Julien Nicolet-dit-Félix

Projet de loi déposé par Julien Nicolet-dit-Félix en juin 2024

Texte complet: PL 13509-A

Exposé des motifs:

La constitution de 2012 a repris tel quel le quorum à 7% qui préexistait depuis plus d’un siècle, pour garantir aux partis importants une représentation de taille, lorsque le système proportionnel a été introduit dans notre canton en 1892. La formulation de l’art. 70 de la constitution précédente, « Le Grand Conseil est élu […] d’après le principe de la représentation proportionnelle tempéré par un quorum de 7 pour cent », montre à l’évidence qu’il s’agissait essentiellement d’atténuer le principe essentiel de l’élection proportionnelle, à savoir de former un collège aussi représentatif que possible des diversités d’opinions du corps électoral.

Or nous assistons, depuis quelques décennies, sous toutes les latitudes, à une fragmentation du paysage politique qui voit les partis historiques perdre progressivement de l’importance au profit de plus modestes formations. De ce fait, alors qu’au cours du XXe siècle ce quorum à 7% n’avait que peu d’impact sur la représentativité de nos institutions, on assiste depuis le début de notre siècle à une explosion de la part des votes attribués à des listes finalement non représentées au Grand Conseil comme dans les Conseils municipaux. De fait, sur les six dernières élections, cette part a dépassé les 10% à quatre reprises et a même presque atteint les 15%, soit un suffrage sur 7, en 2005 et en 2023.

Dans ces circonstances, on peut identifier trois défauts majeurs au maintien d’un quorum aussi élevé :

– La non-représentation d’une part du corps électoral :
Le fondement de la démocratie repose sur la capacité de chaque citoyen à se présenter aisément à une élection et, à égalité avec ses concurrents, à prétendre à une charge publique. Un quorum élevé est un frein incontestable à cette démocratie de la base puisqu’il contraint presque les candidats à adhérer à une formation politique dotée d’une certaine puissance. A ce titre, on peut citer l’expérience de la liste « Femmes », en 2018, vouée dès le départ à l’échec, malgré l’émergence incontestable d’un courant politique correspondant à ses idées.

– Le « vote utile » qui amplifie les pertes des petites listes :
L’existence du quorum peut induire des comportements chez les électeurs. D’un côté, quand il est notoire qu’une liste est en danger de passer sous le quorum, on peut supposer que les électeurs habitués du panachage accordent des suffrages excédentaires à cette liste, la renforçant artificiellement. Mais, surtout, on constate de façon très nette que les électeurs se détournent des listes jugées incapables d’atteindre le quorum. De ce fait, on observe des résultats qui amplifient les écarts entre les listes majoritaires et celles des petits partis ou groupements, qui se retrouvent avec des scores bien inférieurs à leur poids politique réel.

– Un découragement au renouvellement des idées et des groupements politiques :
La démocratie n’est vivante et efficace que si les idées, les personnes et les structures sont incitées à se renouveler en permanence. Or le système actuel offre une prime à l’immobilisme puisqu’il renforce les partis établis de longue date et leur personnel politique déjà en place et affaiblit les initiatives innovantes et les nouvelles candidatures. Dans ce sens, abaisser le quorum permettrait un meilleur équilibre entre l’expérience nécessaire apportée par les structures politiques historiques et l’aiguillon bienvenu du renouveau politique.

Si nous ne le faisons pas, l’histoire le fera pour nous…

On peut évidemment comprendre le souci des formations bien établies de devoir partager une part du pouvoir avec des nouveaux venus. Le défi que cela présente constitue un inconfort incontestable et peut susciter des craintes légitimes.

Cependant, les exemples historiques montrent que l’usage d’artifices légaux empêchant les partis minoritaires d’accéder à une parcelle de pouvoir débouche sur des configurations politiques bien pires pour les partis historiques. On peut évidemment citer notre voisin français, où le choix du système majoritaire pour les élections législatives a permis d’endiguer un certain temps l’émergence de partis contestataires et/ou extrêmistes, jusqu’au moment où cette émergence s’est transformée en raz-de-marée.

Une explosion du nombre de groupes parlementaires ?

La majorité des réactions négatives reçues lors de l’élaboration du présent projet portaient sur la difficulté pratique de gérer un parlement constitué de 10 groupes politiques ou plus.

Rappelons que, depuis plusieurs quarante ans, notre Grand Conseil est généralement constitué de 7 groupes (6 groupes entre 1993 et 2001).

De l’avis général, il est souhaitable que ce nombre ne croisse pas de façon excessive, pour des raisons essentiellement pratiques. On pense évidemment à la composition des commissions, mais également au fonctionnement du Bureau du Grand Conseil.

Cependant, on constate que, dans plusieurs cantons, le nombre de groupes est sensiblement plus élevé. Le parlement jurassien est par exemple constitué de 8 groupes pour 60 députés, et le parlement zurichois de 9 groupes pour 180 sièges.

La solution proposée par l’alinéa 3, qui permet d’éviter une profusion excessive de groupes parlementaires (au Grand Conseil comme dans les Conseils municipaux), est de limiter dans la loi leur nombre ou leur taille (en imposant une limite basse).

Cet alinéa propose deux pistes de solution :

La limitation par le nombre suppose que les listes obtenant les meilleurs scores forment de facto des groupes parlementaires, les suivantes étant contraintes de s’associer à l’un des groupes pour siéger en commission.

La limitation par le nombre minimal d’élus par groupe figure de facto déjà dans la LRGC (art. 27), mais l’équivalent n’existe pas pour les Conseils municipaux. Il s’agit du principe appliqué au Parlement fédéral (loi fédérale sur le Parlement, art. 61 al. 3) qui dispose qu’un groupe doit être constitué au minimum de 5 membres.

En pratique, quelle que soit la solution retenue, cela déboucherait sur la nécessité pour certains élus de trouver un groupe de rattachement dans les jours suivant l’élection, comme cela se pratique couramment à Berne, sans difficulté particulière.

Une évolution plus qu’une révolution
Baisser le quorum à 5% peut être perçu comme un changement majeur dans la vie politique genevoise. En effet, ce qui est vu par certains comme une épée de Damoclès, par d’autres comme une barre infranchissable (et sans doute par d’autres encore comme un oreiller de paresse) n’est en fait qu’une règle dont la modification aura des effets sans doute moins importants que ce qui est espéré (ou redouté). En effet, l’examen des résultats des dernières élections cantonales montre qu’un quorum à 5% aurait permis l’entrée de 2 listes supplémentaires au maximum. De ce fait, même sans règle limitant le nombre de groupes, il est peu probable que le fonctionnement de notre parlement en ait été bouleversé.

En revanche, cette analyse omet deux éléments : les effets induits du quorum sur le comportement électoral (les résultats n’auraient pas été identiques avec un quorum à 5%) et les dynamiques positives ou non des petites formations, suite à leur entrée au parlement, qui auraient impacté leurs résultats subséquents.

Quoi qu’il en soit, fortes d’un principe visant à limiter le nombre de groupe, nos institutions ne risquent pas de subir un bouleversement difficile à maîtriser sur le plan pratique.

Situation dans les autres cantons
La comparaison est difficile avec la plupart des autres cantons qui procèdent à une élection par circonscriptions. En Suisse romande, seul Neuchâtel fonctionne avec le principe de la circonscription unique et n’a pas de quorum. Une liste peut donc théoriquement n’avoir qu’un seul élu. La loi1 dispose en revanche qu’un groupe doit être constitué de 5 membres au minimum et prévoit la possibilité pour les listes de s’associer au début de la législature. Le modèle ressemble donc fort à ce que le présent projet de loi entend mettre en place.

Le canton du Tessin a un système du même type. L’art. 68 de la LEDP tessinoise prévoit un quorum à 1/90 (soit 1,11%). Les art. 12 et 13 de la LGC3 (loi tessinoise sur le Grand Conseil) prévoient également une taille minimum de 5 membres par groupe, la possibilité pour les listes de s’associer et des conditions contraignantes pour cette association et la représentation dans les commissions.