Intervention de Jean Rossiaud, député, à la Commission des Affaires extérieures du Conseil des Etats
Berne – 13 janvier 2020

Résolution 891
Traité de libre-échange avec le Mercosur : Genève doit s’engager pour un référendum (Résolution du Grand Conseil genevois à l’Assemblée fédérale exerçant le droit d’initiative cantonale)

Monsieur le Président,

Mesdames les Conseillères aux Etats,

Messieurs les Conseillers aux Etats,

Le 27 août 2019 un certain nombre de député.e.s au Grand Conseil genevois déposaient la résolution que nous vous présentons aujourd’hui.

Cette Résolution, à l’initiative de la députée verte Delphine Klopfenstein, aujourd’hui Conseillère nationale, a été traitée en procédure d’urgence, quelques jours plus tard, le 12 septembre 2019, et votée par une confortable majorité.

Elle demande à l’Assemblée fédérale de permettre l’organisation d’un référendum facultatif sur le traité de libre-échange avec le Mercosur. Ce traité pose des questions fondamentales sur la politique économique et la politique écologique de la Suisse, à moyen et long termes. Il est alors primordial que le peuple et les Cantons puissent en décider. C’est donc la question démocratique qui a été mis en exergue dans cette Résolution.

Mais les député.e.s, tous partis confondus, qui ont voté dans leur majorité cette Résolution se sont, dans les débats, surtout prononcés contre le fond de cet accord.

Pour la majorité des député.e.s, les accords de libre-échange doivent être rejetés, à la fois pour des raisons économiques, écologique et sociales.

En matière de politique économique, en Suisse comme partout dans le monde, l’enjeu économique contemporain est de relocaliser l’économie. Le SECO insiste lui-même sur le fait que le marché intérieur est en Suisse relativement petit. Pour des raisons de résilience économique, il est donc impératif de réorienter le maximum de moyens vers le renforcement relatif du marché intérieur, par rapport au marché extérieur, et tant dans le primaire, le secondaire que le tertiaire. Les traités de libre-échange font le contraire, privilégiant la production d’exportation, au détriment de la production pour les besoins endogènes.

Pour des raisons écologiques et climatiques, ensuite, les traités de libre-échange aggravent le bilan carbone des importations et des exportations partout dans le monde. C’est une très grande incohérence, voire une duplicité cynique, de prétendre vouloir respecter les Accords de Paris sur le Climat, tout en prônant le libre-échange qui multiplie les transferts de marchandises entre les continents.

Pour des raisons sociales, et même pour des raisons de respects des droits humains, enfin, les accords de libre-échange fragilisent la sécurité alimentaire, la sécurité économique et la sécurité sanitaire des résidents des pays desquels nous importons des denrées agricoles, issues de monocultures et produites avec des intrants chimiques, parfois interdits en Suisse. Comme le relève Alliance Sud, la coalition suisse des ONG oeuvrant pour la coopération au développement, les pays signataires de cet accord de libre-échange ont une obligation légale d’effectuer des évaluations d’impacts sur les conséquences des accords de libre-échange sur les droits humains – y compris les droits sociaux (HRIA – Human Rights Impact Assesments). Or, alors que des méthodes éprouvées existent, aucune étude d’impact n’a été présentée à ce jour pour ce traité. Nous demandons également un calcul précis du bilan carbone de ce traité, afin que le peuple suisse puisse se prononcer en toute connaissance de cause sur cet accord !

Je passe maintenant la parole à ma collègue Claude Bocquet, démocrate-chrétienne et viticultrice, qui prendra le soin de vous exposer les problèmes que pose spécifiquement ce projet pour les agricultrices et les agriculteurs suisses. Je vous remercie.

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Intervention de Claude Bocquet, députée PDC, à la Commission des Affaires extérieures du Conseil des Etats
Berne – 13 janvier 2020

Monsieur le président, Mesdames et messieurs,

En 2017 la population suisse a accepté à plus de 78% l’initiative sur la sécurité alimentaire.

Aujourd’hui, l’agriculture suisse nourrit sa population seulement un jour sur deux, puisque 50% des aliments sont importés.

L’accord de libre-échange avec le Mercosur met en danger la sécurité alimentaire des pays du Mercosur et de la Suisse. En effet, il prévoit l’importation de 3’000 tonnes de boeuf, 1’000 tonnes de poulet, 200 tonnes de porc, ainsi que des fruits et de 35’000 hectolitres de vin rouge. Ces produits agricoles ne répondent absolument pas à nos normes suisses de qualité, de bien-être animal et de normes sociales.

Certes, il y a un chapitre sur le développement durable dans cet accord, qui parle de « la conservation des forêts, du respect des droits des travailleurs et de la promotion d’un comportement responsable des entreprises ». Permettez-moi de douter de leur application!

Les produits agricoles du Mercosur proviennent principalement de monocultures industrielles, qui provoquent un accaparement des terres par de grandes entreprises et qui aggravent les problèmes climatiques par la déforestation et l’érosion des sols. Des petits paysans sont expulsés, voir assassinés lorsqu’ils ne veulent pas céder leurs terres, et ces terres ne produisent plus pour nourrir la population locale, mais pour l’export.

Au Brésil, le nombre d’incendies a augmenté de 84% depuis l’entrée en fonction du président Bolsornaro : 9,6 millions d’hectares ont été déboisé entre 2006 et 2017!

Cette destruction d’un poumon d’oxygène de la planète détruit également la faune et l’habitat des peuples autochtones. Et cet accord de libre échange ose parler de durabilité…

En Suisse, les paysans ne comprennent plus la politique agricole fédérale.

Imaginez leur désarroi :

  • les normes écologiques, paysagères et les normes de bien-être animal sont en constante augmentation, de même que le nombre de contrôles et la paperasse à remplir ;
  • les salaires des employés agricoles sont les plus élevés au monde ;
  • les économies d’échelles sont restreintes par l’exiguïté du territoire et la topographie de notre pays de montagne ;
  • le prix du lait ne permet pas de couvrir les frais de production, amenant de nombreuses fermes à abandonner cette filière et à se tourner vers la filière viande ;
  • la consommation de vin baisse chaque année, alors que les quotas d’importations ne sont pas diminués ; les stocks de vins indigènes en cave sont importants et mettent en péril la situation financière des vignerons ;
  • les Suisses sont les habitants qui dépensent le moins pour se nourrir, moins de 7% de leur revenu, alors qu’en France, cela représente 16% ;
  • le nombre d’exploitations agricoles est en constante diminution, alors que la population à nourrir augmente.

Et le Conseil Fédéral demande à votre parlement de ratifier un accord de libre-échange avec le Mercosur, qui permettrait à des aliments qui ne correspondent absolument pas à nos normes, de se retrouver sur les étals des magasins, sans aucune indication de cette non-conformité, en concurrence directe avec les produits agricoles suisses !

Il me semble que les milieux économiques oublient que nous avons tous besoin de manger pour vivre et qu’il est important que chaque pays produise des aliments pour nourrir sa population !

Dans son discours du nouvelle an, la présidente de la Confédération Mme Sommaruga a
parlé d’économie durable, elle a notamment dit : « J’aimerais que le prix du pain puisse payer, au juste prix, ceux qui sèment et récoltent les céréales qui contribuent à préserver la Terre et la vie sur la Terre, afin que nos petits-enfants puissent, eux-aussi, se souhaiter une bonne année! »

Je termine sur ces paroles simples et sensées, en espérant que cette notion de durabilité, qui fait partie de l’agenda 2030 des Nations Unies, est également importante pour vous.

Je vous remercie de votre écoute.

Claude Bocquet