par Marcellin Barthassat, architecte et urbaniste

Le méga centre commercial projeté à Ferney Voltaire « c’est fini ! », a annoncé l’association Poterie Riposte. La Société publique locale Terrinov (SPL) dans la ZAC de Ferney a décidé de mettre un terme à son projet de centre d’activités commerciales et culturelles. Plusieurs recours avaient été déposés contre la réalisation d’un complexe hors d’échelle et menaçant les commerces de proximité de la ville Ferneysienne. Comme dans plusieurs sites, l’empreinte carbone de tel projet sont en contradiction avec construction de la transition écologique, pourtant à l’ordre du jour dans la « Vision territoriale transfrontalière » du Grand Genève. Si l’opposition au méga projet d’Altaréa Cogédim semble être gagnée, l’Association Poterie Riposte reste prudente et attentive quant à la programmation à venir. Sa proposition alternative d’un quartier d’activités durables, dessiné avec les habitants, s’appuie sur une conception de commerces, d’activités artisanales et culturelles de proximité, et sur un urbanisme s’inspirant des principes de l’économie circulaire (voir Hebdomavert N°38 / décembre 2022). Quelle sera l’action de la communauté d’agglo du Pays de Gex et la Société publique d’Innovation, qui relanceront vraisemblablement une nouvelle planification sur le quartier de la Poterie ? D’autres mouvements ont surgi dans le Pays de Gex, tel le projet Open de Saint Genis Poully pour le moment suspendu. La situation du quartier de La Poterie révèle des indicateurs, comme autant d’initiatives pour le futur, signes d’espérance ?  

Réemploi et recyclage

Les Journées du patrimoine (JEP 2023) des 9 et 10 septembre derniers ont fait un large écho aux problématiques du réemploi et du recyclage. Un large public s’est déplacé pour de nombreuses visites et conférences. Les thèmes questionnent la modernité suburbaine (étalement urbain) et la consommation illimitée de nos ressources. Ce fut l’opportunité d’échanger sur les manières de repenser la ville. Deux conférence-débats ont suscité un grand intérêt auprès des personnes présentes. L’une sur la « Redirection urbaine » par Sylvain Grisot au Pavillon Sicli. L’autre « Vers une économie circulaire ? » par Jean Valentin de Saussure, au cœur de l’exposition Circularis aux Berges de Vessy. Au croisement des crises du siècle (social, climat, biodiversité et ressources), les propos invitent à des changements profonds, face à de « nouvelles géographies des risques », mais encore pouvoir faire avec les « savoirs » qui sont déjà là. 

Tout ce qui est debout constitue un patrimoine

Lors de cet événement, organisé conjointement par les Associations Utopiana et Patrimoine suisse, Sylvain Grisot pose un diagnostic sévère : « La ville étalée est le résultat par défaut de nos impensés. C’est la trame de nos vies dessinée par un système automobile auquel nous avons laissé le crayon ». L’épuisement des ressources, l’atteinte aux milieux naturels ou l’intensification des mobilités carbonées, représentent un niveau de gravité jamais atteint. À l’urbanisme linéaire ou fragmenté, il propose un autre modèle inspiré des principes de l’économie circulaire. Une sobriété ou écologie de la mesure va déterminer ou engendrer celle de la mobilité, des énergies et des matériaux. Sylvain Grisot s’oppose à l’obsolescence programmée, en considérant ce qui est déjà là (patrimoines). Il cherche à mieux définir quelle sera la clef d’une transition vers une ville qui permette à chacun de vivre dans une proximité et partage.

Vers une nouvelle économie ?

Invité par l’Association des Berges de Vessy, Jean Valentin de Saussure s’est intéressé à l’économie circulaire, domaine qui nécessite d’engager des solutions, des expériences afin d’instaurer un modèle décarboné et plus solidaire de l’économie de marché. Il rappelle trois axiomes prônés par Kenneth Boulding (1913-1993) : la nécessité d’un système circulaire, l’efficience et la durabilité. En évoquant les travaux du Suisse Walter Stahel, il rappelle le concept d’une écologie industrielle dès les années 1990. Le diagnostic actuel est sévère pour la Suisse, dont la moyenne de consommation par habitant atteint les 17 à 19 tonnes par an, et la circularité de l’économie reste à 6.9%, en dessous de la moyenne mondiale de 7.2%. C’est autour du mot « collaboration » qu’il décline quatre défis : élargir le mouvement de l’écologie circulaire dans les entreprises ; fixer des conditions cadres faites d’objectifs incitatifs et d’exigences par rapport aux ressources ; passer d’une logique de produit à de nouveaux modèles d’entreprise ; travailler sur une acceptabilité des consommateurs. En conclusion « moins et mieux produire & consommer ».

Explorer les futurs ou les imaginaires

Plusieurs expériences vécues, plusieurs pistes ou hypothèses d’une écologie plus humaniste ont été mises en valeur. Elles démontrent à la fois l’espoir d’une possible « réconciliation de l’activité humaine avec la nature » (Antonio Hodgers dans son Manifeste pour une écologie de l’espoir, 2023), de l’idée d’un contrat social donnant envie d’aller plus loin encore (résister au pessimisme). En développant des alternatives donnant naissance à de nouveaux modèles de développement, ceux-ci nécessiteront d’intensifier des changements systémiques dans la conduite et gestion de projet. Ils devront être accompagnés de transformations administratives visant à plus d’efficacité dans les changements attendus, en particulier face aux mesures que nous impose la crise climatique. Les débats ont été riches et vastes, notamment autour des graves questions résumées en mots-clés : artificialisation des sols, mobilité, organisation spatiale et densité, sauvegarde du vivant, réappropriation des savoir-faire, révolution de l’architecture, matériaux décarbonés, souveraineté alimentaire, participation citoyenne, changements structurels et gouvernance. Une exploration dans un esprit de « conversation » qui est aussi l’une des postures créatives et agissantes parmi d’autres, ouvertes et généreuses.