Marjorie de Chastonay

Motion déposée par Marjorie de Chastonay en février 2023

Texte complet: M 2908

Exposé des motifs:

Instrument central de la politique cantonale en matière d’aménagement du territoire, le PDCn vise à coordonner les activités qui ont un impact sur le territoire. Il définit le développement territorial souhaité et détermine les mesures d’aménagement nécessaires en matière d’urbanisation, de mobilité, de gestion des ressources, de l’espace rural et des milieux naturels.

A Genève, le plan directeur cantonal 2030 (PDCn) a été adopté par le Grand Conseil le 20 septembre 2013 et approuvé par le Conseil fédéral le 29 avril 2015. Il a fait l’objet d’une première mise à jour adoptée par le Grand Conseil le 10 avril 2019 et approuvée par la Confédération le 18 janvier 2021[1].

Plus de 10 ans ont passé depuis l’élaboration du Plan directeur cantonal et des premiers projets d’agglomération. De nouveaux enjeux sont apparus ou ont vu leur importance se renforcer : changement climatique, perte de biodiversité, défis sociaux, transition écologique, etc. Ils appellent à se réinterroger  en profondeur sur les objectifs de planification en vigueur.

Le Conseil d’Etat a initié le travail sous la forme d’une feuille de route pour le nouveau plan directeur cantonal 2050. Intitulée « Vision territoriale transfrontalière 2050 », cette feuille de route ambitionne de mettre au centre des réflexions le dessin d’une nouvelle vision pour le territoire qui tienne compte d’une part des enjeux auxquels nous faisons face et d’autre part, des engagements pris.

« Les enjeux dont nous devons nous saisir – accueil de la population, préservation des ressources, des terres agricoles, mais également effondrement de la biodiversité, adaptation aux effets du changement climatique, minimisation de l’impact écologique global, préservation du patrimoine bâti et du paysage, etc. – Tout cela ne s’arrêtant pas aux frontières cantonales, l’élaboration de la vision territoriale doit être transfrontalière et se construire à l’échelle du Grand Genève

D’autre part des engagements pris :  la déclaration d’urgence climatique du Grand Conseil en 2019 et à l’adoption en 2021 du Plan climat cantonal renforcé et d’autre part l’adoption de la Stratégie cantonale Biodiversité adoptée en 2018 et son Plan d’action en 2020, les enjeux liés à la transition écologique et à la résilience des territoires se sont fortement affirmés. Dans le même mouvement, le Conseil d’Etat vient d’engager la démarche Genève en transition pour accélérer la transition écologique en coordination avec le Grand Genève. »[2]

Le Conseil d’Etat a placé la révision du PDCn sous le signe de la collaboration transfrontalière et de la transition écologique avec les exigences suivantes :

  1. La primauté des ressources et du vivant
  2. Un territoire inclusif et solidaire
  3. Une ville multipolaire à la densité bâtie vertueuse
  4. Un projet paysager, environnemental et agricole structurant
  5. Un cadrage laissant place à l’expérimentation et à la flexibilité

Mais pour « tenir la route », cette feuille de route doit non seulement tenir compte des enjeux et engagement pris au niveau local et national mais aussi du contexte au niveau planétaire. Dans un monde globalisé, la survie des habitants quels qu’ils soient et où qu’ils se trouvent est en effet inévitablement liée aux ressources planétaires.

Les limites planétaires en bref

Les études sur l’anthropocène[3] démontrent que l’action humaine affecte à très grande échelle l’état de l’écosystème terrestre. Elles soulignent que notre mode de vie actuel n’est pas compatible avec le maintien des équilibres planétaires. En 2009, cette idée est théorisée par le concept de « limites planétaires » dans un article publié par la revue Nature[4].

Les limites planétaires sont les seuils que l’humanité ne devrait pas dépasser pour ne pas compromettre les conditions favorables dans lesquelles elle a pu se développer et pour pouvoir durablement vivre dans un écosystème sûr, c’est-à-dire en évitant les modifications brutales et difficilement prévisibles de l’environnement planétaire.

Ce concept a été proposé par une équipe internationale de vingt-six chercheurs et publié en 2009. Il a depuis été mis à jour par des publications régulières.

Le Secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon a entériné le concept de limites planétaires le 16 mars 2012.

L’estimation des limites planétaires a été affinée par plusieurs études scientifiques. Pour chaque limite, un indicateur et une valeur seuil sont estimés en quantité émise ou extraite de l’environnement. L’évolution des valeurs est effectuée par les chercheurs du monde entier.

Les neuf limites planétaires ont été définies [5]:

  1. le changement climatique ;
  2. l’érosion de la biodiversité ;
  3. la modification de l’occupation ou de l’usage des sols ;
  4. l’utilisation de l’eau douce ;
  5. la perturbation des cycles de l’azote et du phosphore (éléments liés à la fertilité des sols) ;
  6. l’introduction de nouvelles entités dans l’environnement (métaux lourdscomposés organiques synthétiques….) facteurs de pollution ;
  7. la pollution et l’augmentation des aérosols dans l’atmosphère ;
  8. l’acidification des océans ;
  9. l’appauvrissement de la couche d’ozone.

Le franchissement de ces limites correspond à une sortie, parfois violente et parfois irréversible, de l’écosystème planétaire d’un état viable. En 2022, six de ces limites sont dépassées.

Les limites planétaires sont interdépendantes

Les différentes limites de la planète ne sont pas isolées mais interdépendantes. Par exemple, la perte de la biodiversité a des effets sur les capacités de résilience des écosystèmes face au changement climatique.

En 2019, deux rapports de l’ONU sur la biodiversité et le changement climatique avaient déjà alerté sur le dépassement des limites planétaires et avaient conclu que seule une transformation en profondeur de notre façon de produire, distribuer et consommer pouvait permettre de redresser la barre. Le dernier rapport de l’IPBES, qui a servi de base à la COP15 sur la Biodiversité qui s’est tenue au Canada en décembre 2022, a rappelé la dimension systémique des impacts causés par le dépassement de ces limites et à ne pas sous-estimer le risque d’un effet boule de neige [6].

Au niveau national, la situation est tout aussi sombre qu’au niveau mondial.  Pour prendre l’exemple de l’érosion de la biodiversité, l’Office fédéral de l’environnement constate que « si les mesures de promotion produisent des effets localement, la biodiversité demeure en mauvais état et ne cesse de décliner. Un tiers de toutes les espèces et la moitié des types de milieux naturels en Suisse sont menacés. Les succès ponctuels ne parviennent pas à compenser les pertes, dues essentiellement au manque de surface, à l’imperméabilisation, au morcellement, à l’utilisation intensive des sols ainsi qu’aux apports de pesticides et d’azote. Les subventions dommageables à la biodiversité aggravent encore cette évolution négative. Il est dès lors urgent d’agir fermement pour protéger les services apportés par la biodiversité. Car une biodiversité riche et résiliente contribue également à atténuer les changements climatiques et ses effets…

Du fait de sa consommation et de la hausse de ses importations de marchandises et de services, la Suisse accentue également la pression exercée sur les ressources naturelles et la biodiversité à l’échelle mondiale. Globalement, les biens consommés en Suisse causent davantage d’effets négatifs sur la biodiversité à l’étranger qu’en Suisse. Une production alimentaire nuisant à la biodiversité en est la principale raison. L’empreinte biodiversité helvétique dépasse les limites planétaires d’un facteur 4. »[7].

Notre responsabilité est donc clairement engagée.

Agir pour limiter les dégâts une nécessité mondiale mais aussi locale

Nous devons renforcer la gouvernance sur nos ressources communes mondiales, y compris au niveau local, parce que le comportement d’un pays, d’une région affecte les autres. Il en va de même des interactions humaines avec la faune, qui ont une influence sur la probabilité des zoonoses, elles-mêmes en relation directe avec la déforestation, la dégradation des terres, l’érosion des sols… Pour conserver une chance de rester dans des conditions favorables à la vie telle qu’on la connaît à l’heure actuelle, il est urgent d’intégrer les limites planétaires et de les transcrire à toutes les échelles territoriales.

En 2015, une étude a exploré la possibilité d’appliquer les limites planétaires au niveau de la Suisse[8]. L’apport principal de cette étude réside à l’engagement d’une “pensée des limites planétaires” qui force à briser les silos des politiques environnementales actuelles où l’énergie, l’eau, le sol, la biodiversité sont pensées presque séparément, alors qu’elles doivent être prises en compte de manière responsable par et dans toutes les politiques publiques.

En France, la région stéphanoise (Sud Loire) a montré la voie avec la mise en application territoriale des limites planétaires[9]. Le travail a nécessité :

  • d’une part de décliner les seuils exprimés à l’échelle planétaire à une échelle locale
  • et d’autre part, de recueillir les données locales permettant de qualifieret quantifier les limites.

Elle a mis en évidence la participation du territoire à l’atteinte des seuils planétaires et permis d’alerter les décideurs locaux afin d’y répondre au mieux dans les politiques qu’ils ont en charge :

« Les projets de territoire sont souvent portés par des ambitions à court terme et liés à des enjeux locaux. Les ambitions exprimées dans les documents d’urbanisme portent sur les dynamiques démographiques mais aussi économiques. Le cadre des limites planétaires pousse à regarder le territoire à partir des ressources disponibles et des capacités à recevoir des polluants. C’est un vrai changement de regard. Cette nécessité à inverser le regard est de plus en plus partagé dans les instances politiques et techniques des SCOT[10]. La réflexion sur les limites planétaires permet de les outiller pour mieux comprendre quelles sont les ressources disponibles, ce dont on dispose sans altérer le futur, et ainsi réinterroge la façon dont s’élaborent les stratégies de territoire. Le travail sur les limites permettra de construire un espace de travail avec un langage commun et une compréhension partagée sur les limites de nos modes de développement. Il permettra d’accompagner les choix en termes de préservation et de gestion des ressources, d’anticiper sur les conflits futurs en travaillant en amont sur les besoins en corrélation avec la raréfaction de certaines ressources (exemple de la ressource en eau en lien avec le réchauffement climatique), les émissions des polluants, les transports, etc… » Valérie Devrieux, Directrice du Syndicat Mixte du SCOT Sud Loire.

Intégrer le principe des limites planétaires au plan directeur cantonal

L’exemple stéphanois démontre que la réflexion et la démarche menée au niveau planétaire sont applicables au niveau régional.

L’élaboration de la planification directrice cantonale est le bon moment pour fixer le cadre à savoir :

  • introduire le principe des limites planétaires et l’appliquer au niveau territorial ;
  • sur la base des données disponibles, calculer le seuil des limites planétaires ramenées au niveau régional ;
  • mesurer la marge de manœuvre qu’il nous reste ou pas ;
  • définir par territoire ou secteur d’activité les niveaux de pollution ou d’impact acceptable pour ne pas bouleverser l’équilibre ;
  • prioriser les actions publiques à mettre en œuvre pour ne pas dépasser ces limites ou y revenir si elles sont déjà dépassées.

L’intégration des limites planétaires nécessite un réel changement de paradigme. Sa déclinaison dans la conception territoriale est non seulement nécessaire mais vitale.

Le Conseil d’Etat a initié le travail sur le nouveau plan directeur cantonal 2050 « avec le dessin d’une nouvelle vision pour le territoire qui tienne compte d’une part des enjeux auxquels nous faisons face et d’autre part, des engagements pris ». L’intégration à cette vision des limites planétaires est la déclinaison concrète de sa volonté politique. Elle définira de manière scientifique indubitable le cadre dans lequel notre développement peut et doit s’inscrire. Elle constituera l’aboutissement de la réflexion en matière de développement durable. Elle transposera concrètement dans la planification territoriale la notion de « penser globalement, agir localement ».

[1] https://www.ge.ch/document/plan-directeur-cantonal-2030-mis-jour

[2] Citation S. Ferretti, Office de l’urbanisme, Journal Pic Vert décembre 2021

[3] Nouvelle époque géologique qui se caractérise par l’avènement des hommes comme principale force de changement sur Terre, surpassant les forces géophysiques.

[4] Rockström, J., Steffen, W., Noone, K. et al. A safe operating space for humanity. Nature 461, 472–475 (2009). https://doi.org/10.1038/461472a

[5] Wikipedia

[6] Dernier rapport de l’IPBES sur la biodiversité (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique pour la biodiversité et les services écosystémiques de l’ONU) qui a servi de base à la COP15 qui s’est tenue au Canada en décembre 2022 https://ipbes.net/media_release/Values_Assessment_Published

[7] Office fédéral de l’environnement https://www.bafu.admin.ch/bafu/fr/home/themes/biodiversite/en-bref.html

[8] Limites et empreintes environnementales de la Suisse dérivées des limites planétaires, Office fédéral de l’environnement (OFEV) https://pb.unepgrid.ch/planetary_boundaries_switzerland_summary_fr.pdf

[9] Mise en application territoriale des limites planétaires,  Agence d’urbanisme de la région stéphanoise (Sud Loire)

https://www.epures.com/images/pdf/environnement-dev-durable/08-025-limites-planetaires_final.pdf

[10] Le SCOT, Schéma de cohérence territoriale, est un document d’urbanisme français visant à mettre en cohérence l’ensemble des politiques sectorielles, notamment en matière d’habitat, de mobilité, d’aménagement commercial, d’environnement et de paysage.