Par Lisa Mazzone, conseillère aux Etats. Ce texte est paru dans le journal Le Temps le 13 avril 2020. 

Un homme affalé sur le canapé, dont le marcel peine à contenir la panse démesurée. Devant lui, les canettes de bière alignées à côté d’une pizza froide. Sur sa tête, une couronne. Cette image vous revient-elle à l’esprit? Elle représentait le parfait profiteur-repoussoir sur les affiches raillant le revenu de base inconditionnel…

Fraîchement élue à Berne, je défendais cette idée renversante la fleur au fusil, et le confinement d’aujourd’hui me rappelle ma solitude d’alors. En face s’alternaient dédain et leçons d’économie. Se replonger dans cette tribulation démocratique permet de réaliser l’ampleur du bouleversement actuel. Et malheureusement du drame social qui est en train de se jouer.

Aux Etats-Unis, on emploie la métaphore pour distribuer à la population, en principe rapidement et sans tracasserie, une somme d’argent «hélicoptère». En Espagne, la ministre de l’Economie évoque les contours d’un revenu de base durable. En France, des élus se joignent pour revendiquer la mesure. Même scénario en Grande-Bretagne et en Allemagne.

Du loufoque au «mainstream»

Devant la précarité de quantité d’emplois non salariés, un soutien direct s’impose sur fond de chômage mondial en hausse vertigineuse. Certes, on parle pour le moment d’une mesure transitoire. Si elle se pérennisait, il faudrait encore se mettre d’accord sur le contenu: le montant et le modèle d’imposition qui l’accompagne. Mais de loufoque lorsqu’un Benoît Hamon la défendait dans le cadre de la dernière présidentielle française, l’idée devient presque mainstream. Avec l’intention de regagner la confiance, peut-être aussi de stimuler l’esprit d’entreprise et d’encourager les initiatives locales qui relanceraient une économie revisitée.

Cette mesure pourrait être une clé face au dilemme qui se présente: garantir des conditions sociales universellement dignes, tout en évitant de donner un coup de cravache à un modèle de production à crédit des générations futures. Et, alors que le care n’a jamais été autant applaudi, elle revaloriserait les centaines de milliers d’heures non rémunérées que les femmes consacrent à s’occuper des autres. Selon l’Office fédéral de la statistique, l’activité non monétaire dans le secteur domestique représente quelque 300 milliards de francs. Voilà l’utopie qui me reprend. Et l’espoir d’un nouveau débat, sérieux et créatif.