Louise Trottet

Postulat déposé par Louise Trottet en août 2025

Texte complet: PO 9

Exposé des motifs:

Le monde assiste, émerveillé et dubitatif, aux incroyables progrès de l’intelligence artificielle générative. Alors qu’il y a quelques années, nous nous gaussions des erreurs de traductions des robots et de pièges tendus à Siri, force est de reconnaître que, depuis la mise à disposition de ChatGPT en novembre 2022, les services d’intelligence artificielle sont capables de produire des textes, des images, des films d’une qualité stupéfiante en un temps record et pour un coût très faible.

Pour rester compétitives, les entreprises des branches concernées par ce type de production, particulièrement présentes dans notre canton, se doivent d’utiliser au mieux ces services, ce qui a nécessairement un impact sur l’emploi puisque, désormais, une machine parvient (presque) aussi bien qu’un humain à produire un recours juridique, une analyse de poème ou un bilan financier…

Comme formulé par le pionnier de l’idée de taxer l’IA qu’est le Professeur Xavier Oberson, « Bien que l’impact de l’IA sur l’avenir soit très controversé, il nous semble au moins probable que de nombreux emplois humains disparaîtront. En outre, il n’est pas du tout certain que suffisamment de nouvelles places de travail seront créées pour compenser celles qui auraient disparu, sans parler des difficultés d’adaptation. La disparition d’emplois et l’accroissement des inégalités entre travail et capital auront des conséquences financières massives pour les Etats.»[1] Tant certains emplois en nombre encore incertain, que les recettes fiscales de nos collectivités sont donc menacés par le potentiel développement de l’IA.

Notre canton doit absolument se doter des outils adéquats pour accompagner cette transition. L’outil fiscal semble être particulièrement adapté pour réguler au mieux l’usage de l’IA et ses conséquences. D’une part, en fonction du seuil visé, un potentiel effet dissuasif rendrait susceptible de maintenir en emploi des personnes particulièrement qualifiées et d’autre part les recettes qu’il génèrerait permettrait de financer la nécessaire transition en la matière, au-delà des questions d’employabilité prises à bras le corps par le Conseil d’Etat[2]. Le financement du manque à gagner de manière plus générale pour l’Etat, que ce soit en termes d’impôts comme de charges sociales ou même celui de la transition énergétique nécessaire à supporter le développement d’une IA générative locale[3], se doivent également d’être évoqués ici dans le contexte d’une « taxe IA ».

Encore faut-il déterminer la meilleure manière de taxer cette intelligence artificielle, essentiellement dématérialisée, dans un territoire exigu soumis à différentes contraintes en matière de fiscalité. Est-il envisageable de taxer les services eux-mêmes ? Ou alors de taxer la quantité de données générées par l’IA utilisées par les entreprises ? Ou d’évaluer les revenus fictifs évaporés du fait de l’usage de l’IA ?[4]

De même, l’usage des recettes pourrait être conçu pour optimiser leur effet sur le marché de l’emploi. Doit-on les rediriger spécifiquement vers les employées et employés susceptibles d’avoir perdu leur emploi du fait de l’IA ? Doit-on anticiper les pertes d’emploi ou proposer aux personnes concernées des formations complémentaires alors qu’elles sont en emploi ? Peut-on s’inspirer des expériences de revenus de reconversion comme le revenu de transition écologique ? Enfin, quelles seraient les autres affectations possibles de ces recettes ? L’ensemble des questions posées déjà par le présent texte donne une idée de la complexité de ce sujet au cœur de l’actualité.

C’est pour demander au Conseil d’Etat d’explorer ces questions fondamentales que nous vous invitons à accepter ce postulat.

[1] https://cdbf.ch/1385/

[2] Il est à ce titre intéressant de constater que l’intelligence artificielle n’apparaît qu’une fois – sans être considérée comme un défi majeur – dans le plan directeur pour l’employabilité publié le 25 juin 2025 https://www.ge.ch/document/39818/telecharger

[3] https://www.letemps.ch/opinions/editoriaux/et-si-la-suisse-devenait-le-futur-phare-mondial-de-l-intelligence-artificielle

[4] Plusieurs pistes sont suggérées par le Pr. X. Oberson dans son article « Taxer l’intelligence artificielle », publié le 2 décembre 2024 par le Centre de droit bancaire et financier, – https://cdbf.ch/1385