David Martin

Motion déposée par David Martin en mars 2023

Texte complet: M 2917

Exposé des motifs:

Les transports en commun (ci-après TC) constituent – avec la mobilité douce – une des pierres angulaires pour atteindre les objectifs du plan climat cantonal. Ce plan climat prévoit que l’offre de TC doit doubler d’ici à 2050. Les TC ne doivent donc pas être pris en otage par le débat sur la tarification et, en ce sens, il est nécessaire de ne pas perdre de vue les objectifs de report modal des TIM vers les TC et la mobilité douce. Le débat sur la tarification, tout particulièrement à Genève, est un long serpent de lac.

L’initiative 146 contre l’augmentation des tarifs TPG – dite initiative « AVIVO » – a figé ces derniers dans la LTPG depuis 2014, rendant toute évolution très difficile – à la hausse ou à la baisse. Le prix des TC à Genève sont ainsi les plus bas de Suisse[1] (voir également les Annexes – Comparaison de la tarification entre les communautés tarifaires suisses). Certains s’en réjouissent alors que d’autres rappellent que les agglomérations qui ont le meilleur taux d’usagers des TC sont aussi celles qui ont les tarifs sont les plus élevés.

La question du financement des TC est remis sur la table aujourd’hui avec l’initiative cantonale 190[2] « Pour des transports publics gratuits, écologiques et de qualité » portée par les quatre Jeunesses des partis de gauche. Cette dernière a abouti en novembre 2022 avec 10’400 signatures. L’invalidation par le Conseil d’Etat de l’IN190 le 15 février 2023[3] ne doit pas nous empêcher de nous préoccuper des questions de promotion et de déploiement des TC à Genève.

Tout le monde s’accorde, en effet, pour renforcer l’attractivité des transports publics et accroître leur part modale dans le canton. Cette motion propose donc plusieurs leviers pour augmenter l’attractivité des TC pour certains publics-cibles. Il s’agit de clarifier et consolider les nombreuses offres et réductions offertes actuellement par les communes genevoises, afin de réduire les disparités de traitement et d’augmenter leur visibilité. Cette motion invite également à améliorer l’attractivité des TC, notamment auprès des familles, pour la mobilité de loisirs. En effet, cette dernière est souvent négligée dans les réflexions sur le report modal alors qu’elle représente un important levier pour réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur de la mobilité.

Séduire davantage les familles

L’usage de la voiture est un réflexe bien ancré. C’est en particulier le cas pour les familles avec enfants. Ainsi, la tradition de la voiture familiale perdure et se transmet de génération en génération. Il faut donc faciliter les alternatives qui existent aujourd’hui (vélocargo, TC, autopartage).

Or, pour certaines familles avec enfants, le coût des TC peut être dissuasif, malgré les tarifs modérés pratiqués Genève (voir Annexes – Comparaison de la tarification entre les communautés tarifaires suisses). Et a fortiori dans le Grand Genève.

Voici des exemples de coûts pour un couple avec 2 enfants de 10 et 12 ans :

  Sans cartes Junior[4] Avec cartes Junior
Budget pour doter chaque membre de la famille d’un abonnement annuel unireso (après rabais duo + famille)  1650 CHF 1710 CHF
Un trajet en famille dans la zone 10 (parents sans demi-tarif) 10 CHF 6 CHF
Une journée en famille dans la zone 10 (parents sans demi-tarif) 34.60 CHF 20 CHF
Une excursion d’un jour en famille Genève – Machilly 61.60 CHF 61.60 CHF

On voit au passage que la carte Junior – qu’il s’agit de promouvoir bien plus massivement – permet de limiter les coûts des trajets ponctuels, pour autant que l’on reste sur territoire suisse…

Les convaincus savent que la possession d’une voiture coûte plus cher[5] que les alternatives. Mais pour celles et ceux qu’il s’agit de séduire, et notamment les familles, un effort de promotion est encore nécessaire et peut faire la différence.

Des subventions communales peu lisibles et inéquitables

Aujourd’hui, le site web des TPG liste plus 50 subsides communaux différents pour les abonnements TPG[6] (voir annexe). Alors que cette motion était en gestation depuis des mois, la Tribune de Genève nous a devancé en titrant « Le grand écart des subventions pour les abonnements TPG »[7].

Selon les communes, ce n’est pas le même montant ni les mêmes publics-cibles qui sont touchés. Les juniors de Plan-les-Ouates bénéficient d’une subvention de 300.- par an pour leur abonnement annuel (ce qui ramène le prix à 100.- / an) alors ceux de Confignon, pourtant voisins directes, ne reçoivent eux que 50.- / an ! De plus, les actions varient dans le temps : certaines communes ne servent que les premiers arrivés avec des quotas et les actions changent souvent, au gré des débats des conseils municipaux.

Ces disparités créent des inégalités de traitement importantes entre concitoyens et concitoyennes genevois. L’hétérogénéité des subventions les rend également peu lisibles et difficiles à promouvoir. Il suffit qu’une famille déménage d’une commune à l’autre, et son budget TC change du tout au tout…

Enfin, les communes n’ont que peu d’outils de mesure pour vérifier l’efficacité (en termes de report modal des TIM vers les TC) des subventions. Les TPG sont eux bien placés pour le faire. Ils disposent en effet de très nombreuses statistiques pour mesurer les variations de fréquentation en fonction de différents paramètres. De plus, les TPG sont en mesure de mettre en place des offres multimodales, grâce au dialogue et aux partenariats existants avec unireso et les autres opérateurs de mobilité de l’agglomération (CFF, Léman Pass, Donkey Republic, Mobility…).

TPG : bras armé de l’Etat et « éco21 » de la mobilité durable

Cette motion propose de confier aux TPG une mission similaire à celle que SIG remplit à travers son programme eco21 en offrant à ses clients un accompagnement pour économiser l’énergie. Par analogie, TPG doit devenir LA régie publique en charge d’économiser des kilomètres en voiture !

La motion propose que l’Etat reprenne à son compte les différentes subventions des communes de manière à ce que tout le monde puisse en bénéficier de façon équitable et avec une plus grande force de frappe en matière de promotion. La conception et la gestion de cette offre serait confiée aux TPG.

Aujourd’hui, TPG se charge déjà de l’administration des différentes subventions communales. En allant plus loin dans cette logique de délégation, les communes seraient ainsi soulagées de la charge consistant à mettre en place et actualiser en permanence ces différentes subventions. En échange, les communes seraient invitées à participer à un fonds commun – doté à minima à hauteur du montant actuellement alloué pour les offres communales – qui permettrait de financer les « bons mobilité ».

Afin que les communes puissent s’impliquer dans la conception des « bons mobilité » qu’elle co-financeront, la motion demande que leur rôle dans la gouvernance des TPG soit augmenté, p.ex. en ajoutant 3 représentants supplémentaires de l’ACG au sein du Conseil d’administration des TPG.

A un an de l’échéance de l’actuel du contrat de prestations des TPG, cette motion propose ainsi de renforcer le rôle de la régie publique. Il s’agit d’en faire le bras armé de l’Etat en matière de mobilité durable et qu’elle puisse participer de façon plus pro-active et plus créative à l’atteinte des objectifs de report modal du plan climat cantonal.

Un bouquet de « bons mobilité » visant le report modal

Les subventions doivent permettre de capter et de fidéliser des personnes qui utilisent aujourd’hui les TIM pour leurs différents déplacements dans l’agglomération. Pour ce faire, un bouquet de subventions pourrait être créé sous forme de « bons mobilité ». Ces bons viseraient spécifiquement à augmenter l’attractivité des transports publics et à en faire une promotion ciblée. Ce bouquet pourrait par exemple contenir les offres suivantes :

  1. Un bon mobilité annuel d’une valeur de 200 CHF destiné aux personnes de moins de 25 ans ainsi qu’aux seniors disposant d’un revenu limité, utilisable à raison de 50% pour l’achat d’un abonnement annuel unireso et à 50% pour l’utilisation d’un vélo dédié au transport urbain (achat ou entretien ou vélopartage) ;
  2. Un bon mobilité d’une valeur de 30 CHF destiné à chaque enfant fêtant son 6ème anniversaire pour l’achat d’une carte Junior[8];
  3. Un bon mobilité d’une valeur de 50 CHF destiné aux automobilistes pour l’achat d’un premier abonnement annuel unireso ;
  4. Un bon mobilité d’une valeur de 500 CHF destiné aux automobilistes qui restituent leur plaque d’immatriculation et renoncent à posséder une voiture, destiné à l’achat d’un abonnement annuel unireso, à l’utilisation d’un vélo dédié au transport urbain (achat ou entretien ou vélopartage) ou pour un abonnement à un système d’autopartage tel que Mobility.

Le bon mobilité a) vise les mêmes publics que la plupart de subventions communales actuelles, à savoir les juniors (6 à 24 ans) et les seniors. Ce bon est en revanche conçu de façon à encourager de façon équivalente l’utilisation tant des TC que du vélo. Le vélo est, en effet, le mode de déplacement qui a encore le plus fort potentiel de report modal. On a pu en faire l’expérience durant la période du COVID et depuis que l’offre de pistes cyclables s’est améliorée. Aujourd’hui, il paraît primordial que l’attractivité améliorée des TC ne se fasse pas au détriment de la mobilité douce.

La marche et le vélo sont bons pour la santé : la nôtre et celles des transports publics !

Dans les centres urbains et périurbains, la gratuité totale des TC serait une concurrence directe aux mobilités actives (vélo et marche). Sur les petits trajets qui peuvent aisément s’effectuer à pied ou à vélo, la gratuité induit que des adeptes des mobilités actives les délaissent pour les TC. Or, les mobilités actives doivent absolument être privilégiées, lorsque cela est possible, tant leur impact environnemental est faible et leurs bénéfices pour la santé nombreux.

Des études ont montré que les cyclistes sont ceux qui sont le plus attirés par les transports publics lorsqu’ils deviennent gratuits : « Frédéric Héran a étudié le cas de la ville de Dunkerque, dans le nord de la France, qui a rendu ses transports publics gratuits en 2018. (…) cet économiste des transports et urbaniste à l’Université de Lille conclut que la mesure n’a pas un très grand effet sur les automobilistes. « Les cyclistes sont ceux qui sont le plus attirés par les transports publics », souligne-t-il. « A Dunkerque, par exemple, où tous les calculs ont été faits, on a une baisse de 12% de la part modale des déplacements à vélo à cause de la gratuité des transports publics, une baisse d’à peu près 3% des déplacements à pied et d’à peu près 3% aussi des déplacements en voiture ». Le constat de Frédéric Héran est clair: rendre les transports publics gratuits n’a pas ou que très peu d’impact positif sur l’environnement.[9] »

Or « les déplacements à pied et à vélo ont encore un potentiel important dans les zones urbaines centrales et dans la couronne urbaine, mais sont également appelés à se développer pour les déplacements en échange avec le centre-ville voire dans la périphérie, renforcés par une utilisation combinée avec les transports collectifs et par le vélo à assistance électrique. En 2015, plus de 50% des déplacements effectués en voiture portent sur des distances inférieures à 5 km (30% font moins de 3 km). Or, pour ces distances, le vélo est très souvent le moyen de déplacement le plus rapide. Quant au vélo électrique, il permet de parcourir aisément des distances jusqu’à 10 km, voire 15 km dans certain cas. Les comptages en 2019 ont montré que 31 % des cyclistes utilisent un VAE. Si on se réfère à la structure actuelle des déplacements tout en tenant compte des potentiels susmentionnés, le nombre de déplacements effectués en mobilité douce pourrait augmenter de plus de 20%. En termes de distances parcourues, le vélo (et le VAE) présente le potentiel le plus important, de l’ordre de 50% d’augmentation à l’horizon 2030[10]. »

Le potentiel de la marche à pied dépend de nombreux facteurs tels que la topographie, la qualité de l’infrastructure piétonne, le climat, la sécurité, etc. Cependant, on considère que la marche à pied est un mode de déplacement attractif pour des distances relativement courtes, généralement inférieures à 2 kilomètres. Deux kilomètres, c’est par exemple la distance qui sépare la gare Cornavin de UniMail : un axe sur lequel les TC (tram 15 et bus 1) sont trop souvent bondés. Encourageons les marcheuses et les marcheurs pour libérer des places assises pour celles et ceux qui en ont le plus besoin.

Pour ces raisons, il semble important de mener une réflexion prospective pour trouver à moyen terme une variante de tarification des TC qui préserve l’incitation à la marche et au vélo, davantage que l’actuel abonnement annuel. Pour aller dans ce sens, selon certains experts, « une tarification à l’usage semble la piste la plus prometteuse, p.ex. avec un prix d’accès au réseau et un prix par trajet[11] ».

Des offres pour la mobilité de loisirs

Les débats actuels sur les transports publics se focalisent énormément sur les déplacements pour le motif « travail ». Or, une grande partie de nos déplacements concerne le motif « loisirs » pour lequel un important report modal pourra être effectué. Il s’agit donc de mettre en place une offre tarifaire claire et attractive pour favoriser les déplacements en transports en commun, notamment en ciblant spécifiquement les familles. Les kilomètres parcourus pour le motif « loisirs » étant relativement importants, ces offres doivent impérativement s’effectuer à l’échelle de la communauté tarifaire Léman Pass pour les déplacements dans le Grand Genève.

Enfin, durant deux weekends par an, l’intégralité du réseau pourrait être gratuit dans le cadre, par exemple, de weekends sans voiture et de participer à des événements de promotion et de découverte du réseau.

[1] Litra, « Offre et tarifs des transports publics en Suisse en comparaison internationale 2021 », 2021

[2] https://www.tpgratuits.com

[3] https://www.ge.ch/document/communique-hebdomadaire-du-conseil-etat-du-15-fevrier-2023#extrait-31197

[4] Avec la carte Junior, les enfants de 6 ans jusqu’à leur 16e anniversaire accompagnés de l’un de leurs parents peuvent emprunter les transports publics librement pendant une année complète. La carte coûte 30 CHF par an. Elle est valable sur le périmètre de l’abonnement demi-tarif CFF.

[5] https://www.mobility.ch/fr/magazine/lifestyle/combien-coute-une-voiture-par-an

[6] https://www.tpg.ch/fr/acheter/abonnements-unireso-et-leman-pass/offres-communes

[7] https://www.tdg.ch/le-grand-ecart-des-subventions-pour-les-abonnements-tpg-559802240932

[9] https://www.rts.ch/info/regions/12441422-des-transports-publics-gratuits-ne-diminuent-pas-forcement-la-pollution.html

[10] Plan climat cantonal, fiche 2.1 « Renforcer le transfert modal vers la mobilité douce »

[11] https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/09/19/la-gratuite-des-transports-publics-aggravera-la-situation-en-degradant-la-capacite-a-financer-plus-d-alternatives-a-la-voiture_6142198_3232.html