Sophie Bobillier

Question écrite déposée par Sophie Bobillier en décembre 2023

Texte complet et réponse du Conseil d’Etat: Q 3969 A

Exposé de la question:

Dans son communiqué hebdomadaire du 30 août 2023[1], le Conseil d’État a annoncé, après consultation du pouvoir judiciaire, s’être prononcé sur la proposition du Département fédéral de justice et police (DFJP) de fixer au 1er janvier 2024 l’entrée en vigueur de la révision du droit pénal en matière sexuelle, pour autant qu’aucun référendum n’ait été demandé en date du 5 octobre 2023. Après consultation du pouvoir judiciaire, le Conseil d’État a requis une entrée en vigueur au plus tôt au 1er juillet 2024, la date proposée n’étant pas réaliste, en raison de l’indispensable préparation des autorités judiciaires et administratives à l’application de ce nouveau droit qui ne pourra se faire avant l’été prochain. 

Dans son courrier au DFJP, le Conseil d’État a relevé que :

« Pour que les autorités de poursuite pénale (ministères publics et polices) soient en capacité d’appliquer le nouveau droit de façon efficace, un temps de préparation est nécessaire, incluant notamment

  • la formation des policiers et des procureurs, non seulement sur les éléments constitutifs objectifs et subjectifs des infractions concernées, mais également sur la manière d’interroger les victimes et les auteurs potentiels en fonction de ces éléments constitutifs ;
  • la préparation de canevas de questions et autres processus propres aux polices.

Les juridictions pénales genevoises mettront en place des formations pour leurs magistrates, magistrats, collaboratrices et collaborateurs. Le Ministère public participera en outre très vraisemblablement aux formations dispensées aux policiers. C’est donc une charge de préparation et d’enseignement relativement lourde qu’il y a lieu d’anticiper. »[2],

La Conférence régionale LAVI de suisse latine, lors de son congrès de ses 30 ans sur les regards croisés sur les enjeux d’accès à la justice 30 ans après l’entrée en vigueur de la loi sur l’aide aux victimes d’infractions, a relevé de nombreuses lacunes dans la prise en charge des victimes et a rappelé la nécessité d’assurer aux personnes victimes :[3]

  • Un traitement favorisant l’empathie et l’absence de jugement.
  • La reconnaissance des impacts concrets de la violence subie sur leur quotidien.
  • L’accès facilité aux informations, dans une forme adaptée et compréhensible.
  • Le contrôle de la bonne application de leurs droits.
  • Des adaptations possibles d’audition en cas de situation particulière (de santé mentale, par exemple).
  • L’accès le plus complet possible au soutien, à la justice et à l’indemnisation.
  • Des mesures de protection suffisantes sur les plans émotionnel, physique et psychologique.
  • La minimisation des risques de victimisation secondaire induite par le système.
  • La promotion de mesures innovantes et positives en vue de leur reconstruction.

La Conférence régionale LAVI de Suisse latine a également émis des recommandations relatives le 12 septembre 2023 à amélioration de l’accès à la justice, notamment de[4]

  • Encourager la formation des professionnel·les en contact avec les victimes, y compris au sein du système pénal et des autres instances judiciaires susceptibles de traiter des situations impliquant des victimes au sens de la LAVI, sur les sujets suivants : les modalités d’accueil, les techniques d’audition, l’écoute et la communication, le psychotraumatisme, les vulnérabilités des victimes et leurs droits.
  • Encourager et soutenir les initiatives visant à mieux évaluer l’impact des violences psychologiques, de certains actes contre l’intégrité sexuelle et des violences liées aux nouvelles technologies comme le harcèlement obsessionnel, afin de mieux identifier les besoins des victimes concernées.
  • Analyser la possibilité d’accorder aux victimes un droit, similaire à celui des prévenu·es d’infraction grave, de bénéficier d’un défenseur dès le moment du dépôt de plainte, le cas échéant d’un service de traduction, et d’élargir les critères d’octroi de l’aide immédiate LAVI dans ce but.
  • Prévoir toutes les mesures concrètes nécessaires pour garantir, tout au long de la procédure pénale, mais aussi civile à but de protection, la mise en œuvre du droit des victimes à la non-confrontation avec l’auteur·e de l’infraction, par le biais de l’agencement de locaux spécifiques (entrées séparées, salles d’attente distinctes, salles « LAVI »), ou grâce à des modalités d’audition adaptées, comme les auditions en ligne.
  • Mettre en place des procédures de réclamation simples et gratuites pour les victimes en cas de traitement inadéquat ou de non-respect de leurs droits par les professionnel·les, y compris au sein du système pénal. L’information sur leur existence devrait être disponible facilement. La perspective des victimes devait être incluse dans l’évaluation des institutions concernées, et permettre des mesures de correction.

(…)

  • Assurer, sur un plan fédéral et régional, un système de recueil et de partage des bonnes pratiques des centres LAVI et de leurs partenaires de terrain en matière d’aide aux victimes, favorisant l’équité de traitement, l’amélioration des prises en charge et le soutien à l’innovation.
  • Favoriser le travail en réseau autour des victimes, pour mieux répondre à leurs besoins, en particulier celui de ne pas répéter le récit des violences subies, et octroyer les moyens suffisants pour que les prestations des centres LAVI puissent être adaptées en conséquence.
  • La victime devrait pouvoir être en état de se déterminer concernant le statut qu’elle entend avoir dans la procédure pénale. Elle devrait se voir remettre une information détaillée écrite, claire et compréhensible à ce sujet, en même temps que lui sont données les informations relatives à ses droits et à la LAVI. Un délai suffisant devrait lui être accordé pour consulter un centre LAVI, puis confirmer sa décision aux autorités pénales.
  • L’octroi de l’assistance judiciaire ne devrait pas prendre en compte le niveau de complexité de la cause lorsqu’il s’agit d’une victime au sens de la LAVI. Le barème d’indigence utilisé pour cette dernière devrait en outre se référer au barème de l’ordonnance d’application de la LAVI (OAVI).
  • Lorsqu’une affaire a été jugée et que les conditions prévues par la LAVI sont réalisées, le transfert du dossier devrait être facilité, avec l’accord de la victime, entre le Tribunal pénal et l’Instance d’indemnisation LAVI.

Au vu de ce qui précède, je sollicite le Conseil d’État afin qu’il réponde aux questions suivantes :

  • Qu’est-ce qui est prévu en termes de formation spécifique et de prévention pour l’application de la modification du Code pénal sur le droit sexuel auprès :
  1. Des magistrat-e ,
  2. Des procureur-e-s,
  3. Des agent-es-s de police (gendarmerie, brigade),
  4. du Centre d’aide aux victimes,
  5. de la population général, des jeunes et des enfants ?
  6. Quels sont les moyens engagés pour mettre en œuvre les recommandations de Conférence régionale LAVI de Suisse latine ?
  • Dans quelle mesure les associations ou institutions en lien avec les victimes d’infractions sexuelles (Viol-secours, BPEV, Centre LAVI) sont-elles impliquées dans le processus de formation des intervenants judiciaires permettant une meilleure prise en charge holistique des victimes ?
  • Quels sont les efforts de prévention prévus auprès de la population, notamment des jeunes ?
  • Quels sont les moyens mis en place pour répondre aux enjeux très spécifiques nécessitant des formations particulières, telles qu’une meilleure connaissance des mécanismes spécifiques enseignés par le Centre LAVI, des contextes de victimisation, de la chronologie et les types de trauma (de l’état de stress aigu, l’état de choc, l’état de stress post-traumatique), ainsi que des explications théoriques enseignées telles que :
  1. La sidération psychique,
    1. l’impuissance acquise (Seligman, 1975),
    2. l’isolement (Hermann),
    3. l’emprise (Hirigoyen, Brillon),
    4. l’habituation (fable de la grenouille),
    5. la honte et le sentiment de culpabilité et
    6. le mythe du viol[5] ?

[1] Communiqué hebdomadaire du Conseil d’Etat –  Révision du droit pénal en matière sexuelle: pour une entrée en vigueur au plus tôt en juillet 2024

https://www.ge.ch/document/communique-hebdomadaire-du-conseil-etat-du-30-aout-2023#extrait-32919

[2] Réponse du Conseil d’Etat du 30 août 2023 à la consultation du Département fédéral de justice et police (DFJP) relative à l’entrée en vigueur de la révision du droit pénal en matière sexuelle. https://www.ge.ch/document/33026/telecharger

[3] Recommandations de la Conférence régionale LAVI de Suisse latine – Amélioration de l’accès à la justice des victimes d’infraction pénale

https://www.lavi30ans.ch/ et https://www.lavi30ans.ch/wp-content/uploads/2023/08/Lavi30ans_Recommandations_FR_def-1.pdf

[4] Recommandations de la Conférence régionale LAVI de Suisse latine – Amélioration de l’accès à la justice des victimes d’infraction pénale. Consultable : https://www.lavi30ans.ch/ et

https://www.lavi30ans.ch/wpcontent/uploads/2023/08/Lavi30ans_Recommandations_FR_def-1.pdf

[5] Recherche LIEBER Marylène, GRESET Cécile et PEREZ-RODRIGO Stéphanie (2019). Le traitement pénal des violences sexuelles à Genève. Une étude exploratoire, Université de Genève. Consultable : www.unige.ch/sciences-societe/socio/workingpapers