Cédric Jeanneret

Question déposée par Cédric Jeanneret en août 2025

Texte complet et réponse du Conseil d’Etat: Q 4088-A

Exposé de la question:

Les jours qui ont précédé ce 6 juillet 2025 ont vu dans le monde entier se dérouler des événements pacifiques célébrant le 90è anniversaire de Tenzin Gyatso, considéré comme le plus haut guide spirituel du bouddhisme tibétain, par la plupart des Tibétains comme une émanation de Tchènrézi –bodhisattva de la compassion- et pour des millions d’Orientaux et d’Occidentaux comme un modèle de sagesse incarnant des valeurs universelles de paix et de respect de la vie sous toutes ses formes.

Vivant à Dharamsala (Inde) depuis son exil du Tibet suite à l’invasion chinoise de 1950, il reçoit en 1989 le prix Nobel de la paix pour avoir constamment œuvré à la résolution du conflit sino-tibétain par la non-violence.

Notre pays a dès les années 1960 accordé l’asile à des orphelins tibétains, rapidement suivis par 1000 adultes qui s’installèrent avec l’aide du gouvernement, de privés et de la Croix-Rouge suisse. La communauté tibétaine en Suisse, forte aujourd’hui d’environ 10 000 individus, est la plus importante d’Europe (troisième au monde après celle de la région de l’Himalaya et celle des États-Unis). Des liens forts unissent ce peuple de montagnards à notre pays et les 2è et 3è générations de Tibétains en Suisse, mettent un point d’honneur à maintenir et perpétuer leur riche culture, tout en s’intégrant parfaitement dans la vie de nos communes, de nos cantons et de notre confédération[1].

De nombreux élus et personnalités sont régulièrement invités à participer à des événements culturels tibétains riches en couleurs et en saveurs, où la gentillesse et la bonne humeur constituent autant d’occasions d’échanges et d’enrichissements mutuels que de réponses empreintes de dignité et de respect à la répression dont sont toujours victimes ces expatriés réfugiés dans notre pays.

Un récent rapport du Conseil fédéral documente d’ailleurs l’ensemble de ces mécanismes de pression, soulignant que la Suisse est concernée par des activités d’espionnage ciblant les diasporas tibétaine et ouïgoure, et appelle à une lutte « à tous les niveaux », impliquant explicitement les cantons. Ce même rapport souligne l’atteinte aux droits fondamentaux protégés par la Constitution fédérale (notamment les art. 16 et 22 Cst.) et l’incompatibilité de ces pratiques avec la souveraineté de la Suisse. Il évoque aussi la difficulté des victimes à faire valoir leurs droits ou à être protégées par des dispositifs adaptés[2] [3].

On comprend dès lors la surprise et le désarroi de la communauté tibétaine de notre canton, qui s’est vu très récemment refuser par une entreprise mandatée par les TPG le droit de faire circuler sur les véhicules de la régie publique des messages simples tels que « Joyeux 90è anniversaire à SS le Dalaï Lama », « promotion de l’harmonie religieuse » -sans prosélytisme- ou « préservation de la culture tibétaine » -sans risque de trouble à l’ordre public-.

L’article 146 de la Constitution genevoise souligne la vocation humanitaire de Genève, en particulier que l’Etat mène une politique de solidarité internationale soutenant la protection et la réalisation des droits de l’homme, la paix, l’action humanitaire et la coopération au développement, et qu’à ces fins, il prend toute initiative utile et met des moyens à disposition.

Nous le savons, ces valeurs sont cruellement menacées voire frontalement remises en question par des régimes de plus en plus nombreux qui les considèrent moins importantes que leurs intérêts propres, voire des autocrates qui placent leurs intérêts personnels avant toute autre considération[4].

En ces temps troublés, n’est-il pas primordial de permettre à des voix porteuses d’espoir et de paix de se faire entendre, de manière respectueuse en adéquation avec nos valeurs ?

Considérant ces éléments, je pose les questions suivantes au Conseil d’Etat et le remercie par avance de ses réponses :

  1. N’est-il pas opportun, en ces temps troublés, de manifester publiquement un soutien symbolique à un prix Nobel de la Paix ainsi qu’une reconnaissance aux victimes de régimes hostiles aux droits humains ?
  2. Quels critères et quelle déontologie appliquent les TPG afin de définir ce qu’il est acceptable ou non de véhiculer comme messages dans l’espace public ?
  3. Au vu de l’appel du Conseil fédéral à lutter contre les pressions à l’encontre de la diaspora tibétaine, ne serait-il pas bienvenu que Genève, par une intervention de son Conseil d’Etat, invite les TPG à revoir leur position sur la campagne anniversaire du Dalaï Lama, promulguant des valeurs de paix, d’harmonie entre les religions et de respect des cultures et sagesses ancestrales faisant partie du patrimoine commun de l’humanité ?

 

[1] Un dossier complet de la RTS leur rend hommage Si loin, si proche: la Suisse et le Tibet – rts.ch – Dossiers.

[2] https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/91750.pdf

[3] Le rapport Weber commandité par l’Office fédéral de la justice et le Service d’Etat aux migrations a documenté les stratégies de menace, de harcèlement et de répression exercées contre les Tibétains et Ouïgours en Suisse (Dr Ralph Weber et al. Die Situation der tibetischen und uigurischen Gemeinschaften in der Schweiz: Effektive und wahrgenommene Druckausübung. Europainstitut der Universität Basel, 30 avril 2024

[4] voir notamment le dernier rapport de situation du Service de renseignement de la Confédération « La Sécurité de la Suisse 2024 » news.admin.ch/fr/nsb?id=102858