Sophie Bobillier

Résolution déposée par Sophie Bobillier en juin 2025

Texte complet: R 1067

Exposé des motifs:

En mai 2025, grâce à une demande d’accès officiels formulée en vertu de l’article 3 LIPAD par un citoyen genevois, puis par le média Heidi News[1] ayant effectué une démarche similaire, les investissements détaillés de la Caisse de prévoyance de l’État de Genève (CPEG) ont été rendus publics. En examinant ces données, il apparaît que certains des investissements de la CPEG sont hautement problématiques. En effet, au 31.12.2024, la CPEG détenait des obligations :

  • de l’État israélien, pour un montant de 2 039 000 CHF ;
  • de la Israel Discount Bank, pour un montant de 175 946 CHF, figurant sur la liste noire de l’ONU pour son rôle dans le financement et le soutien logistique à la colonisation des territoires palestiniens occupés[2].

Par ailleurs, d’autres entreprises figurant également sur la liste noire de l’ONU – notamment pour la fourniture d’équipements de surveillance et la prestation de services ou de moyens logistiques contribuant au maintien et à l’expansion des colonies israéliennes – apparaissent également dans la liste des investissements de la CPEG, à savoir : Airbnb, Booking Holdings, Expedia, Motorola et TripAdvisor pour un montant total de 18’535’369 CHF.

Ces placements soulèvent de graves questions éthiques et juridiques. Depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023, l’État d’Israël mène à Gaza une politique militaire marquée par des violations systématiques des Conventions de Genève. Cette situation a conduit la Cour pénale internationale à émettre un mandat d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Dans ce contexte, la détention d’obligations émises par l’État israélien par la CPEG n’est pas acceptable. Quant aux investissements dans la Israel Discount Bank et dans les entreprises listées ci-dessus, elles sont également hautement problématiques, celles-ci figurant sur la liste noire publiée par l’ONU.

Pour rappel, suite à l’attaque du 7 octobre 2023 menée par le Hamas, au cours de laquelle environ 1’200 personnes ont été tuées – dont certaines massacrées dans des conditions d’une extrême brutalité – plus de 7’500 blessées et près de 250 prises en otage, Israël a déclenché une offensive militaire dévastatrice sur la bande de Gaza. Cette riposte a massivement frappé les civils, premières victimes de cette guerre, d’une brutalité et d’une intensité sans précédent dans l’histoire du conflit israélo-palestinien.

Selon l’UNICEF, 52’930 personnes ont été tuées, dont 15’600 enfants ; 119’845 blessées, dont 34’175 enfants ; plus de 11’200 sont portées disparues. Aujourd’hui, 1,9 million de personnes vivent en exode permanent, dans une précarité humanitaire extrême, privées d’accès régulier à la nourriture, à l’eau potable, aux soins et à un abri.[3]

Au cours de cette guerre qui dure maintenant depuis quinze mois, l’État d’Israël s’est rendu – et continue de se rendre – coupable de nombreuses violations du droit international humanitaire : entrave délibérée à l’approvisionnement en denrées alimentaires, en médicaments et en carburant, provoquant un risque majeur de famine ; obstruction à l’accès aux soins, en empêchant l’entrée de l’aide humanitaire à Gaza ; destruction systématique des infrastructures civiles, notamment des hôpitaux (dont 94 % sont endommagés ou détruits), des écoles (95 % endommagées ou détruites) et des installations d’eau et d’assainissement (85 % hors service)[4].

L’utilisation de la famine comme arme de guerre, les attaques délibérées contre la population civile et la destruction des infrastructures civiles essentielles constituent des crimes de guerre et de crimes contre l’humanité au sens du droit international humanitaire. Ces pratiques ont conduit la Cour pénale internationale à émettre un mandat d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou en novembre 2024[5] et au Secrétaire général des Nations Unies à inscrire l’armée israélienne sur la liste des parties belligérantes commettant des violations graves des droits de l’enfant[6].

Ainsi, les investissements financiers dans l’État d’Israël constituent une participation indirecte dans son effort de guerre à Gaza. Ils sont non seulement incompatibles avec les engagements de la CPEG et le droit international, mais aussi inexcusables, car ces graves violations du droit international humanitaires sont abondamment documentées, ce quotidiennement.

Quant aux investissements dans la Israel Discount Bank et les autres sociétés mentionnées plus haut, ils sont tout aussi inacceptables. Ces établissements figurent sur la liste noire de l’ONU en raison de leur rôle dans le financement des colonies israéliennes, la fourniture de services qui les soutiennent, l’exploitation des ressources naturelles en territoire palestinien occupé, la fourniture d’équipements de surveillance et la prestation de services ou de moyens logistiques contribuant au maintien et à l’expansion des colonies israéliennes[7].

En plus de constituer des violations flagrantes du droit international, ces placements ne sont pas cohérents avec la charte d’investissement responsable dont s’est dotée la CPEG et qui définit des principes en matière de durabilité, d’éthique et de respect des normes internationales. Ils bafouent les principes pour l’Investissement Responsable (PRI) des Nations Unies, que la CPEG a signés 2022, s’engageant ainsi à intégrer les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans ses décisions d’investissement, à faire preuve d’une attention actionnariale, à promouvoir la transparence et à coopérer pour un meilleur respect de ces principes[8].

 Cette nécessité de désinvestissement s’inscrit dans la continuité des démarches engagées par plusieurs États qui appliquent la liste noire de l’ONU. Nombre d’entre eux ont déjà retiré leurs investissements des entreprises qui y figurent, notamment au sein de leurs fonds de pension publics, excluant de leurs portefeuilles toute société impliquée dans le soutien à la colonisation des territoires palestiniens occupés. Par exemple :

  • En Irlande, le fonds souverain ISIF a désinvesti de six entreprises israéliennes, dont des banques finançant le développement de colonies illégales [9];
  • En Norvège, le fonds souverain a récemment exclu Bezeq et Paz, des sociétés impliquées dans les colonies[10], tandis que le fonds de pension KLP a retiré ses investissements de seize entreprises liées à la colonisation suite à la publication de la liste noire de l’ONU[11];
  • Au Danemark, des caisses de retraite telles que Velliv, PensionDenmark, Industriens Pension et AkademikerPension ont désinvesti de banques israéliennes et d’autres entreprises soutenant les colonies, invoquant des violations des droits humains et des directives de l’ONU[12].

Dans sa réponse à la motion 2590 « Une stratégie climatique pour la CPEG » de novembre 2021, le Conseil d’État a montré qu’il était possible d’intervenir auprès de la CPEG, « en sensibilisant la délégation employeur de son comité aux attentes partagées » du Grand Conseil[13]. Il s’agissait à l’époque d’enjeux climatiques. Aujourd’hui, face à la situation humanitaire dramatique à Gaza, nous attendons du gouvernement qu’il agisse avec la même détermination : en mettant un terme aux investissements dans des entreprises impliquées dans de graves violations du droit international humanitaire liées à la colonisation des territoires palestiniens, ainsi qu’au financement indirect de l’effort de guerre de l’État d’Israël, par l’achat d’obligations souveraines.

[1] Heidi News. « La caisse de pension de l’Etat de Genève, qui se veut verte et vertueuse, investit dans le charbon. » 22 mai 2025.

[2] Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme. Base de données des Nations Unies sur les entreprises impliquées dans les colonies israéliennes. 30 juin 2023.

[3] UNICEF. Gaza : un cimetière à ciel ouvert. 28 mai 2025.

[4] Ibid. et OMS. Allocution du Directeur général de l’OMS à l’occasion de la réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies sur la situation du système de santé à Gaza. 6 novembre 2024.

[5] Cour pénale internationale. Situation dans l’État de Palestine : La Chambre préliminaire I de la CPI rejette les exceptions d’incompétence soulevées par l’État d’Israël et délivre des mandats d’arrêt à l’encontre de MM. Benyamin Nétanyahou et Yoav Gallant. Communiqué de presse du 21 novembre 2024.

[6] Nations Unies, Conseil de sécurité. Rapport annuel du Secrétaire général sur les enfants et les conflits armés, 3 juin 2024. p. 46.

[7] Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme. Base de données des Nations Unies sur les entreprises impliquées dans les colonies israéliennes. 30 juin 2023.

[8] CPEG. La CPEG est devenue signataire des Principes d’investissement responsable. 4 avril 2022.

[9] Irish Times. « State investment fund pulls out of Israeli companies operating in illegal settlements ». 5 avril 2024.

[10] Norges Bank Investment Management. Observation and exclusion of companies. Mise à jour 11 mai 2025.

[11] KLP. Why KLP is excluding 16 companies following UN report. 5 juillet 2021 et KLP. Decision to exclude companies with links to Israeli settlements in the West Bank. Juin 2021.

[12] Velliv. Vellivs eksklusionsliste. 17 mars 2025 ; AkademikerPension. Opdatering om selskaber forbundet med israelske bosættelser. 19 janvier 2024 ; PensionDanmark. Exclusion list. Mise à jour février 2025 ; IndustrienPension. Restricted list. Mise à jour décembre 2024.

[13] Rapport du Conseil d’Etat M 2590-B à la motion « Une stratégie climatique pour la CPEG ». 3 novembre 2021.