[QUE] Quelle école voulons-nous ? Les modifications du statut enseignant questionnent notre vision de l’éducation

Laura Mach
députée verte au Grand ConseilQuestion urgente écrite déposée par Laura Mach en avril 2025
Texte complet: QUE 2194
Exposé de la question:
Dans un article «Anne Hiltpold met-elle le feu aux poudres?», Le Courrier de ce jour fait état «d’un conflit social d’envergure» à prévoir à la suite des décisions prises par le Conseil d’Etat le 9 avril 2025 concernant le personnel enseignant. Les syndicats d’enseignants, tous degrés d’enseignement confondus, critiquent aussi bien la forme que le fond des changements réglementaires les concernant.
Sur la forme, les associations représentatives du personnel regrettent aussi bien l’absence de consultation réelle que le choix du calendrier de ces annonces. Sur le fond, les partenaires sociaux du DIP semblent avoir une toute autre lecture que celui-ci des nouvelles règles. En effet, si les modifications du DIP semblent consister surtout en la clarification du statu quo, comme le laisse entendre sa communication, l’ensemble des syndicats y voient une augmentation déguisée du temps de travail et une économie substantielle pour l’État.
Le point d’achoppement principal réside dans la vision réductrice de la mission éducative qui transparaît de ces modifications. Dans sa nouvelle conception, le département ne prendrait en compte que les leçons données en classe à l’exclusion des autres activités essentielles de la vie scolaire. Cette approche mécaniste de l’enseignement réduit les enseignant·e·s à de simples dispensateurs de savoirs, niant leur rôle fondamental dans la socialisation, l’accompagnement et le développement global des élèves.
Cette vision est particulièrement préoccupante dans le contexte actuel où les statistiques récentes démontrent une augmentation des troubles psychologiques chez les jeunes et une recrudescence des violences entre mineur·e·s. Est-ce vraiment le moment de dévaloriser les moments d’accueil, de participation aux repas et de surveillance des récréations, qui sont des espaces cruciaux pour le vivre-ensemble et la détection précoce des difficultés?
Dans le cadre de l’enseignement primaire, exclure ces moments de la comptabilisation du temps de travail revient simplement à nier la réalité : dans certains cas, ce nombre d’heures qui ne seraient désormais plus comptabilisées peut représenter jusqu’à 29 périodes par semaine.
S’agissant de l’enseignement secondaire, cette redéfinition de l’enseignement centrée sur le nombre total de périodes à dispenser dans l’année scolaire viserait à augmenter le nombre de leçons dispensé par chaque membre du corps enseignant, puisque le calendrier scolaire actuel ne permettrait pas de l’atteindre. Selon la nouvelle directive départementale, ce personnel devra donc trouver un moyen de compenser les leçons non dispensées.
Enfin, la possibilité pour le corps enseignant de récupérer, avant le départ à la retraite, les périodes supplémentaires effectuées au cours de certaines années et comptabilisées en « réserve de carrière » serait supprimée, par manque de postes budgétés pour absorber celle-ci.
Vu ce qui précède, mes questions au Conseil d’Etat sont les suivantes, que je remercie d’avance pour ses réponses :
- Quelle vision de l’école sous-tend ces modifications réglementaires ? Le Conseil d’État considère-t-il que le rôle des enseignant·e·s se limite à dispenser des heures de cours, ou reconnaît-il l’importance des autres dimensions éducatives, notamment l’accompagnement, la socialisation et la construction du vivre-ensemble ?
- À l’heure où les besoins des élèves se complexifient (augmentation des troubles psychologiques, violence entre pairs), comment le DIP justifie-t-il une réforme qui semble dévaloriser les activités d’encadrement hors enseignement strict, pourtant essentielles à la détection et la prévention des difficultés ?
- Le DIP peut-il garantir que ces changements ne déboucheront sur aucune augmentation du temps de travail pour l’ensemble des enseignant·e·s ? Si ce n’est pas le cas, comment justifie-t-il cette intensification de la charge de travail dans un contexte où la profession connaît déjà un taux d’épuisement professionnel préoccupant ?
- Y a-t-il une économie escomptée ? De quel ordre ? Ces économies potentielles ont-elles été mises en balance avec le risque de détérioration du climat scolaire et de la qualité de l’accompagnement des élèves ?
- Le département respecte-t-il ses obligations légales en se donnant le droit d’exiger des heures supplémentaires sur toute une carrière qu’il ne compenserait plus au moment du départ en retraite ?
- Face à l’inquiétude légitime des enseignant·e·s et à l’approche des évaluations de fin d’année, le département envisage-t-il de suspendre ces modifications pour permettre une véritable concertation sur l’école que nous souhaitons pour nos enfants ?