Par Marcellin Barthassat, architecte et urbaniste

Souvent incinérés, stockés ou enfouis, la masse des déchets est générée par l’activité humaine, et à l’échelle de la planète on les estime à dix milliards de kilos par jour. Ce chiffre a de quoi nous inquiéter. Deux expositions cet automne traitent de cette vaste question.

  • L’une à Bâle du 3 septembre au 23 octobre 2022 « La Suisse : une démolition» au Musée suisse de l’architecture. Elle est réalisée par l’association Countdown 2030, qui propose une réflexion et documentation engagée sur l’acte de démolir émanent de tout le pays. Les auteurs incitent à une mobilisation collective sans précédent.
  • L’autre à Lausanne du lundi 26 septembre au vendredi 2 décembre 2022 « Matière ultime», à Archizoom, SG building sur le campus de l’EPFL. L’exposition met en évidence, les résidus de nos biens de consommation. Après recyclage et incinération, ils se transforment en une matière semblant venir d’une autre planète et forment de nouvelles strates géologiques puisque remis en terre. « Avant que les civilisations futures y trouvent la couche sédimentaire de l’anthropocène, ce mâchefer issu des hauts fourneaux peut-il nous informer sur l’impact de nos modes de vie sur le territoire ? ». A l’échelle longue de l’humanité, les déchets racontent beaucoup de choses sur nos sociétés qui les produisent.

En Suisse, le secteur de la construction produit 84% de la totalité des déchets. Nous ne pouvons plus occulter cette situation qu’implique la modification des modes opératoires que génère l’aménagement du territoire. La vision strictement urbanistique ne fonctionne plus. Elle nécessite non seulement une alliance avec d’autres disciplines du vivant et des sciences humaines, pour tendre vers une réutilisation ou réemploi de ce qui existe, et une plus forte prise en considération du patrimoine bâti ancien, moderne. Porter une attention au monde du vivant, afin de décider là où on fait ou non une densification urbaine. « Faire-avec et le moins possible contre » relève Gilles Clément, paysagiste français, sur la fabrication de la ville.

Toutefois les vents semblent contraires : le projet de loi fédéral sur le CO2 encourage les propriétaires qui démolissent leur bâtiment, à le remplacer par une augmentation du coefficient d’utilisation du sol plus rentable (notamment l’article 9. al. 1 bis). Martin Killias, président de Patrimoine suisse, émet une sérieuse critique envers cette proposition. « Espérons que le Parlement sera capable de comprendre les retombées négatives d’une telle disposition non seulement pour la culture architecturale de nos villes et villages, mais surtout pour le climat que cette même loi est censée protéger ».

A Genève plusieurs secteurs sont concernés par les thématiques soulevées. Les planifications ou reconversions actuelles des quartiers interpellent (PLQ, PAV), obligeant de modifier méthode et approche. Au-delà des objectifs de recyclage, prônés par l’écologie industrielle dans les années 1980-90, la prise en considération de l’existant et d’un non gaspillage des ressources matérielles et humaines s’impose dans un contexte de crise climatique. Il s’agit de réinterroger les modes de construire face à une croissance productiviste sans limites. Faire avec et le moins possible contre, ou comment exploiter la diversité́ d’un site sans le détruire ? Un « donné » qui serait alors ce terreau fertile d’un urbanisme durable, ou rien ne se perd ? Les deux expositions à Bâle et à Lausanne invitent à reconsidérer l’existant et le vivant, à l’inverse de l’exploitation et de la concurrence.