David Martin

Projet de loi déposé par David Martin en mars 2022

Texte complet: PL 13078

Exposé des motifs:

Les motivations du présent projet de loi reposent sur les constats
suivants :

  • Dans le centre urbain, les parkings souterrains du canton sont en
    sous-utilisation et cette tendance se renforce avec la politique de
    résiliation des abonnements pendulaires dans les parkings publics, le
    report modal et la part croissante du télétravail.
  • A l’inverse, l’espace public est rare et doit répondre à un besoin croissant
    d’améliorer la qualité de vie des quartiers, la circulation des transports
    publics, la mobilité douce ou encore la végétalisation.
  • Le coût d’un macaron « habitant » genevois représente entre 8% et 15%
    du prix d’un abonnement « habitant » dans un parking souterrain de la
    Fondation des parkings.
  • Avec un macaron à 200 francs/an, de nombreuses voitures passent le plus
    clair de leur temps à l’arrêt (voitures ventouses), ce qui réduit pour les
    habitantes qui en ont besoin les possibilités de trouver une place.
  • Avec un macaron à 200 francs/an, les automobilistes font tout pour
    trouver une place en zone bleue, même si cela leur fait perdre du temps et
    que cela génère une circulation inutile et polluante dans les quartiers.
  • La part de ménages sans voiture est en constante augmentation dans les
    communes urbaines (en ville de Genève ce taux est passé de 30% à 41%
    entre 2000 et 2015).
  • Le centre urbain (zone II LMCE) profite aujourd’hui d’une excellente
    desserte de transports publics qui permet à la plupart de ne pas utiliser de
    voiture pour les trajets quotidiens.
  • L’autopartage – qui permet de se libérer des contraintes et des coûts fixes
    liés à la possession d’un véhicule et de limiter les « usages réflexes » de
    l’automobile – est en fort développement à Genève.
  • Une étude récente menée en ville de Zurich montre que 20% des ménages
    pourraient facilement se laisser convaincre de renoncer à posséder une
    voiture.

En incitant ne serait-ce qu’une faible partie des habitant-e-s des
quartiers urbains du canton à prendre un abonnement dans un parking
souterrain ou à renoncer à leur voiture, c’est autant de places qu’on
libère en zone bleue pour les habitant-e-s qui détiennent un macaron.

Quels sont les leviers pour aller dans cette direction ? Premièrement, il
faut agir sur l’écart de prix entre le macaron zone bleue et les abonnements
en parking souterrain, en rendant plus attractifs ces derniers. Deuxièmement,
il faut augmenter les mécanismes incitatifs vers le report modal. C’est sur ces
deux leviers que ce projet de loi propose d’agir.

Le macaron genevois : moins cher qu’un abonnement Netflix ?

Début 2021, l’Etat de Genève revoyait la tarification de ses parkings
souterrains « afin de dissuader les pendulaires de se rendre au travail en
voiture et de favoriser les habitant-e-s et les visiteur-euse-s occasionnels ».
Ainsi la tarification des 7700 places en ouvrage (dont la moitié au
centre-ville) gérées par la Fondation des parkings (FdP) a été revue, avec
notamment de nouvelles offres pour les habitantes et les habitants.

En fonction de leur emplacement, les parkings gérés par la FdP ne
pratiquent pas la même tarification. Ainsi, un abonnement « habitant » (pour
les personnes résidantes dans un rayon de 300 m) coûte aujourd’hui entre
270 francs/mois au parking de la gare des Eaux-Vives et 150 francs/mois
dans celui de l’HEPIA à la rue de la Prairie.

En revanche, le macaron « habitant », à savoir l’abonnement annuel
permettant de se parquer dans la zone bleue de son quartier, coûte lui
200 francs/an.

Un comparatif du prix des macarons en Suisse
permet de constater que le prix pratiqué à Genève est
extrêmement bas au regard de la tarification pratiquée dans les autres
grandes villes de Suisse (moyenne à 440 francs/an).

Chez nos voisins de Nyon, le macaron « habitant » annuel est à
960 francs. En ville de Lausanne, il coûte 500 francs et à Lucerne 600 francs.

Si la volonté de l’Etat dans sa révision récente de la tarification du
stationnement en parking souterrain était d’y offrir davantage de places aux
habitantes et habitants, le prix dérisoire du macaron genevois est comparativement trop peu incitatif. Sans ajustement à la hausse, les chances
de voir les habitant-e-s prendre des abonnements en ouvrage sont faibles.

L’utilisation du domaine public représente un coût d’opportunité
extrêmement important pour la qualité de vie dans les quartiers et en regard
des objectifs climatiques cantonaux.

D’un côté, on fait payer le restaurateur qui installe une terrasse en bord de
rue, amenant ainsi de la convivialité dans un quartier et une contribution à
l’économie locale. D’un autre côté, la collectivité « subventionne »
pratiquement des places de parc en voirie pour des voitures qui restent
immobiles la plupart du temps et qui, de plus, apportent des nuisances à la
communauté.

Non seulement le stationnement en voirie (et sa tarification) contribue à
rendre l’utilisation de la voiture individuelle très attractive, mais il empêche
le déploiement de mesures de mitigation et d’adaptation au changement
climatique (infrastructures de transports publics, cyclistes ou piétonnes,
végétalisation de l’espace urbain, etc.).

Or le prix du macaron actuel, en tarif journalier, est de 16,70 francs par
mois ou de 55 centimes par jour (!). Ce coût ne couvre absolument pas les
coûts réels d’une place de stationnement en voirie. En tenant compte des
coûts externes (comme la pollution, les coûts des accidents et la mise à
disposition et l’entretien de l’infrastructure), le coût réel d’une place de
stationnement en voirie est estimé à un peu plus de 5 francs par heure !

Il est également intéressant de comparer le coût du macaron à d’autres
frais courants des ménages :

  • un abonnement Netflix à 18,90 francs/mois ;
  • un abonnement à la piscine des Vernets à 25 francs/mois ;
  • un abonnement Mobility à 10,90 F/mois ;
  • un abonnement Unireso à 70 francs/mois.

Le prix d’un macaron genevois semble donc particulièrement
sous-évalué. Ce projet de loi propose de relever le plafond maximal pour le
macaron « habitant-e-s » à 800 francs. Cette augmentation du plafond se
justifie si l’on considère les coûts réels d’une place de stationnement en
voirie et le comparatif avec des places de stationnement en ouvrage (voir PL 13078).  Le prix d’un macaron « habitant » serait alors d’environ 67 francs/mois, encore bien loin des tarifs pratiqués pour le stationnement en
ouvrage qui est d’environ 190 francs/mois (à l’inverse, ces derniers devraient
être revus à la baisse pour être plus attractifs).

En ce qui concerne les autres catégories de macaron « entreprises » et
« journalier multizones », la fourchette de la loi serait établie entre 480 et
1900 francs par an, laissant au Conseil d’Etat la possibilité d’instaurer des
variations en fonction de la nature, de l’intensité et de la localisation de
l’avantage conféré. Ainsi, par équité, c’est un facteur 4 que l’on applique
uniformément aux valeurs indiquées dans la loi actuelle.

Sachant que la loi fixe une fourchette de prix, le Conseil d’Etat est invité
à préciser par voie règlementaire, comme il le fait déjà aujourd’hui, les prix
des différents types de macarons. Il pourra notamment considérer :

  • des variations géographiques du prix tenant compte de l’avantage conféré
    (proximité au centre-ville) et de la disponibilité effective de places en
    surfaces (état du « surbooking » en zone bleue) ;
  • des ajustements de prix tenant compte à la fois des émissions de CO2 du
    véhicule et de son emprise sur la voirie (en effet, pourquoi le macaron
    d’une Smart coûte-il le même prix que celui d’une Range Rover occupant
    le double d’espace public ?) ;
  • une augmentation supportable pour les entreprises compte tenu de la
    période difficile que nous traversons avec la crise sanitaire ;
  • une augmentation échelonnée dans le temps pour permettre aux usagers
    d’anticiper sur l’organisation de leur mobilité ;
  • des rabais éventuels pour les personnes à faible revenu en mesure de
    justifier une forte dépendance à la voiture pour des raisons
    professionnelles ou privées (p. ex. infirmier-ère utilisant son véhicule
    privé pour des soins à domicile, accompagnement de proches à mobilité
    réduite, etc.).

Valoriser les parkings souterrains vides plutôt que l’espace public

Dans les centres urbains du canton, l’espace public est rare et doit
répondre à un besoin croissant d’améliorer la qualité de vie des quartiers, la
circulation des transports publics, la mobilité douce ou encore la
végétalisation.

Il faut donc utiliser davantage la capacité des parkings souterrains qui
sont aujourd’hui largement sous-utilisés. Nous avons toutes et tous observé
les nombreux panneaux « place de parking à louer » qui foisonnent autour
des immeubles, places pour lesquelles les régies ont toutes les peines du
monde à trouver preneur.

La presse cite deux exemples dans un article datant de 2017. La Société
coopérative d’habitation Genève (SCHG) a construit deux immeubles au
Mervelet et aux Charmilles. Une dizaine de places sur 60, respectivement une
quinzaine de places sur 117, sont restées vides. La Caisse de pension de
l’Etat de Genève (CPEG) se retrouve avec près de 500 places de parc en trop
sur 8000, représentant un manque à gagner annuel qui frise le million de
francs.

En ville de Genève, la situation ne semble pas meilleure : les parkings
sont bien occupés, mais ceci est en grande partie dû au phénomène de
sous-location des places aux pendulaires. Ainsi, sur les 4000 places que la
Ville de Genève met à disposition de ses habitant-e-s uniquement, 800 places
ne trouvaient pas preneur début 2017.

Dans les fondations HBM également, les parkings en sous-sol destinés
aux locataires sont largement sous-utilisés : 48% sont loués par des locataires
et 20 à 40% par des habitants du quartier. Entre 10 et 30% de ces parkings ne
trouvent donc pas preneurs.

Dans les parkings à accès public, à savoir ceux de la Fondation des
parkings, de la GIM et de Parkgest, il y avait début 2021 entre 2500 et
3000 places disponibles pour la compensation. Ces données ne prennent pas
encore en compte les effets de la nouvelle politique d’attribution des places
dans les parkings propriété de l’Etat de Genève, à savoir une première baisse
de prix de l’abonnement habitant.

La Tribune de Genève citait en janvier 2021 les propos de
l’administrateur du garage souterrain Rive-Centre qui confiait « qu’on
dépasse difficilement les 35% d’occupation, ce qui est déjà bien. La fréquentation baisse à partir de 18 heures. Le parking est vide à 85% la nuit et
le dimanche ».

Toute démarche qui permettrait de mieux utiliser ces espaces en sous-sol
doit donc être entreprise. Plus de voitures en abonnement habitants dans les
parkings souterrains, ce sont autant de places libérées pour les habitantes
des quartiers détenteurs de macarons !

L’écart actuel entre les tarifs des parkings en souterrain et celui du
macaron est en moyenne d’un facteur 10. Il s’agirait de le ramener à un
facteur 2 ou 3, pour rendre le stationnement plus incitatif (p. ex. un macaron
à 67 francs/mois et un abo parking souterrain à 130 francs/mois).

En collaboration avec la Fondation des parkings, le Conseil d’Etat est
donc invité à revoir à la baisse les prix des abonnements « habitants » en
ouvrages, dans une logique de symétrie inversée avec l’augmentation des
macarons en surface. Ces baisses de tarifs en ouvrage pourront être
financées par les recettes supplémentaires prélevées sur les macarons.

40% de TIM en moins selon le plan climat

Le 2 juin 2021, le Conseil d’Etat adoptait son « Plan climat cantonal 2030 – 2e génération ». Selon le bilan carbone du canton, les émissions de gaz à
effet de serre (GES) liées à la mobilité terrestre sont responsables d’environ
25% des émissions totales du canton de Genève. La très large majorité des
émissions du secteur de la mobilité proviennent des transports individuels
motorisés.

L’atteinte de l’objectif de moins 60% d’émissions de GES dans le canton,
d’ici à 2030, requière un report modal conséquent des transports individuels
motorisés vers les transports publics, le vélo et la marche. Dans son plan
climat cantonal, l’Etat s’est fixé pour objectif une réduction de 40 à 50%
des déplacements en transports individuels motorisés pour 2030 (et de
80% d’ici à 2050 !). Par ordre de priorité, les objectifs 2030 du plan climat
pour la mobilité terrestre sont (de façon cumulative) :

  • réduire de 5% à 10% les kilomètres moyens parcourus en transports
    individuels motorisés ;
  • réduire d’environ 40% le nombre des déplacements en transports
    individuels motorisés en les reportant vers d’autres modes de transport ;
  • atteindre un taux d’électrification (et/ou technologie équivalente)
    d’environ 40% du parc de véhicules.

Notons « qu’une transition complète des véhicules thermiques vers
l’électromobilité ne suffirait pas à atteindre l’objectif fixé par le plan climat
même si 100% du parc de véhicules était électrifié en 2030 ». Sur leur cycle
de vie, les véhicules électriques conservent une empreinte climatique
correspondant à environ 50% de celle des véhicules à moteur. Le report vers
les autres modes de transport est donc inévitable et nécessaire. Et le
stationnement est un des leviers très importants pour y parvenir.

Financer le report modal

La LaLCR, dans son article 7D alinéa 3, stipule actuellement que le
« produit net des taxes est versé à la Fondation des parkings pour la
construction et l’exploitation de parcs de stationnement destinés aux
habitantes et aux P + R ».

Ce projet de loi propose qu’à l’avenir, les recettes provenant du macaron
servent également de levier pour favoriser le report modal. Il s’agirait ainsi,
pour l’Etat, d’une révision de la loi qui serait neutre en matière budgétaire.

Les moyens supplémentaires générés par ce PL pourront donc notamment
être utilisés pour financer des mesures d’accompagnement pour les
habitant-e-s, typiquement pour des subventions accordées aux personnes qui
souhaiteraient abandonner leur voiture, au profit de modes de déplacement
plus durables, par exemple sous forme de « chèques mobilité » utilisables
pour l’achat de vélos, d’abonnements de transport public et d’autopartage, ou
même de location de voiture pour les vacances.

L’intention n’est pas de forcer qui que ce soit à renoncer à son véhicule et
surtout pas les inconditionnels de l’automobile. Non, ces incitatifs ont
typiquement pour cible les 20% des ménages qui, selon une étude récente
menée en ville de Zurich, pourraient facilement se laisser convaincre de
renoncer à posséder une voiture, moyennant un soutien financier pour faire le
pas. Il s’agit aussi de permettre à celles et ceux qui le souhaitent de faire
l’expérience de l’économie réalisée par le fait de ne pas posséder de voiture,
dont le coût annuel réel est sous-estimé et mal connu.

Notons enfin que les personnes qui renoncent à la voiture font de la place
pour celles qui la conservent ! Et en particulier pour les professionnels qui
ont besoin d’un véhicule en tant qu’outil de travail.

Charges et couvertures financières / économies attendues

Compte tenu des coûts extrêmement importants pour la collectivité de
l’utilisation des transports individuels motorisés (accidents, pollution de l’air,
santé publique, utilisation du domaine public), les économies sont évidentes,
même si difficilement chiffrables.

Il est en revanche possible de chiffrer les revenus supplémentaires qui
pourraient être générés. Dans le tableau ci-dessous, on considère des
nouveaux prix annuels de macarons de 800 francs pour les habitantes et de
1200 francs pour les entreprises, ainsi qu’une réduction globale de –30% du
nombre de macarons vendus.

Selon cette simulation, qu’il importera de vérifier avec le département en
charge, ce projet de loi pourrait générer environ 14 millions de francs.
L’intégralité des nouvelles recettes seront réinvesties pour financer
l’amélioration de l’offre de stationnement en ouvrage et en P+R, les baisses
d’abonnement pour les habitants, ainsi que les autres mesures d’incitation au
report modal.

Le présent projet de loi aura un effet neutre sur les finances de l’Etat.