Dilara Bayrak

Question écrite déposée par Dilara Bayrak en décembre 2022

Texte complet: Q 3915 A

Exposé de la question:

En date du 16 décembre 2022, le Grand Conseil a renvoyé au Conseil
d’Etat une question écrite ordinaire qui a la teneur suivante :

Une des finalités de la prison, peut-être même la plus importante, est de
permettre la réinsertion des personnes détenues. Genève ne l’ignore pas,
puisqu’une réforme du concept de réinsertion1 a été mise en place en 2017
par l’office cantonal de la détention (OCD).

Plus de cinq ans plus tard, il est nécessaire de savoir si cette réforme
suffit et si elle a porté ses fruits.

A cet égard, je remercie le Conseil d’Etat de bien vouloir répondre aux
questions suivantes, étant précisé que des statistiques par atelier seraient
préférées :

  • Sur l’ensemble des établissements à Genève, lesquels disposent de
    programmes de réinsertion et de formations certifiantes ?
  • Quels sont les programmes de réinsertion qui sont à la disposition des
    personnes détenues à Genève ?
  • Combien de formations certifiantes sont à la disposition des personnes
    détenues à Genève ?
  • Combien de ces formations donnent accès à un CFC ? Pourquoi
    l’ensemble des formations proposées ne donnent-elles pas cet accès ?
  • Combien d’ateliers ont la reconnaissance d’entreprise formatrice ?
  • Combien de personnes bénéficient chaque année de ces programmes de
    réinsertion et de formations certifiantes ? (Merci de fournir des
    statistiques séparées par atelier)
  • Combien de places sont disponibles pour les personnes qui souhaitent
    bénéficier d’une formation en lieu et place de l’astreinte au travail ?
  • Existe-t-il des listes d’attente pour l’accès aux programmes de
    réinsertion et aux formations certifiantes ? (Merci de fournir des
    statistiques séparées par atelier)
  • Quels sont les moyens mis à disposition par le Conseil d’Etat pour
    développer les programmes de réinsertion et des formations certifiantes,
    tant sur leur nombre, la quantité de places et aussi leur qualité ?
  • Combien de personnes détenues bénéficient d’un suivi effectif par le
    service de probation et d’insertion (notamment dans le cadre de la
    réinsertion) ?
  • Combien de personnes détenues à Genève bénéficient d’un plan
    d’exécution de la sanction (PES) ? Ceux-ci doivent, en principe, être
    élaborés dès l’entrée en exécution de peine, mais sont systématiquement
    repoussés, voire pas mis en place du tout.
  • A combien se chiffrent les prestations fournies par les personnes
    détenues dans le cadre de leur travail ? Quel serait le coût de celles-ci si
    elles devaient être externalisées ?
  • Lorsque des produits fabriqués par des personnes détenues sont vendus
    à l’extérieur, qui en touche les revenus ?
  • Existe-t-il des statistiques sur les personnes qui retrouvent un emploi à
    leur sortie de prison ?

Réponse du Conseil d’Etat

Le Conseil d’Etat partage les préoccupations de l’autrice de la présente
question écrite quant à l’importance de la réinsertion dans les établissements
pénitentiaires du canton. A ce propos, le Conseil d’Etat se félicite que la Cour
des comptes se soit penchée sur la question et ait rendu les conclusions de
son rapport d’évaluation le 27 janvier 2023. Ses conclusions et
recommandations sont partagées dans leur intégralité par l’office cantonal de
la détention (OCD).

  • Sur l’ensemble des établissements à Genève, lesquels disposent de
    programmes de réinsertion et de formations certifiantes ?
    Il est important de préciser que, selon l’office pour l’orientation, la
    formation professionnelle et continue (OFPC), le terme certifiant ne peut être
    utilisé que pour l’octroi des certifications CFC et AFP. Nous parlerons donc
    dans la présente réponse de formations reconnues.
    Pour rappel, le concept de réinsertion et de désistance tel que validé par le
    Conseil d’Etat le 15 novembre 2017 (Réforme du concept de réinsertion et de
    désistance de l’OCD2) se compose de 10 axes :
    I. Les filières métiers / Ateliers / Valorisation des compétences
    II. Les formations externes via Internet
    III. Un accompagnement spécifique pour les jeunes adultes
    IV. Prise en charge socio-éducative (méthode TIM-E / projet pilote
    Objectif désistance)
    V. Projet AJURES / médiation carcérale
    VI. Accès facilité aux informations
    VII. Projet RESTART / projet de départ dans le pays d’origine
    VIII. Mise à disposition d’ordinateur en cellule / parloir à distance
    IX. Projet REPR / parentalité en prison
    X. Activités socio-culturelles
    Le concept de réinsertion et de désistance peut donc se déployer de
    manière complète ou partielle dans l’ensemble des établissements
    pénitentiaires genevois. Il faut également préciser que la personne détenue
    peut solliciter à tout moment le déploiement d’une ou de plusieurs actions
    prévues dans ce document.

Cependant, la taille et/ou la vétusté de certains établissements ne permettent pas le déploiement de certains axes tels que les ateliers de
formation.

Les établissements proposant des formations professionnelles reconnues
sont : Champ-Dollon, Curabilis, La Brenaz et Le Vallon. De plus, des
formations peuvent être entreprises à titre individuel à distance encadrées par
le service de probation et d’insertion (SPI). Ces formations sont possibles
dans l’ensemble des établissements genevois, à l’exception de Favra et de la
Clairière, ce dernier établissement disposant d’un programme de prise en
charge spécifique.

  • Quels sont les programmes de réinsertion qui sont à la disposition
    des personnes détenues à Genève ?
    Il s’agit des 10 axes de réinsertion et de désistance tels que mentionnés en
    réponse à la question 1.
    3. Combien de formations certifiantes sont à la disposition des
    personnes détenues à Genève ?
    Il y a actuellement 7 formations professionnelles reconnues :
    I. Boulangerie
    II. Cuisine
    III. Propreté
    IV. Exploitation
    V. Intendance
    VI. Peinture
    VII. Menuiserie
    Il existe différents niveaux de formation possibles, offrant 3 types de
    reconnaissances : I. Attestation/certificat de travail délivré par
    l’établissement; II. Formation pratique sanctionnée par une attestation de
    compétences délivrée par l’OFPC; III. Formation conduisant à une attestation
    cantonale délivrée par l’OFPC – modules validés par un examen avec 2
    experts métier externes.
  • Combien de ces formations donnent accès à un CFC ? Pourquoi l’ensemble des formations proposées ne donnent-elles pas cet accès ?

Hélas, pour le moment aucune formation ne donne accès à un CFC, faute
de pouvoir offrir, notamment, les cours dispensés dans les centres de
formation professionnelle. Il est toutefois important de rappeler qu’un
équipement permettant de suivre des formations à distance ainsi que la
théorie nécessaire à l’obtention d’un diplôme (AFP, CFC) avait été prévu dans
le projet des Dardelles; il est toujours d’actualité dans les futures
constructions pénitentiaires prévues dans le cadre du projet de l oi s ur l a
planification pénitentiaire (PL 13141) et du plan directeur des infrastructures
pénitentiaires.

  • Combien d’ateliers ont la reconnaissance d’entreprise formatrice ?
    Les 17 ateliers habilités à former des apprenants disposent de la
    reconnaissance d’entreprise formatrice et donc de formateurs au bénéfice de
    la formation obligatoire EduPro.
  • Combien de personnes bénéficient chaque année de ces programmes
    de réinsertion et de formations certifiantes ? (Merci de fournir des
    statistiques séparées par atelier)
    En 2022, 45 détenus au total ont bénéficié de parcours de formation en
    atelier de niveau II et III selon le tableau statistique joint en annexe.
  • Combien de places sont disponibles pour les personnes qui
    souhaitent bénéficier d’une formation en lieu et place de l’astreinte
    au travail ?
    Il y a pour l’ensemble des ateliers formateurs 24 places disponibles. Pour
    davantage de détail, il convient de se référer au tableau statistique joint en
    annexe.
  • Existe-t-il des listes d’attente pour l’accès aux programmes de
    réinsertion et aux formations certifiantes ? (Merci de fournir des
    statistiques séparées par atelier)
    Il existe effectivement une liste d’attente dans l’établissement de Champ-
    Dollon, mais elle est destinée à l’accès aux places de travail en atelier, étant
    donné que l’établissement comporte 195 places d’atelier pour plus de
    500 personnes détenues.

Concernant la formation reconnue actuellement, seul l’établissement de

La Brenaz a une liste d’attente pour son atelier en boulangerie. Aucune autre
liste d’attente liée à la réinsertion n’existe dans l’ensemble des établissements
pénitentiaires genevois. Toutefois, et comme le relève d’ailleurs la Cour des
comptes, certains programmes de réinsertion sont plus compliqués à mettre
en oeuvre faute d’infrastructures adaptées, mais également de moyens
suffisants. En effet, par exemple, la surpopulation endémique de
l’établissement de Champ-Dollon oblige les intervenants socio-judiciaires à
travailler sur les urgences des nouveaux arrivants (famille, enfant(s),
appartement, etc.) plutôt que sur la prise en charge socio-éducative avec la
méthode TIM-E, visant la réinsertion.

  • Quels sont les moyens mis à disposition par le Conseil d’Etat pour
    développer les programmes de réinsertion et des formations
    certifiantes, tant sur leur nombre, la quantité de places et aussi leur
    qualité ?
    Le Conseil d’Etat tient ici à préciser que la qualité des formations
    correspond à celles offertes dans la vie civile. En effet, il s’agit de formations
    pratiques validées tant par l’OFPC que par les faîtières professionnelles de
    chaque branche concernée. Les examens des modules pratiques se déroulent
    en présence de 2 experts, dans les mêmes conditions qu’en école
    professionnelle.
    Le développement des programmes de réinsertion et de désistance ainsi
    que les formations reconnues sont adéquats et répondent aux besoins. Ce
    constat a d’ailleurs été validé par la Cour des comptes dans son Rapport
    d’évaluation n° 177 – 2023 portant sur les mesures de réinsertion proposées
    en prison. Le Conseil d’Etat relève d’ailleurs que la Cour des comptes ellemême
    note que les infrastructures actuelles ne permettent pas le déploiement
    complet des mesures de réinsertion. Il convient donc de doter l’OCD des
    infrastructures adéquates pour être en mesure de mettre en place la totalité
    des axes de réinsertion.
  • Combien de personnes détenues bénéficient d’un suivi effectif par le
    service de probation et d’insertion (notamment dans le cadre de la
    réinsertion) ?
    272 détenus ont bénéficié d’un suivi prévu par l’un des axes du concept de
    réinsertion en 2022. A noter qu’un même détenu peut avoir bénéficié de
    plusieurs modules (ex: TIM-E, RESTART, AJURES, formation, etc.).
  • Combien de personnes détenues à Genève bénéficient d’un plan d’exécution de la sanction (PES) ? Ceux-ci doivent, en principe, être élaborés dès l’entrée en exécution de peine, mais sont systématiquement repoussés, voire pas mis en place du tout.

La mise en place des plans d’exécution de la sanction (PES) est
réglementée par le droit concordataire (décision relative à l’établissement du
plan d’exécution de la sanction pénale, du 8 novembre 2018, de la
Conférence latine des autorités cantonales compétentes en matière
d’exécution des peines et des mesures3). Le Conseil d’Etat souligne que le
canton de Genève respecte les exigences en la matière.
Au 31 décembre 2022, pour les détenus répondant aux critères d’éligibilité
à un PES, 90,48% d’entre eux bénéficiaient d’un PES validé (171 sur 189).
Pour les 9,52% restant (18), les dossiers étaient en cours de traitement.
Au 31 décembre 2022, le respect du délai réglementaire des 6 mois pour
l’élaboration des PES s’élevait à 94,87%, le résiduel étant constitué de cas
particuliers, notamment pour les personnes sous mesures thérapeutiques
institutionnelles, qui nécessitent un temps d’observation plus important et qui
ne sont pas toujours aptes à participer immédiatement à l’élaboration de tels
documents.

  • A combien se chiffrent les prestations fournies par les personnes
    détenues dans le cadre de leur travail ? Quel serait le coût de
    celles-ci si elles devaient être externalisées ?
    Le Conseil d’Etat ne dispose pas de chiffres. Cela étant, les personnes
    détenues qui travaillent en atelier sont rémunérées selon le tarif concordataire
    et touchent une rémunération (pécule) qui représente environ 4 francs nets de
    l’heure. Le travail étant obligatoire en exécution de peine, les personnes
    détenues qui ne pourraient pas travailler (faute de place disponible) doivent
    tout de même être payées une demi-rémunération, soit environ 2 francs nets
    de l’heure.
    De plus, l’Etat de Genève ne disposant pas d’une comptabilité analytique,
    il n’est pas possible pour l’OCD de faire un calcul de coût complet. En outre,
    l’existence d’ateliers dits « de production », qui offrent des prestations pour
    l’établissement (cuisine, buanderie, etc.) et d’autres dits « occupationnels »,
    qui ne fournissent pas de telles prestations (poterie, ateliers polyvalents, etc.)
    rend impossible un chiffrage des « prestations » de manière globale.

L’externalisation des ateliers n’est envisagée que lorsque l’établissement
pénitentiaire ne dispose pas de l’atelier nécessaire. Pour exemple,
l’établissement de La Brenaz, ne disposant pas de cuisine de production en
son sein, fait venir ses repas des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
Le Conseil d’Etat rappelle que l’atelier n’a pas de vocation commerciale,
mais constitue un outil indispensable à la réinsertion et à la sécurité
dynamique. Le travail effectué dans l’atelier par l’agente ou l’agent de
détention va permettre de mettre en place une approche dynamique et
constructive avec la personne détenue. Une telle approche serait très difficile
dans le cadre unique du cellulaire.
Il est important de signaler qu’une externalisation de la prestation devrait
être obligatoirement remplacée par un nouvel atelier dans l’établissement
(obligation de travail), faute de quoi la personne détenue serait payée une
demi-rémunération sans même travailler, ce qui augmenterait d’autant le coût
de l’externalisation.

  • Lorsque des produits fabriqués par des personnes détenues sont
    vendus à l’extérieur, qui en touche les revenus ?
    En règle générale, le fruit de la vente de tous produits fabriqués par les
    personnes détenues et vendus à l’extérieur revient dans les comptes de
    recettes de l’Etat de Genève. La seule exception provient du projet « Cellules
    Grises », qui prévoit que le fruit de la vente des meubles qui ont été
    modernisés par les personnes détenues, puis revendus par le Centre social
    protestant (CSP), reste à l’association. En contrepartie, le CSP donne aux
    différents établissements pénitentiaires genevois des jouets, des livres et des
    vêtements.
    La rétribution des personnes détenues étant réglementée de manière
    concordataire, celle-ci est identique pour l’ensemble de ces personnes,
    indépendamment de savoir si elles travaillent dans des ateliers produisant
    pour l’extérieur ou non.
  • Existe-t-il des statistiques sur les personnes qui retrouvent un
    emploi à leur sortie de prison ?
    Non, il n’existe pas de statistiques de ce genre, puisqu’une fois que l’OCD
    ne suit plus la personne, il ne dispose plus d’informations concernant la suite
    de son parcours professionnel.