Le 1,2,4-triazole… une formule magique? Non. Il s’agit de la molécule au cœur des révélations successives de l’automne sur la contamination des eaux du Léman. La substance, d’abord repérée par les chimistes genevois et vaudois dans le réseau de distribution d’eau potable, a ensuite été retrouvée à toutes les profondeurs du lac ainsi que dans les eaux du Rhône, jusqu’à la source de la pollution: les rejets industriels du site chimique de Monthey et son usine Syngenta.

La communication des trois cantons concernés suite à cette découverte tient de l’exercice d’équilibriste. D’une part, l’évaluation scientifique menée par le Swiss Centre for Applied Human Toxicology confirme qu’aux concentrations observées dans les réseaux d’eau potable, la substance ne présente pas de risque pour la santé humaine. D’autre part, les autorités sont obligées de reconnaître que l’eau distribuée à des centaines de milliers d’habitant.e.s n’est tout simplement plus conforme, en raison d’une valeur de triazole sept fois supérieure aux normes fédérales.

Des collectivités qui doivent passer à la caisse

Entre le choc ressenti par les institutions concernées et l’apathie politique manifestée par les gouvernements cantonaux, le contraste est saisissant. Car les distributeurs d’eau et les communes sont maintenant confrontés aux défis technique et financier du traitement des eaux polluées. Concrètement, ce sont ces collectivités qui doivent passer à la caisse et assumer le risque de perte de confiance de la population.

La pollution au triazole et le traitement officiel dont elle fait l’objet constituent un cas d’école. C’est en ajoutant cette substance à la liste des produits analysés par les cantons que l’ampleur de la pollution a été découverte. D’autres substances sont industrialisées et rejetées dans les eaux dont le Tymirium, pesticide de la famille des PFAS, interdit à la vente en Suisse mais commercialisé par la multinationale à l’étranger. Il est ainsi probable qu’un scénario similaire se rejoue dans les années à venir.

Des interventions parlementaires déposées dans les trois cantons concernés visent à replacer le curseur de l’enjeu sanitaire et environnemental au bon endroit, ainsi qu’à sortir les exécutifs cantonaux de leur torpeur pour réveiller une action politique désormais nécessaire. Il est urgent de renforcer le contrôle des rejets industriels, la surveillance des micropolluants ainsi que les actions à la source, en suivant une politique fondée sur le principe de précaution et celui du pollueur-payeur.

135 pesticides, 55 résidus médicamenteux et 25 métaux

Le triazole est en bonne compagnie dans le Léman. En 2023, la Cipel (Commission internationale pour la protection des eaux du Léman) a investigué la présence de plus de 200 micropolluants, incluant 135 pesticides, 55 résidus médicamenteux, 25 métaux et plusieurs composés organiques. Prises individuellement, ces substances n’atteignent presque jamais ni les seuils légaux de précaution ni les seuils connus de toxicité. Pour chacune d’entre elles, on pourrait donc rédiger un communiqué rassurant pour expliquer au consommateur d’eau potable qu’il ne court aucun risque.

Mais ce que l’on serait surtout en droit d’attendre de la part des autorités politiques cantonales, c’est qu’elles portent une attention suffisante aux interactions innombrables existant entre ces substances et leurs effets de combinaison, appelés «effets cocktails». Cette accumulation chimique diffuse, invisibilisée par les seuils individuels, constitue l’angle mort de la surveillance des eaux.

Une question d’envergure intercantonale et transfrontalière

Ecosystème précieux et fragile, le Léman constitue aussi l’un des plus vastes réservoirs d’eau potable d’Europe, desservant près d’un million de personnes. Le maintien de sa qualité est une question d’envergure intercantonale et transfrontalière. Le Valais ne consomme pas un litre d’eau potable du lac, puisqu’il bénéficie des eaux des sources et torrents en amont. Cependant, ses résidus, notamment les rejets des grands sites industriels de la plaine du Rhône, ont un impact sur l’eau consommée dans les cantons de Vaud et de Genève. Son positionnement géographique et son développement lui confèrent de facto une responsabilité colossale.

La vulnérabilité de l’écosystème du Léman n’a d’égale que l’ampleur de l’enjeu que représente sa préservation. Un enjeu qui mérite plus que le silence politique, à peine perturbé par des communiqués rassurants citant le nombre de litres d’eau qu’un adulte devrait boire chaque jour pour atteindre le seuil théorique «à partir duquel un effet néfaste ne pourrait plus être exclu».

*Emmanuel Revaz, député vert au Grand Conseil valaisan, Céline Bartolomucci, députée verte au Grand Conseil genevois, Elodie Lopez, députée Ensemble à gauche au Grand Conseil vaudois