les mêmes. Si nous prenons le graphique ci-dessous, nous voyons qu’en comparant Genève avec certains cantons suisses allemands sur l’attribution du nombre de bourses d’études et sur le montant, Genève est le canton qui en fournit le plus et qui donne le montant le plus élevé. Ces chiffres nous confirment qu’il y a une grande dépendance, à Genève, des étudiantes et étudiants à des bourses d’études pour compléter le cumul de 2 ou 3 jobs [4], du fait que Genève coûte cher, pourtant cela n’est pas l’objectif souhaité de base. Ces hausses de taxe pourraient faire exploser les demandes de bourses et par conséquent il faudrait augmenter les montants des bourses. Les formations genevoises seraient davantage difficiles d’accès et il reviendrait moins cher d’aller étudier dans un autre canton ou même dans un autre pays.
Le projet de loi « fixant le montant des taxes universitaires » du député UDC Michael Andersen qui demande une hausse et une différenciation liées à l’origine des taxes semestrielles universitaires a totalement été écarté par le refus d’entrée en matière d’une grande majorité de la commission de l’enseignement supérieur (Ve, S, LJS, MCG, LC, PLR). Dans le rapport PL 13411-A, nous pouvons lire l’audition de la rectrice de l’Université de Genève Audrey Leuba qui mentionne l’importance de l’égalité des chances.
Ces propos disent que l’université « a pour vocation d’attirer les meilleurs étudiantes et étudiants, indépendamment de leurs origines géographiques ou sociales. Ce sont des valeurs fondamentales du système de formation suisse. » La conseillère d’Etat lors de son audition stipule que « le département n’est pas favorable à modifier ces taxes ». Tout comme cela l’est pour l’Université de Genève, il en devrait être de même pour la HES-SO Genève.
Inquiétudes
Plusieurs préoccupations prennent de l’ampleur pour les étudiantes et étudiants : celles d’accomplir leur formation, l’augmentation des loyers, l’augmentation des primes d’assurance-maladie et une multitude d’autres charges toujours à la hausse pour une branche d’une population estudiantine toujours de plus en plus précarisée. Est-ce que, dans un contexte aussi tendu, une augmentation des taxes semestrielles est la bienvenue ? Certainement pas, si nous nous approchons de la population concernée. Des pétitions émanent des étudiantes et des étudiants contre ces mesures prévues. Pour les étudiantes et étudiants suisses, la taxe semestrielle s’élèvera à 700 francs (+40%) contre 1050 francs (+110%) pour les étudiantes et étudiants étrangers. Les difficultés auxquelles font face les étudiantes et étudiants ne différencient pas les origines des ceux-ci.
On observe une pénurie de main-d’œuvre croissante dans la plupart des professions auxquelles forment les HES, formations qui sont par ailleurs de plus en plus exigeantes pour les étudiantes et étudiants qui suivent ces cursus. Le député PLR Pierre Nicollier a déposé une motion « pour plus de professionnels de santé formés en Suisse ». Une motion qui doit être soutenue, mais qui révèle le manque général des professionnels formés par la HES-SO. Il serait faux de dire que le principe d’une hausse de taxe semestrielle démotiverait de manière générale les étudiantes et étudiants à choisir une orientation professionnelle. Mais l’augmentation de cette taxe influencera le taux de diplômés, du fait que le cumul de plusieurs jobs estudiantins pour payer l’ensemble des hausses aura un impact sur le temps dédié aux études et par conséquent le stress qui pourrait générer un impact sur la santé mentale déjà fragile chez les jeunes.
« La Suisse ne doit pas en arriver là. Les jeunes hautement qualifiés, d’où qu’ils viennent, ont été et sont un pilier central de la force d’innovation et, en fin de compte, de la prospérité de la Suisse. De même que la dotation stable et adéquate de l’enseignement supérieur par les pouvoirs publics. Un système d’enseignement supérieur dans lequel ces conditions ne sont plus valables est, à notre avis, contraire aux valeurs de la Suisse. » [5], selon les propos des présidents Martin Vetterli et Joël Mesot.
Réponse du Conseil d’Etat à la Q 4039 (Augmentation des taxes semestrielles en HES)
Le Conseil d’Etat se reporte principalement au choix du comité gouvernemental de la HES-SO, dont notre canton a également la charge à travers la représentation dans ce comité de notre conseillère d’Etat du DIP. Sur la question de la précarisation qu’induirait cette hausse, voici la réponse du CE :
« Cet effet de hausse ne va-t-il pas précariser davantage la population estudiantine des HES ? La HES-SO a conscience que cette augmentation n’est pas négligeable. Cependant, les taxes d’études ne représentent qu’un faible pourcentage du budget de la population estudiantine par rapport au loyer, aux frais de subsistance et aux frais d’assurance-maladie. En outre, en restant la HES la plus abordable de Suisse, la HES-SO respecte l’article 43, alinéa 1 CHES-SO, qui stipule que les taxes d’études doivent être socialement supportables pour les étudiantes et étudiants. En cas de difficultés financières, un certain nombre de solutions de soutien sont proposées par l’Etat et par la HES-SO Genève. » (voir la réponse complète ici)
Il est important de rappeler que les hausses s’élèvent à +40% pour les Suisses et +110% pour les étrangers. Il est difficile de comprendre sur quelle base sont établis les critères socialement supportables. « N’oublions pas que les étudiants étrangers apportent énormément à la Suisse. Selon une étude d’Avenir Suisse datant de 2023, la moitié des fondateurs de start-up, c’est-à-dire des entrepreneurs ayant une idée d’entreprise particulièrement innovante, possèdent un passeport étranger. A cela s’ajoute le fait que les étudiants étrangers subissent un coût de la vie très élevé dans notre pays. Ceux qui viennent d’Allemagne, par exemple, ont des dépenses annuelles deux à trois fois plus élevées que chez eux. Les étudiants autochtones sont eux aussi pris dans le tourbillon actuel. » [6]
Et que fait-on après ?
Une augmentation aujourd’hui justifierait une augmentation plus tard si nous allons dans ce sens, jusqu’à atteindre un modèle anglo-saxon. Il deviendrait la norme de payer des dizaines de milliers de francs pour accéder à une formation indispensable aux besoins de notre société.
« Les universités anglo-saxonnes sont considérées comme la référence mondiale ; il n’est toutefois pas nécessaire de les imiter en tout. Stanford, le MIT et Cambridge demandent chaque année aux étudiants internationaux l’équivalent de dizaines de milliers de francs. En même temps, elles dépendent de ces fonds, le soutien de l’Etat étant faible. 40% des universités britanniques sont dans le rouge cette année. Les universités canadiennes sont actuellement confrontées à de sérieux problèmes financiers, car les admissions d’étudiants étrangers sont limitées. » [7]
Le rapport soutenu par le Conseil fédéral prévoit d’appliquer cette mesure de manière générale dans la formation tertiaire à une échelle nationale. Nous nous vantons de la renommée de nos institutions de formation tertiaire qui par exemple gravissent les échelons du classement de Shanghai et de l’autre côté nous voulons diminuer les subventions pour qu’elles soient comblées par celles et ceux qui font cette renommée au bénéfice de la Suisse. Pour prendre exemple des EPF, une diminution de 1 milliard de subvention [8] est prévue pour les 4 prochaines années, alors que le nombre d’étudiants augmente.
Conclusion
La Confédération n’a pas toujours raison. La Confédération veut réduire les soutiens auprès de la formation tertiaire et augmenter les coûts de formation dans certaines filières du secondaire II (p. ex. formation à plein temps à l’école de commerce). Notre canton doit agir et investir dans nos formations auprès de celles et ceux qui les effectuent. L’investissement fait dans la formation est un investissement rentable pour l’avenir. Il ne faut pas reporter les charges sur les étudiantes et étudiants.
Pour conclure, les propos des présidents Martin Vetterli et Joël Mesot de l’EPFL et de l’ETHZ résument bien l’ensemble de la problématique : « en tant que société, nous devons donc discuter fondamentalement des tâches que les hautes écoles et les instituts de recherche de la Confédération doivent remplir pour servir au mieux la Suisse. Sur cette base, il faut déterminer les conditions-cadres, y compris financières, dont les hautes écoles ont besoin pour accomplir leur mission. Engageons ce dialogue dès maintenant ! » [9]
[1] https://www.hes-so.ch/recherche-innovation/actualites/adaptation-de-la-taxe-detudes-de-la-hes-so
[2] Rapport Gaillard: https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/89486.pdf
[4] https://www.rts.ch/info/economie/14542992-les-etudiants-etrangers-en-suisse-sont-les-plus-precarises.html
[6] idem
[7] idem
[8] idem
[9] idem