Dilara Bayrak

Par Dilara Bayrak, députée. Ce texte est paru dans le journal Le Temps le 19 octobre 2020. 

Le 22 août dernier, les citoyennes et citoyens suisses apprenaient l’existence de l’«accord secret» entre la Chine et la Suisse: celui-ci permet à des fonctionnaires chinois d’enquêter, sans statut officiel, sur notre territoire. Ils sont même autorisés à mener des interrogatoires. Officiellement, le but est de déterminer l’identité des ressortissants chinois résidant de manière illégale en Suisse. Lorsque la nationalité de ces individus est déterminée, ils sont reconduits en Chine. Par ce biais, les employés du Ministère chinois de la sécurité publique aideraient le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) pour les rapatriements, les coûts étant tout de même à la charge de la Suisse. Comme si ces faits n’étaient pas assez alarmants, la Suisse ignore le sort de ces ressortissants une fois reconduits. Au vu de la réputation de la République populaire de Chine en matière de respect des droits humains, le fait que la Confédération se soit engagée dans un tel accord est incompréhensible et incompatible relativement à ses engagements découlant du droit international et ses garanties incluses dans son propre droit interne.

Reconduction de l’accord

Depuis son entrée en vigueur en 2015, cet accord n’a jamais figuré dans la Feuille d’avis officielle (FAO), de sorte qu’il n’est pas possible de connaître son contenu et, de fait, il échappe à tout débat parlementaire. Alors que la nouvelle a étonné un grand nombre d’élues et d’élus fédéraux, la reconduction de cet accord à son échéance, soit en décembre 2020, n’a pas été remise en question par la Confédération. Cette dernière continue encore les négociations.

Le Grand Conseil genevois n’est pas satisfait de cet état de fait et a décidé d’agir. Une résolution rappelant les obligations de la Suisse et demandant leur respect a récemment été déposée. Signée par des députées et députés représentant la grande majorité des groupes parlementaires, elle témoigne d’un mécontentement général face au comportement de nos autorités, qui bafouent purement et simplement des droits aussi fondamentaux que le droit à la liberté et à la sûreté, ainsi que la liberté de pensée, de conscience et de religion, pour ne citer que ceux-là. D’autant plus que ces droits sont garantis dans un grand nombre de textes législatifs: le Pacte ONU II, la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), la Constitution fédérale, et bien d’autres encore.

Concrètement, cette résolution demande à l’Assemblée fédérale d’élaborer des mesures afin de faire cesser les actes de surveillance et d’intimidation dont les communautés minoritaires font l’objet en Suisse. Elle requiert également de prendre toutes les mesures pour que la liberté d’expression sur la situation des droits humains en Chine soit pleinement garantie en Suisse.

Solliciter les élus

En prolongeant un tel accord, la Suisse autorise des activités s’apparentant à de l’espionnage visant à réprimer et à surveiller un certain nombre de minorités ou des opposants politiques en toute impunité. Car, en effet, contrairement au discours officiel, rien n’empêche les autorités chinoises de mener leurs enquêtes sur ces groupes pour ensuite exercer des pressions directement sur eux ou encore sur leurs familles se trouvant encore sur le territoire chinois.

N’acceptons pas, nous, citoyennes et citoyens suisses, de déroger à l’application des droits humains sur notre territoire. Continuons de protéger des valeurs qui nous ont longtemps rendus fières et fiers. Encourageons les élues et élus de nos cantons respectifs à se joindre à la démarche du Grand Conseil genevois auprès de l’Assemblée fédérale. Sollicitons nos élues et élus fédéraux pour qu’ils agissent. Exigeons des résultats de leur part, elles et eux qui sont garants de nos intérêts.

Car si les représentantes et les représentants du peuple s’accommodent de cette situation, c’est que nous sommes témoins du déclin de notre démocratie.