Angèle-Marie Habiyakare

Motion déposée par Angèle-Marie Habiyakare en mars 2025

Texte complet: M 3107

Exposé des motifs

 «Nous autres, humains, nous adorons l’instant, mais n’existons que dans la durée» – Dominique Wolton [1]

Dans un monde où l’information circule à une vitesse qui dépasse notre entendement, nous privant du temps nécessaire à la réflexion, et où les défis géopolitiques, environnementaux et sociaux sont de plus en plus interconnectés, l’enseignement de l’histoire et de la géographie reste fondamental pour former des citoyens responsables. A une époque où les plateformes numériques regorgent de données, souvent contradictoires ou manipulées, il devient essentiel d’avoir les compétences nécessaires pour discerner le vrai du faux. L’histoire et la géographie ne se contentent pas d’offrir des connaissances sur le passé et l’espace, elles sont des outils puissants pour aider les jeunes à comprendre les événements dans leur contexte, à analyser les informations de manière critique et à développer un jugement éclairé face à la désinformation.

Les compétences acquises à travers ces disciplines permettent aux élèves de mieux appréhender les dynamiques mondiales et d’analyser les faits d’actualité de façon systématique. Elles jouent un rôle clé pour naviguer dans un environnement saturé d’informations souvent difficiles à retracer et dont la véracité peut être mise en doute. Grâce à ces matières, les jeunes peuvent développer une approche critique, comprendre les contextes historiques et géographiques, et ainsi mieux évaluer la fiabilité des informations qui leur parviennent. Dans ce monde numérique complexe, l’histoire et la géographie sont essentielles pour garantir une citoyenneté active et informée.

La réforme de la maturité, bien qu’issue de directives fédérales officialisées le 28 juin 2023, laisse aux cantons une certaine marge de manœuvre. Il est essentiel que cette flexibilité soit utilisée pour préserver des matières fondamentales telles que l’histoire et la géographie, qui jouent un rôle clé dans la formation de citoyens éclairés et responsables. L’histoire et la géographie sont des disciplines incontournables pour comprendre les dynamiques sociales, économiques et politiques qui façonnent notre monde. Elles offrent aux élèves une culture générale solide, un espace où est donné le temps de la réflexion et du recul face à des médias (et bulles d’information) qui les bombardent ou des raisons d’Etat qui peuvent les laisser perplexes, leur permettant de développer une pensée critique face aux enjeux contemporains tels que les crises environnementales, les inégalités ou les tensions géopolitiques. Ces matières permettent aux jeunes d’appréhender de manière plus éclairée les événements mondiaux et de participer activement aux débats publics, essentiels à une citoyenneté engagée. Elles sont particulièrement pertinentes à Genève, en tant que centre diplomatique international. Les sciences humaines sont par ailleurs des disciplines qui invitent les élèves à renforcer leurs compétences d’expression orale et écrite, les amenant à devoir comprendre et décrire des phénomènes complexes, en maîtrisant syntaxe, orthographe et vocabulaire adéquats.
Rappelons les objectifs de l’ordonnance sur la reconnaissance des certificats de maturité gymnasiale (ORM) détaillés par l’article 6 de la section 2 sur les « exigences minimales relatives aux filières de la maturité gymnasiale » :

« 1 L’objectif des filières de maturité gymnasiale est de conférer aux titulaires du certificat la maturité personnelle requise pour entreprendre des études dans une haute école et de les préparer à assumer des responsabilités exigeantes au sein de la société. Il s’agit :

a. de leur transmettre, dans la perspective de l’apprentissage tout au long de la vie, les compétences fondamentales nécessaires à cet effet ;
b. d’encourager leur ouverture d’esprit, leur esprit critique et leur capacité de jugement ;
c. de leur dispenser une formation générale équilibrée et cohérente, en évitant la spécialisation ou l’anticipation de connaissances ou d’aptitudes professionnelles ;
d. de développer leur intelligence, leur volonté, leur sensibilité éthique et esthétique ainsi que leurs aptitudes physiques.

2 Les titulaires d’un certificat de maturité gymnasiale sont capables :

a. d’acquérir de nouvelles connaissances et compétences, tant disciplinaires que transversales ;
b. de développer leur curiosité, leur imagination et leur faculté de communiquer ;
c. de travailler seuls et en groupe ;
d. de raisonner de manière logique et de faire preuve d’abstraction ;
e. de penser de manière intuitive, analogique et contextuelle ;
(…)

4 Ils sont aptes à se situer dans le monde naturel, technique, économique, social et culturel dans lequel ils vivent, dans ses dimensions suisses et internationales, actuelles, historiques et futures. Ils sont prêts à y exercer leur responsabilité à l’égard d’eux-mêmes, d’autrui, de la société et de la nature. » [2]

Les objectifs de l’ORM démontrent la nécessité de ne pas réduire les heures d’enseignement d’histoire et de géographie. Il est important de rappeler que, dans les scénarios « matu2023.ge », il y a 6 heures dédiées à la maîtrise de groupe et notamment à des « ateliers de transversalités ». Il est important de noter que l’histoire et la géographie sont justement des matières transversales qui peuvent intégrer de nouvelles notions de transversalité, mais à condition d’avoir un enseignement régulier et continu.

Toujours dans la perspective de miser sur la durée pour obtenir des acquis solides, des ateliers ou des semaines décloisonnées ne remplacent pas la qualité de ces cours.

Enjeux

« Deux conséquences découlent du caractère unique de cette activité, tout de même bien particulière, qui consiste à chaque génération à transmettre à la génération suivante le patrimoine de l’humanité ! » [3]

Dans un contexte où la confusion informationnelle est omniprésente, l’histoire et la géographie jouent un rôle crucial pour éviter les dérives simplistes et les malentendus. Ces disciplines offrent aux élèves un cadre d’analyse rigoureux, leur permettant de mieux comprendre les enjeux mondiaux et de distinguer les faits des opinions manipulées. Elles créent aussi un espace de dialogue et de réflexion, essentiel pour développer des compétences critiques et responsables, et pour s’engager activement dans la vie démocratique. Dans un environnement international où les rapports de force dominent de plus en plus, laissant les approches multilatérales, ces matières permettent aux jeunes de prendre du recul, d’aborder les défis globaux avec discernement et de participer à des débats constructifs. Réduire leur enseignement, surtout dans les années charnières de 2e, 3e et 4e année, risquerait de priver les jeunes de la culture générale indispensable à la création d’une société cohésive, informée et prête à relever les défis contemporains. 

« D’abord préserver l’autonomie (…). » [4]

Le monde évolue à une vitesse sans précédent. Cependant, il est également crucial de préserver des savoirs et des valeurs qui traversent le temps et forment la base de notre culture. Ces éléments, transmis de génération en génération, sont essentiels pour comprendre notre société. L’histoire et la géographie proposent des outils permettant aux élèves de prendre du recul et de mieux saisir les enjeux actuels, en particulier sur leur rapport à la connaissance à l’ère numérique. Plus il y a de vitesse, du direct, de l’instantané, plus il faudrait réintroduire de la durée de l’autre côté (histoire, culture), prendre le temps de se plonger dans une attention profonde, car c’est elle qui vient élaborer ce que deviendront nos jeunes, et ce que nous sommes.

Avec l’émergence de l’intelligence artificielle, la question de l’avenir du travail humain se pose avec acuité. Dans ce contexte, il semble primordial de conserver le temps nécessaire pour réfléchir à des enjeux essentiels : notre humanité, notre place dans la société, notre environnement, et le sens de notre existence. Ces questions, qui touchent au cœur de notre vie de citoyen, ne devraient pas être réduites.

« La seconde conséquence est de rappeler que l’univers de l’école n’est pas l’information, mais la connaissance et la culture. » [5]

L’histoire et la géographie jouent ici un rôle clé. Dans une époque où l’immédiateté et la rapidité de l’information prennent souvent le dessus, ces matières permettent de mettre en perspective le présent, d’ancrer les élèves dans le passé et de leur offrir un cadre pour distinguer le vrai du faux. A une époque où les jeunes sont constamment exposés à des informations de qualité variable, l’histoire et la géographie les invitent à réfléchir sur des enjeux contemporains comme la citoyenneté numérique, la gestion de l’information, les fake news, ou encore l’évolution de la démocratie et des valeurs collectives.

Des initiatives comme celles d’un site du service écoles-médias s’intitulant « Histoire et culture numérique, L’enseignement de l’histoire à l’ère du numérique » [6] montrent comment l’histoire peut être mise au service de ces réflexions modernes. Il est plus que jamais nécessaire d’offrir aux élèves les outils pour développer une pensée critique et une conscience citoyenne, afin de faire face aux défis de demain dans un monde de plus en plus complexe.

La maturité doit avant tout offrir une culture générale qui servira de fondation pour des spécialisations futures. L’histoire et la géographie y jouent un rôle fondamental, en offrant des clés de compréhension des enjeux mondiaux. Ces matières permettent de préparer les jeunes à aborder les défis globaux avec un esprit critique, et garantissent une éducation équilibrée qui dépasse la spécialisation.

Conclusion

Il est crucial que les cantons maintiennent l’enseignement de l’histoire et de la géographie, surtout dans les dernières années de la scolarité, pour garantir une culture générale essentielle et prévenir les risques de polarisation. Ces disciplines sont indispensables pour préparer les élèves à devenir des citoyens responsables et informés, capables de participer aux débats contemporains, et de comprendre le monde dans lequel ils vivent, notamment dans un contexte international comme celui de Genève.

« Pour réaliser cette tâche immense, l’école doit rester « à côté de la société ». Plus l’école est socialisée, adaptée au modernisme, plus elle échappe à cette mission unique. L’inadaptation de l’école est la condition pour « adapter » les élèves. Apprendre à être, ce n’est pas d’abord s’adapter. C’est se construire pour ensuite s’adapter avec la dimension critique nécessaire. A quelle distance se tenir de la société, de la modernité, de l’air du temps ? Voilà la question centrale (…) La société peut privilégier l’information, pas l’école. La connaissance est bien autre chose que la somme des informations, et même si les informations sont abondantes, rapides, efficaces, les connaissances, comme la culture d’ailleurs, sont un processus plus lent, incertain, au rendement parfois aléatoire mais en tout cas indispensable pour compléter le règne de l’information. » [7]

Au vu de ces explications, nous vous invitons, Mesdames les députées et Messieurs les députés, à soutenir la présente proposition de motion.

 

 

 

[1] « La technique ne fait pas un projet d’éducation », Dominique Wolton, La Revue Hermès
[2] https://www.fedlex.admin.ch/eli/oc/2023/373/fr 
[3] « La technique ne fait pas un projet d’éducation », Dominique Wolton, La Revue Hermès
[4] Idem
[5] Idem
[6] « L’enseignement de l’histoire à l’ère du numérique », service écoles-médias GE
[7] « La technique ne fait pas un projet d’éducation », Dominique Wolton, La Revue Hermès