Par Ueli Leuenberger, ancien président des Vert-e-s suisses. Cet hommage a été présenté lors de la l’enterrement d’Andràs November, ancien député et président des Vert-e-s genevois-es, le 19 avril 2024.

Cher(e)s Valérie et Philippe, Cher(e)s membres de la famille, Cher(e)s ami(e)s, collègues et camarades de lutte d’Andràs,

Au nom des Verts genevois, je vous adresse nos plus sincères condoléances.

Les Vertes et Verts de la section Bernex-Confignon- Champagne me prient également de vous transmettre toute leur sympathie.

Nous rendons aujourd’hui hommage à Andràs, l’écologiste et l’humaniste engagé tout au long de sa vie. Il fut l’un des membres fondateurs du Parti Écologiste genevois en 1981. Militant dévoué, il a siégé au sein des Verts au Grand Conseil  pendant deux législatures, de 1985 à 1993.

L’intellectuel et militant a su faire rire le Grand Conseil lors de sa démission, écrivant dans sa lettre de départ que l’expérience parlementaire était pour lui à la fois humaine et intellectuelle. Il revendiquait fièrement le statut d’intellectuel, se définissant comme tel de cœur. Il soulignait que dans notre société, les intellectuels ont autant le droit d’exister que les architectes, les agriculteurs, les ouvriers, ou les fonctionnaires. En tant qu’intellectuel, il avait testé en grandeur nature des idées écologistes, sachant pertinemment que certains députés voyaient rouge quand ils auraient dû voir vert.

Andràs a été un précurseur des idées écologistes, ouvrant la voie que d’autres, nombreux, ont suivi par la suite. Il a traversé des périodes difficiles en tant que professeur engagé dans le tiers-monde et l’écologie, ainsi que dans la défense des droits humains, des droits des migrants et de l’asile. Mais il a su se faire une place, il a été finalement aussi reconnu par ses pairs au Grand Conseil.

À son départ du Grand Conseil, loin des insultes du début, quand certains lui criaient de « rentrer dans son pays » ou « pourquoi il n’était pas encore à l’aéroport », il a été finalement accueilli avec respect. Les insultes avaient heureusement cessé, par une nouvelle législature gagnant en respect de l’individu et en tolérance, comme l’a souligné Fabienne Bugnon, cheffe du groupe écologiste de l’époque, dans son éloge au Grand Conseil.

Personnellement, j’ai eu le privilège de côtoyer Andràs avant mon adhésion aux Verts déjà, lors de mobilisations en soutien aux migrants et réfugiés, mais aussi au cours de moments de réflexion sur l’économie, le syndicalisme et les rapports Nord-Sud. Par la suite, alors qu’il présidait le Parti cantonal et que j’étais à la tête de la section ville de Genève, nous avons travaillé étroitement ensemble. Nous n’avons pas seulement résolu quelques conflits internes dans le collectif de nos parlementaires municipaux peu enclins à la discipline, mais nous avons surtout œuvré pour que l’Alternative 91 voie le jour et prospère à Genève.

Les Verts, ainsi que de nombreuses autres personnes, et en particulier des migrants venus d’ailleurs, doivent beaucoup à Andràs.

Le Genevois venu d’ailleurs comme tant d’autres venant d’ailleurs s’en est allé ailleurs en nous quittant définitivement. Son départ nous rend triste et laisse un vide, mais Andràs garde une place dans nos cœurs.

Andràs November, intellectuel organique et engagé

Par Lauren Baddeley, Marcellin Barthassat et Inge Hoffmann

Andràs restera dans nos mémoires comme un inlassable analyste, toujours à l’écoute de l’autre. Il proposait des approches, un savoir-faire et une délicatesse qui ont très vite conquis son entourage, et contribué à influencer le rôle de l’Etat sur les questions environnementales et d’aménagement du territoire. Arrivé à Genève dans les années 1950-60, en quittant la Hongrie devenue répressive par le régime soviétique, il intègre l’Institut africain, qui se transformera en 1977 en Institut universitaire d’études du développement (IUED, puis IHEID). Il rejoint le Parti écologique genevois (PEG) en 1984, pour faire partie de la première liste cantonale des Vert.e.s. Il deviendra alors député au Grand Conseil entre 1985 et 1993. Andràs fut un membre très actif, compétent et écouté, qui joua un rôle pionnier dans la recherche et le développement des politiques publiques, en matière de durabilité. Durant plusieurs législatures il fut un membre éminent de la Commission consultative d’aménagement du territoire (CAT) et du Conseil de l’environnement. C’est lui qui va formuler le concept de développement durable dans le Plan directeur cantonal à l’horizon 2015. Ceci au moment d’un tournant majeur qui s’opérait par la reconnaissance de cinq pénétrantes de verdure, comme structures de l’urbanisation, dite d’un « concept de développement différencié » (cf. héritage du Plan de zone Bodmer/Braillard de 1936).

Andràs avait à cœur d’établir des rapprochements entre les espaces de recherches et de réflexions, à l’intérieur comme à l’extérieur des milieux politiques, en particulier chez les Vert.e.s. Il avait ce « goût du monde » (Jean-Marc Besse, 2009) celui d’un humanisme possible où l’on peut repérer les signes d’espoir, pour y favoriser le vivant, le social et l’équité. Comme cette discrétion et capacité d’écoute pour entrer en conversation. Une pertinence qui nous a passablement aidés à proposer des réponses, à affirmer des valeurs, à prendre position comme on dit, tout en laissant ouvertes des évolutions possibles des causes défendues. Parce qu’il estimait fondamental d’être en posture de recherche. Il aimait particulièrement l’idée d’une fabrication de la ville et du territoire, dans la « culture du projet participatif », animée de patience et de capacité d’hypothèses.

Plusieurs grands thèmes nous réunissaient : une « écologie de la mesure », réinterrogeant les formes urbaines, et un regard critique sur la densité. Nous partagions cette conviction d’un paysage comme matrice ou socle qui préfigure préalablement toute urbanisation. Et puis, il rappelait souvent cette nécessité d’une économie territoriale dans la recherche d’un équilibre socio-environnemental, malheureusement trop absent des outils de planification du territoire. Dès les années 1990, Andràs plaidait l’écologie industrielle comme mode de réemploi ou recyclage, afin d’ouvrir de nouvelles pratiques vers une « redirection urbaine ». Nous y sommes aujourd’hui, en pleine incertitude, et surtout avec plus d’urgence qu’auparavant, car les signes de turbulences et déséquilibres sociaux et environnementaux sont manifestes !

Ensemble, nous avons coordonné, vécu et animé le GT aménagement et urbanisme au sein des Vert.e.s. Des séances intenses à analyser, écouter, débattre, écrire, dessiné même dans ces périodes de leadership partagés. Andràs portait cette conviction commune de résistance face aux décisions aveugles ou logiques concurrentes. Il attachait une attention stratégique au contexte et au patrimoine comme cadre vital de référence, tout comme les implications politiques du projet d’urbanisme que cela suppose, avec bien sûr des hauts et des bas… Mais toujours avec cette volonté de poursuivre nos engagements.

Andràs nous a quittés à l’âge de 88 ans, pour cet autre monde du mystère… parti dans « un paysage où le ciel et la terre se touchent » (Michel Corajoud, 2010). C’est pour nous une grande tristesse, il va nous manquer, comme ami, compagnon, militant, et particulièrement dans ce contexte de crises multiples. Dans ce temps qui s’arrête pour lui, il nous lègue une intelligence et un mode d’emploi, son empreinte en quelque sorte. La cérémonie d’adieu, ponctuée de musique, a réuni ses proches. De nombreux amies et amis, compagnons de routes de l’écologie, de l’Institut IHEID ont apporté des témoignages retraçant son parcours et sa philosophie de vie, ses engagements et sa créativité intellectuelle. Une grande émotion s’est dégagée de cette communauté réunie au Centre paroissial protestant sur les hauts de Bernex. Nous adressons à sa famille notre très vive sympathie.

Adieu Andràs ! Ton nom et ton parcours resteront gravés dans nos mémoires, dans nos cœurs, dans ces étoiles d’espérance et d’amitié.