Par Antonio Hodgers, candidat au Conseil d’Etat. Article « Fleur dans les pavés? » paru dans la Tribune de Genève le 4 avril 2018

Mai 68 a surtout été un moment de liberté et d’émancipation morale contre une société patriarcale et socialement contrôlante, mais aussi très hiérarchisée et masculine dans ses rapports professionnels. 1968 fut aussi la fête d’une jeunesse qui voulait vivre avec son époque, pour qui la liberté était plus importante que l’autorité, d’une société qu’il fallait changer d’urgence. Ces changements sont aujourd’hui perceptibles mais pas encore satisfaisants.

L’émancipation de la femme a certes progressé, notamment sur le plan légal, mais n’est dans les faits pas atteinte. La parole libérée par l’affaire Weinstein est salutaire, y compris dans son rappel que le sujet n’est de loin pas clos. Elle contribue ainsi à redéfinir ce qui relève des rapports professionnels et ce qui relève des rapports de séduction, dans une logique de meilleure protection des femmes.

Si les rôles masculins/féminins évoluent, ils restent cependant prisonniers de leurs genres. Un exemple? La garde des enfants, qui reste encore trop souvent attribuée à la femme, la reléguant ainsi au foyer alors que l’homme est, lui, relégué au bureau. L’une comme l’autre doivent s’affranchir de ces rôles déterminés. À mes yeux, le temps partiel à des postes à responsabilité peut être un outil puissant de cette vision égalitaire. Il est temps que l’organisation de nos sociétés s’affranchisse de clichés qui l’empêchent d’aller au bout de l’exercice de l’émancipation.

Mai 68 a également entamé un nouvel ordre économique dont les résultats n’ont pas été à l’image des utopies. Prenons l’exemple de Steve Jobs. Pur produit de cette époque, il incarnait l’idéologie du droit au confort et au divertissement. Aujourd’hui, au contraire, Apple organise la surconsommation par l’obsolescence programmée. Ce nouvel ordre a finalement repris la logique de la concentration capitalistique, avec la centralisation des bases de données à travers notamment les Big Five (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft).

La surveillance sociale patriarcale (mon père, mon curé, mon patron) des années 50 est remplacée par la tyrannie des réseaux sociaux, des caméras video omniscientes et du big data. On peut compléter le slogan de l’État fouineur «Big Brother is watching you» par un «The Big Five are watching you too», au grand profit de l’économie privée. Or il faudrait aujourd’hui réglementer ces concentrations de l’information et protéger le citoyen des dérives du big data. Malheureusement, au nom de la sécurité, l’État collecte et centralise également une multitude de données privées. Pourtant, Benjamin Franklin avait déjà raison à la fin du XVIIIe siècle: «Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux.» En mai 2018, il faut à nouveau se battre pour la liberté et l’émancipation.