Philippe de Rougemont

Question urgente écrite déposée par Philippe de Rougemont en janvier 2023

Texte complet et réponse du Conseil d’Etat: QUE 1860 A

Exposé de la question:

Avec 0,38% de logements vacants dans le canton de Genève (OCSTAT),
7300 dossiers sur liste d’attente pour un logement social et 3000 dossiers en
attente auprès de la CODHA (pour ne prendre qu’un exemple de
coopérative), des milliers de foyers attendent sur le marché de l’immobilier.
Des ménages à revenu modeste avec des enfants doivent parfois se contenter
d’appartements d’une à deux pièces, constituant la population des
mal-logé-e-s.

Pendant ce temps des locaux commerciaux en très grand nombre sont
chroniquement vides.

Les locataires de logements ayant converti contrairement à la loi leurs
appartements en activités (cabinets de consultation, fiduciaires, bureaux, etc.)
ne peuvent pas être contraints à respecter l’affectation de logement, puisque
la LDTR ne le prévoit pas. Les régies ne sont pas tenues d’informer l’Etat de
l’usage fait des appartements par les locataires.

Les centres-villes subissent ainsi depuis des décennies un dépeuplement,
participant au sentiment de vide et d’insécurité le soir venu.

Il existe pourtant un moyen pour que l’Etat s’engage pour réaffecter des
logements à leur fonction d’habitat dans les bâtiments existants. Le
changement de bail et la demande d’autorisation pour effectuer des travaux
créent une marge de manoeuvre que l’Etat peut mobiliser pour faire respecter
l’affectation des appartements, protéger le marché du logement et préserver
des centres-villes vivants.

Ce n’est pas cette seule mesure qui va résoudre la crise du logement et
elle concernera plutôt les segments à hauts revenus, mais cela constitue un levier à disposition parmi d’autres qui ne nécessite pas de couler du béton et
de faire circuler des camions.

Au vu des rénovations thermiques qui vont devoir être réalisées pour se
mettre en ordre avec le nouveau règlement sur les indices de chaleur, il y aura
davantage de demandes d’autorisation déposées auprès de l’office de l’Etat.

La régularisation de la situation des bailleurs est une chose qui ne
permettra pas seulement de réaliser les objectifs poursuivis par la LDTR, elle
fera progresser l’Etat de droit aussi pour les usagers actuellement dans une
situation illicite.

Mes questions sont les suivantes, je vous remercie par avance de
l’attention que vous y porterez :

  • L’Etat compte-t-il recourir davantage à son droit de regard sur l’usage
    effectif des logements lors de demandes d’autorisation de rénover ?
  • L’Etat prévoit-il de conditionner son autorisation de travaux à un
    respect de la LDTR sur l’affectation des logements ?
  • Quel autre moyen l’Etat prévoit-il de mettre en oeuvre si ceux employés
    jusqu’ici ne produisent pas l’effet voulu ?

Réponse du Conseil d’Etat

Le principe posé par la loi : changement d’affectation interdit

La loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons
d’habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l’emploi), du
25 janvier 1996 (LDTR; rs/GE L 5 20), et son règlement d’application, du
29 avril 1996 (RDTR; rs/GE L 5 20.01), ont pour but de préserver l’habitat et
les conditions de vie existantes. Plus spécifiquement, la LDTR vise à éviter la
disparition de logements à usage locatif.

A cette fin, l’article 7 LDTR interdit tout changement d’affectation de tout
ou partie d’un bâtiment occupé ou inoccupé, à moins qu’une dérogation
(art. 8 LDTR) n’ait été accordée au propriétaire de l’immeuble concerné.

Instruction menée par le département du territoire

Première phase

Lorsque le département du territoire (ci-après : département) se prononce
sur des requêtes d’autorisation pour des travaux, que ceux-ci concernent des
rénovations thermiques ou non, il applique rigoureusement les principes
consacrés par la LDTR au cours de l’instruction du dossier qui est appuyée
par différentes pièces (plans, extraits du registre foncier, photographies,
autorisations de construire délivrées précédemment, etc.). L’examen opéré
par le département pour chaque requête en autorisation de travaux dans des
logements qui auraient changé d’affectation se déroule sur le même cadre, en
instruisant de façon préalable les éléments suivants :

  • si le changement d’affectation est antérieur au 20 octobre 1962, il doit
    alors être considéré comme licite. En effet, cette date correspond à la
    veille de l’entrée en vigueur de la LDTR de 1962, et il est retenu que les
    changements d’affectation survenus avant cette date sont licites;
  • si le changement d’affectation (postérieur au 20 octobre 1962) a été
    autorisé par le département, il est également licite;
  • un changement d’affectation postérieur à la date susmentionnée et n’ayant
    pas été autorisé sera considéré comme un changement d’affectation illicite
    par le département.

Deuxième phase

Dans ce dernier cas, le département instruira encore le dossier du
changement d’affectation illicite sous un angle supplémentaire en examinant
à quelle date est intervenu le changement d’affectation non autorisé :

  • si le changement d’affectation est intervenu il y a moins de 30 ans, la
    demande d’autorisation sera rejetée et une mesure de remise en état, soit le
    retour à une affectation de logement, sera prononcée. Dans ce cadre, le
    département peut ordonner le dépôt d’une autorisation (pour les travaux
    de remise en conformité) et ordonner ensuite le contrôle du loyer du/des
    logement/s restauré/s;
  • si le changement d’affectation non autorisé date de plus de 30 ans, les
    tribunaux ont reconnu, dans leur jurisprudence, que la sécurité du droit
    impose aux autorités une forme de statu quo : dans ce cas, elles ne
    peuvent en effet ordonner la remise en état du bâtiment non conforme. Le
    changement d’affectation ne devient cependant pas définitif et le
    département peut refuser des travaux qui fixeraient plus avant le
    changement d’affectation. Les locaux restent donc légalement toujours
    affectés au logement et, s’ils retrouvent leur affectation de logement, le
    contrôle LDTR du loyer est maintenu

Conclusion

Compte tenu des explications qui précèdent, l’Etat continuera à instruire
les dossiers comme il le fait actuellement au quotidien lors de demandes
d’autorisation de travaux, que ceux-ci portent sur des rénovations thermiques
ou sur tout autre type de rénovation.

Par ailleurs, comme l’illustre l’exposé ci-dessus, l’Etat continuera à
accorder ses autorisations de travaux pour autant que ceux-ci respectent la
LDTR sur l’affectation des logements, comme sur les autres principes de la
loi, ainsi que les préavis de l’instance LDTR le prévoient expressément.
Enfin, comme il le fait déjà aujourd’hui, l’Etat mettra tout en oeuvre, dans
la mesure de ses ressources et de sa compétence, pour faire assurer le respect
de la loi.